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Kairouan — Le Vieux souk des parfumeurs: Voyage olfactif, pérégrinations mémorielles…

Il est des lieux authentiques et mythiques qui transcendent la banalité gris-flanelle d’une vie plate. Ces lieux renseignent parfois sur un style de vie à partir duquel on se forge une identité. Et leur charme caractéristique tient à la présence du passé dans l’actuel.

Situé à quatre pas de la Mosquée Okba Ibn-Nafaâ au cœur de la Médina de Kairouan, le vieux souk des parfumeurs (Souk Al-Attarine alkadim) renseigne autant sur les odeurs des choses, sur un style de vie, sur les démarches des hommes et l’éternité d’un monde qui refuse de courber l’échine devant une histoire qui n’est, in fine, qu’un vaste engloutissement des vies humaines.

Construit et organisé par Yazid Ibn Hatem El Mehallibi (773 après Jésus-Christ ), ce souk fait partie des souks dédiés à chaque corps de métier dans la vieille Médina de Kairouan.

Aujourd’hui réduit à une simple place abritant plusieurs bureaux de notaires et ne conservant de son passé lumineux qu’un écriteau portant son vieux nom, ce souk, rapporte le socilogue Abdelwahab Bouhdiba, drainait autrefois des parfumeurs et des marchands de roses et d’épices venus d’Orient et d’Extrême-Orient. Il «était aussi envié et le plus en sécurité au point qu’un décret du 6 novembre 1864 était venu rappeler au gouverneur de Kairouan que seuls pouvaient coucher au Souk Al-Attarine (les parfumeurs) ceux qui pratiquaient le métier auxquels il était interdit de s’installer en dehors de ce souk», fait savoir le même sociologue dans son livre La culture du parfum en Islam.

Très sollicité par les citadins, ce souk était souvent la destination finale de l’eau de rose distillée par les femmes kairouanaises durant la saison du “taqtir“ (distillation), le printemps. D’ailleurs, le jour du “taqtir“ était un jour de fête et de convivialité. Les maisons et la ville entière embaumaient. Et le spectacle des marchands ambulants qui poussaient des ânes chargés de fleurs d’oranger en criant : quatre onces de fleurs d’oranger — quatre onces de roses, se répétait à souhait.

Au-delà de la rose, l’aromathérapie

Le souk Al-Attarine regorgeait autrefois de tous les onguents, parfums, plantes aromatiques venus de très loin ou cueillis dans la campagne alentour. On y trouvait bien plus de cent produits, notamment la «rosa centifolia» (ward souri) acclimatée au Gor près d’Ispahan (ville persane) et qui a si bien pris dans la plaine de Kairouan. Cette rose a su résister aux multiples injures du temps, y compris l’invasion des Béni Hilal et continue à prospérer encore aujourd’hui.

Composante essentielle du style de vie et du savoir-vivre des habitants de la Médina, le parfum était un acteur précieux dans la vie sociale et garantissait la santé et le bien-être des humains. D’ailleurs, dans son Traité, unique en son genre, «Des parfums et des essences», Ibn Al-Jazzar, maître de la fameuse Ecole médicale de Kairouan, fait savoir que «le parfum est bénéfique pour le cerveau, le cœur, le foie et qu’il agit de manière positive sur les organes essentiels pour la santé et la longévité».

Il déplore, néanmoins, l’ignorance des parfumeurs qui étaient, selon lui, aussi ignorants que dangereux pour les clients, vu qu’ «ils donnaient souvent aux tempéraments chauds des parfums chauds et aux froids, des froids. Le résultat était désastreux.

Ibn Al-Jazzar classe ainsi les parfums en deux grandes classes, les chauds qui sont au nombre de quatre : le musc, l’ambre, l’aloès et le safran, et les froids : le camphre, le santal, la rose et l’usnée (une fleur qui pousse sur le chêne, le noyer et le pin). Le célèbre médecin recommandait donc d’apparier la composition des parfums avec l’humeur de l’utilisateur. L’objectif étant «tarwih et inchirah», c’est-à-dire ventilation de l’âme et de l’esprit par le parfum. Lequel parfum garantit, selon lui, le repos, la réjouissance, l’épanouissement, la gaîté et le «farniente».

Force est de constater, du reste, que ces règles établies par Ibn Al-Jazzar et l’Ecole médicale de Kairouan ont circulé loin vers la Méditerranée et l’Europe grâce aux nœuds déjà tissés avec l’école médicale de Salerne en Italie. «Une nouaison féconde qui va servir de relais à la transmission des sciences médicales arabes en Europe par le truchement des écoles de Padoue de Bologne, de Montpellier et de Paris», selon l’auteur de la culture du parfum en Islam.

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