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La loi au cœur de la société : La protection des données personnelles protège-t-elle l’accusé aux dépens de la victime ?   

 

L’arrestation d’un malfrat grâce à la diffusion d’une vidéo le montrant en train de voler a provoqué l’intervention des défenseurs des libertés et un rappel des textes de loi protégeant les données personnelles, au nom du respect de la présomption d’innocence et de l’atteinte à la vie privée. Parallèlement, elle a déclenché l’ire des autres, victimes ou pas, qui appellent à sévir, et par tous les moyens, contre la délinquance générale en forte hausse en Tunisie. Entre les droits des victimes et ceux des délinquants « présumés innocents », les avis divergent et s’opposent. Le point sur la situation.

C’est grâce à la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo le montrant en flagrant délit de vol d’un téléphone portable que l’individu en question a été arrêté en un temps record par les forces de l’ordre. La diffusion de pareilles vidéos a toujours contribué à mettre un terme à la cavale de malfrats, comme ce fut le cas pour ce voleur à la tire qui a été filmé à la cité Ezzouhour en pleine action, avant de prendre la poudre d’escampette. Les unités de la police ont eu à identifier et arrêter le suspect, avant de procéder à une séance de confrontation légale avec la victime.

Tout a fini par rentrer dans l’ordre, diront les uns. A ce détail près, cette pratique n’est-elle pas interdite par le code pénal ? Que risque la personne qui diffuse sciemment de pareilles vidéos sur les réseaux sociaux ? Ne s’agit-il pas dans ces cas d’atteinte à la présomption d’innocence et aux données personnelles ?

Que risque-t-on en postant une vidéo ? 

Ces questions pourraient choquer ceux qui refusent d’accorder un quelconque droit à un malfrat filmé en pleine action de vol à l’arraché. Mais les avocats et les juges sont tenus d’appliquer les textes de loi susceptibles de garantir les droits de la victime et de défendre la présomption d’innocence, garantie par l’article 33 de la Constitution tunisienne qui dispose: « Tout prévenu est présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité, à la suite d’un procès équitable lui assurant toutes les garanties indispensables à sa défense au cours des différentes phases des poursuites et du procès», nous précise un avocat au Tribunal de première instance de Tunis.  

A ce propos, l’ancien président de l’Instance nationale de protection des données personnelles, Chawki Gaddes, rappelle, pour sa part,  dans une déclaration à une radio privée  les dispositions de la loi organique portant sur la protection des données à caractère personnel qui interdisent la diffusion de données à caractère personnel aux tiers, sans le consentement de la personne concernée. Exception faite pour les données nécessaires à l’exercice des missions confiées aux autorités publiques dans le cadre de la sécurité publique ou de la défense nationale, ou celles qui s’avèrent nécessaires aux poursuites pénales.

Un soutien efficace à la police pour démasquer les voleurs

Il est à souligner que l’article 93 de la même loi dispose aussi : « Est puni de trois mois d’emprisonnement et d’une amende de trois mille dinars quiconque diffuse intentionnellement des données à caractère personnel, à l’occasion de leur traitement, d’une manière qui nuit à la personne concernée ou à sa vie privée. La peine est d’un mois d’emprisonnement et d’une amende de mille dinars, lorsque la diffusion a été effectuée sans l’intention de nuire ».

Que faire alors pour retrouver voleurs et autres braqueurs, notamment face au manque de moyens dont disposent les forces de police ? Est-on appelé à laisser faire les malfrats, leur donner la latitude de commettre leur forfait et s’évanouir dans la nature ? Pour Chawki Guaddes, il faut respecter la loi et s’adresser au poste de police le plus proche ou au procureur de la République pour lui livrer la vidéo. Celui qui a posté la vidéo aurait pu au moins flouter le visage du voleur dans la vidéo.

Maître Mohamed Saidana est du même avis. « Il est quasiment interdit de poster de telles vidéo,  car l’image est considérée comme donnée personnelle. Les gens sont libres de placer des caméras dans leurs véhicules et de filmer la route ou la rue. Mais au cas où l’enregistrement ferait référence à un acte criminel, il faut s’adresser aux autorités de police ou au procureur de la République pour porter plainte ».   

Néanmoins, ces déclarations ne trouvent pas d’écho favorable auprès d’une grande majorité de citoyens qui ont été à maintes reprises victimes de vol. Il faut sévir et agir avec fermeté pour arrêter ce fléau, nous déclare Halima, mère de deux enfants dont l’un a fait l’objet de braquage et de vol de son téléphone portable depuis plus d’un an. « Il ne se passe pas un jour sans qu’un vol ne soit déclaré aux services de police, qu’il s’agisse de téléphone portable ou autres effets personnels. Les gens en ont marre », nous souligne un chef de poste de police à la banlieue nord, à titre anonyme. « Parfois, et en l’absence de preuves, on ne peut rien faire, d’autant qu’on manque de moyens techniques et d’effectifs pour lutter efficacement contre ce fléau ».  

La victime dans le box des accusés

Il ajoute que plusieurs commerçants préfèrent diffuser des séquences vidéo captées par les caméras de surveillance, montrant les voleurs en pleine action dans le but de les démasquer. Ils pensent ainsi appuyer l’action de la police et l’aider à élucider les infractions commises au quotidien.

De nos jours, les caméras de surveillance se démocratisent de plus en plus et leur utilisation est qualifiée d’indispensable pour des raisons d’ordre sécuritaire. Elles sont dans les rues, à l’entrée et à l’intérieur des magasins, des boutiques, des grandes surfaces, mais représentent quelques risques sur la vie privée des gens, s’inquiètent les fervents défenseurs des données personnelles. Elles sont indispensables pour dissuader les délinquants, sinon de les interpeller et de résoudre des enquêtes qui restent non élucidées sinon, faute de preuves, rétorquent en particulier les victimes, celles qui ont subi un grand choc émotionnel à la suite d’un vol violent qui, parfois, tournent au drame. Les avis s’opposent autour de l’utilisation de la vidéosurveillance.

A l’étranger, dans les pays défenseurs des droits de l’homme, les systèmes de vidéosurveillance dotés de reconnaissance faciale sont installés partout et sont devenus un outil important pour assurer la sécurité de la population et la prévention de toutes sortes de crimes. Au demeurant, il ne faut pas poster des vidéos de cambriolage, car la victime pourrait bien, selon les lois en vigueur, se retrouver dans le box des accusés.

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