Justice : Si le statu quo n’est pas acceptable, comment réformer plus efficacement ?
La rentrée judiciaire est pour bientôt. Les tribunaux du pays reprendront le 15 septembre, après deux mois de vacances. Mais que peut-on espérer d’une justice surchargée, débordée, avec des infrastructures vétustes et en manque d’effectifs? Sans parler de l’inadéquation de la formation initiale des magistrats. La question épineuse du fonctionnement de l’appareil judiciaire semble, en effet, préoccuper les Tunisiens qui y croient peu, depuis des années d’ailleurs.
Le constat est on ne peut plus amer. De l’avis de plusieurs avocats, du personnel du Tribunal de première instance à la Cour de cassation, en passant par la Cour d’appel, selon les propos recueillis, un justiciable est confronté aux lourdeurs, aux reports sine die, aux frais de justice excessifs, et in fine, au désespoir.
Le temps judiciaire, un grand mal
Ali, rencontré près d’un tribunal, dit avoir déposé une plainte pour licenciement abusif, il y a près de 7 ans ! Il attend encore l’issue de cette affaire. À quel prix ? Il dit avoir très mal vécu sa situation, alors qu’il tentait de recouvrer des droits garantis par la loi. «Mon adversaire est un homme d’affaires très puissant. Il est très introduit dans le milieu judiciaire. J’ai tout essayé. En vain ! Je suis las, après 7 ans de souffrances. On a vidé mes poches. Je suis sur le point de jeter l’éponge », lâche-t-il, avec amertume.
Abondant dans le même sens, des avocats sous le couvert de l’anonymat, assurent que le Président de la République semble avoir remis de l’ordre dans une maison qui tombe en ruine, en entamant un assainissement longtemps souhaité dans le corps des magistrats. « J’étais, à maintes reprises, confronté à des situations tragiques dans plusieurs affaires. Des justiciables ont fait les frais d’une justice boîteuse, de pratiques illicites, de trafics en tous genres. J’étais totalement désarmé.
Car les fossoyeurs ne laissaient pas de traces. Or, il faut des preuves tangibles pour poursuivre quelqu’un », se désole ce juriste qui prononce ses plaidoyers souvent dans les tribunaux de Kairouan.
Criant haut et fort son ras-le-bol en raison de cette lenteur qui a miné le système judiciaire de l’intérieur, un autre avocat, qui plaide dans les tribunaux de la capitale, attribue les difficultés de la justice tunisienne à plusieurs facteurs : « On ne peut pas lier les défaillances de la justice tunisienne uniquement à la fainéantise de certains magistrats. Il ne faut pas oublier non plus que notre justice est surchargée.
D’autant que le mode opératoire de nos tribunaux est, à bien des égards, archaïque, en l’absence d’une digitalisation on ne peut plus utile aujourd’hui », précise-t-il.
Une justice surchargée qui fonctionne mal
Imputant la lenteur de la justice à plusieurs facteurs structurels, le juge administratif, Faïçal Bouguerra, évoque un volume de travail qui use. « Des démarches procédurales complexes et des déficiences structurelles qui expliquent la lenteur des traitements des dossiers devant les tribunaux. Pour ce qui est des facteurs structurels, les effectifs des magistrats, des agents sont insuffisants, inadaptés.
Quant aux aspects procéduraux, la lenteur est inhérente à la nature même des actes à accomplir», analyse-t-il.
Pour l’année judiciaire 2019/2020, quelque 2,072 millions d’affaires étaient enregistrées dans les tribunaux tunisiens, selon l’ancienne ministre de la Justice, Hasna Ben Slimane, qui s’exprimait alors dans une conférence de presse en date du mois d’avril 2021.
Les affaires étaient ainsi réparties : près de 4 000 affaires de violence à l’égard des femmes, plus de 2 000 affaires de consommation de drogue et près de 22 000 détenus dans les prisons. Alertant contre une situation inquiétante dans les prisons tunisiennes, Ben Slimane a alors mis en garde contre une surpopulation carcérale dans les prisons de Béja et de Kairouan, allant de 165 à 175%.
Toutes ces affaires étaient confiées à un corps judiciaire qui comptait, alors, 3.984 greffiers (ères) et 2.451 juges, selon des statistiques officielles. Des chiffres peu significatifs eu égard à une population qui compte plus de 12 millions d’habitants.
Dysfonctionnements et des réformes qui tardent
Les spécialistes de la question judiciaire évoquent, outre la lenteur du temps judiciaire et le manque d’effectifs, d’autres facteurs qui empêchent le bon fonctionnement de la justice. De ce point de vue, l’universitaire Jamel Ajroud (Faculté de Sfax) revient sur la formation initiale et continue du magistrat, ses convictions idéologiques, ses émotions et le contexte économique et socio-culturel dans lequel il évolue. L’ensemble pourrait préparer le terrain, selon lui, à une « application sans âme et de façon mécanique» de lois qui seraient, elles-mêmes, parfois «injustes».
Sur un autre plan, ces dernières années ont été lancés deux importants programmes d’appui à la justice tunisienne.
Financé par les États-Unis à hauteur de 2,5 millions de dollars (près de 6 millions de dinars), le premier a été lancé en 2016 et clôturé en février dernier. Alors que le second, financé par l’Union européenne, à raison de 25 millions d’euros (près de 80 millions de dinars), a été lancé en 2012, d’après le ministère de la Justice.
Les objectifs de ces programmes consistent, selon la même source, à moderniser les méthodes de travail, renforcer l’indépendance et l’efficacité de la justice et améliorer l’accès à la justice et au droit. Or, et malgré ces programmes, les rapports produits par des ONG et institutions internationales font état d’une justice tunisienne à deux vitesses qui demeure peu efficace et souffre de manque de moyens et de lenteurs des procédures.
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