La sécurité alimentaire à l’aune du stress hydrique | Des choix décisifs s’imposent
En Tunisie, le déficit pluviométrique se traduit souvent par une perte sèche engendrée par la baisse de la production agricole. Dans un contexte où le changement climatique s’accélère induisant, de facto, des risques énormes sur les activités agricoles et où les ressources en eau se raréfient de manière alarmante, le débat autour du stress hydrique et de son impact sur la sécurité alimentaire s’impose avec acuité. Selon les experts, les stratégies de sécurité alimentaire doivent tenir compte du compte global de l’eau, qui inclut, entre autres, l’eau bleue, verte et virtuelle.
La question de la sécurité alimentaire est intimement liée à celle de l’eau puisque le secteur agricole consomme 75% du total des eaux mobilisées. Pour un pays comme la Tunisie, qui importe plus de 70% de ses besoins en céréales — principale source d’apports énergétiques des Tunisiens — un déficit pluviométrique se traduit automatiquement par un creusement du déficit de la balance commerciale alimentaire. La récurrence des épisodes de sécheresse met à rude épreuve les exploitations agricoles et menace le capital des agriculteurs.
Dans un contexte où le changement climatique s’accélère induisant, de facto, des risques énormes sur les activités agricoles et où les ressources en eau se raréfient de manière alarmante, le débat autour du stress hydrique et de son impact sur la sécurité alimentaire s’impose avec acuité. Dans l’optique d’apporter des éléments de réponse à cette question aussi vitale qu’urgente, l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises (Iace) vient d‘organiser, en partenariat avec la fondation Friedrich Naumann pour la Liberté, la 7e édition du Tunisia Economic Forum sur le thème : «Stress Hydrique : choix économique et sécurité alimentaire». L’événement, qui a réuni des experts en eau et en économie agricole, était une occasion pour mettre à plat le secteur de l’eau et de proposer des pistes de réflexion sur sa gouvernance ainsi que sur les choix agricoles envisageables.
Augmenter la valeur économique de l’eau
Présentant l’étude intitulée “Stress hydrique: Choix économique et sécurité alimentaire”, l’universitaire Mokhtar Kouki a expliqué, en somme, que l’investissement dans l’eau permet une augmentation de la valeur économique de l’eau et un accroissement très significatif de la valeur ajoutée agricole.
En effet, selon l’expert, la Tunisie qui est en dessous du seuil de la rareté extrême de l’eau (500 m3 par an), vit, depuis plusieurs années, au rythme des sécheresses. Cette réalité a exacerbé la compétition entre les divers secteurs entraînant une baisse des quantités d’eau allouées aux différentes activités agricoles. Baisse de production et aggravation de la dépendance vis-à-vis de l’étranger sont les résultats inévitables d’une telle situation qui s’embourbe sous l’effet des chocs exogènes.
A travers les résultats de la simulation qui a été effectuée dans le cadre de cette même étude et qui se base sur le modèle de maximisation de la valeur ajoutée, Kouki a démontré que l’investissement dans le secteur de l’eau est désormais une exigence.
Entre un premier scénario (Business As Usual) et d’autres scénarios qui prévoient soit de nouveaux investissements visant à mobiliser des quantités d’eau supplémentaires utilisées pour la sécurisation de la production, soit une réallocation des ressources disponibles au profit des cultures pluviales, les résultats sont sans appel. En investissant dans de grands projets d’eau tels que le dessalement de l’eau de mer, la valeur économique de l’eau augmente et le gain de la valeur ajoutée agricole est estimé à plus de deux chiffres.
Les projections de GEMMES
Un autre travail de modélisation a été, également, présenté lors de l’événement. Il était au tour de l’économiste Saoussen Ben Nasr de révéler les résultats du projet GEMMES, mis en place par l’Itceq en partenariat avec l’AFD. Il s’agit d’un outil d’aide à la décision qui permet au gouvernement d’intégrer les enjeux liés au changement climatique dans les travaux de planification à moyen et long termes. Réparti en deux volets, il permet d’évaluer non seulement l’impact du changement climatique sur le secteur agricole et sur l’économie tunisienne, d’une manière générale, mais aussi de soupeser les bénéfices économiques des politiques d’adaptation.
S’agissant du premier volet, les résultats ont montré que la préservation du statu quo dans le secteur agricole avec les mêmes politiques d’investissement public devrait engendrer une baisse de la contribution du secteur agricole au PIB avec une stagnation de la situation socioéconomique à l’horizon 2050. Selon les simulations de GEMMES, le changement climatique va lourdement impacter le secteur agricole dont la croissance annuelle de la valeur ajoutée devrait passer de 2% (au cours des deux dernières décennies) à une croissance négative de -0,5% en 2050.
L’économiste a souligné, à cet égard, que même s’il s’agit d’un scénario pessimiste, ces résultats correspondent à la situation pluviométrique la plus proche des tendances pluviométriques actuelles déclarées par l’INM. “Grosso modo, il y a une détérioration des principales grandeurs macroéconomiques, au niveau de la balance commerciale, la balance courante mais aussi au niveau de la dépréciation de la monnaie. Les résultats montrent l’urgence et l’importance de mener et d’implémenter des politiques d’adaptation pour le secteur agricole, tout en tenant compte du secteur de l’eau, du sol et des ressources naturelles”, a indiqué Ben Nasr.
Dans un second temps, les experts ont évalué l’impact des politiques d’adaptation, et ce, selon la nature des mesures qui peuvent être prises dans le secteur de l’eau. Pour réaliser cet exercice, ils se sont basés sur les scénarios imaginés dans le cadre de la stratégie Eau 2050 qui a été élaborée par le ministère de l’Agriculture et qui prévoit deux cas de figure : soit une approche intégrée du secteur de l’eau qui tient compte, concomitamment, de l’offre et de la demande grâce, notamment à des investissements dans les techniques d’irrigation et à la diminution de la perte et du gaspillage de l’eau. Soit une approche qui se base uniquement sur l’offre en misant sur les investissements dans les ressources non conventionnelles.
En somme, les résultats ont fait ressortir que la mobilisation des ressources non conventionnelles est nécessaire mais n’est pas suffisante pour renverser la vapeur. Selon l’économiste, un bilan hydrique positif est tributaire de l’accroissement de l’élasticité de la demande, et ce, en investissant notamment dans les techniques d’irrigation, en réduisant les pertes des réseaux d’eau mais aussi en agissant sur la consommation des ménages et du secteur irrigué. Enfin, l’Etat est appelé à faire un arbitrage pour déterminer quelles sont les cultures à abandonner, et ce, dans une visée d’optimisation de l’allocation des ressources hydriques en Tunisie.
Tenir compte de l’eau virtuelle
De son côté, l’intervention de l’experte en eau, Raoudha Gafrej, a porté sur l’impact du stress hydrique sur les choix en matière de sécurité alimentaire. Elle a affirmé que le changement climatique va bouleverser le cycle de l’eau, ce qui va se traduire par des déficits pluviométriques mais aussi par une hausse de la température qui n’est pas moins dangereuse pour les activités agricoles et le capital agricole d’une manière générale.
Pour l’ingénieure, les stratégies de sécurité alimentaire doivent tenir compte du compte global de l’eau, qui inclut entre autres, l’eau bleue, l’eau verte et l’eau importée. Elle a mis en garde contre la surexploitation des ressources hydriques souterraines qui représentent la majeure partie des eaux utilisées (80%) par l’économie mais aussi contre le gaspillage de l’eau qui prend la forme tantôt de pains gaspillés, tantôt d’eau perdue par fuite dans les canalisations.
Pour conclure, Gafrej a précisé que la question de l’eau n’est pas la principale composante qui sous-tend les enjeux de sécurité alimentaire. La preuve, durant les années de sécheresse, la production agricole n’a pas baissé car les agriculteurs ont puisé dans les nappes phréatiques.
Elle a, par ailleurs, insisté sur l’importance de la notion de l’eau virtuelle qui renvoie à la nécessité de réduire le gaspillage de l’eau surtout à travers le pain jeté à la poubelle (la quantité de 900 mille pains par jour équivaut à environ 180 millions de m3 d’eau virtuelle). La chercheuse a, en outre, fait savoir que la variabilité pluviométrique impose des mesures en faveur de la sécurisation du capital et des productions pluviales.
L’amélioration des rendements, grâce aux technologies avancées, n’est plus aujourd’hui un choix mais un impératif dans un monde où l’amélioration des rendements agricoles est conditionnée par les nouvelles technologies utilisées. Enfin, Gafrej prône une meilleure efficacité de l’utilisation de l’eau via la réduction des pertes d’eau au niveau de l’infrastructure d’irrigation ainsi que l’optimisation de l’allocation des ressources qui nécessite un arbitrage entre les cultures à abandonner et celles à renforcer.
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