Journées cinématographiques du court métrage Cinémana : Des brouillons et des promesses
Parmi les 63 films reçus cette année par les Journées cinématographiques du court métrage Cinémana, le jury a sélectionné 14 films en compétition et 13 films hors-compétition. Entre le deuxième et le troisième jour du festival, nous avons sélectionné quelques courts métrages, qui portent les prémices d’un talent, d’une vision émergente et d’une disposition à évoluer dans le métier de la réalisation cinématographique.
Si certains des films projetés lors de l’édition 2023 sont marqués par la recherche et l’expérimentation comme «Trou» d’Amal Langar, «Fabula» d’Elyes Jeridi et «Pourquoi moi ?» de Marwa Tiba, d’autres titubent, apparaissent comme des brouillons de travaux ou encore oscillent entre des images déjà vues et des éclairs parfois prometteurs. On s’étonne également que des CM produits par des écoles de cinéma et d’audiovisuel publiques et privées soient aussi peu encadrés, corrigés, améliorés. Les scénarios et les dialogues convainquent à peine, le montage est bâclé et les images si tristes quand elles veulent paraître pimpantes et féériques. La formation fait-elle défaut dans ce secteur également ?
«Samina», d’Ahmed Barkia.
Dans cette fiction en compétition de 12 mn, le réalisateur rend hommage à sa grand-mère, passionnée depuis l’enfance de chant et de la voix, de la gestuelle et du style de la cantatrice égyptienne, Oum Kalthoum. C’est aussi une évocation d’une histoire d’amour empêchée. En 1960, Samina a quinze ans, elle est forcée à se marier malgré elle à un prétendant approuvé par ses parents. Elle décide alors de s’évader et d’aller se réfugier chez Ammar, un homme qui vit dans une hutte au bord de la plage et avec lequel le spectateur pressent un début d’attachement amoureux. Malgré une fin de film touchante, puisque Ahmed Barkia filme sa grand-mère en train de chanter avec les mêmes lunettes noires d’Oum Kalthoum portées par l’actrice qui joue le rôle de Samina enfant, démontrant une passion toujours vivace, le film souffre de ses images ternes et mal étalonnées. D’un autre côté, les acteurs semblent peu convaincants et ne rendent qu’à moitié la si belle histoire de Samina.
Their Issue is the féminine gendre expression (Poupées de Coton).
En 8 mn, Firas Ben Ali brosse dans ce documentaire classé hors compétition des portraits de personnes non-binaires de la communauté LGBTQ tunisienne. Des itinéraires de vie racontés sur le ton du désespoir et de la colère et qui reviennent sur un quotidien fait d’insultes, de discriminations, de peur de la police et d’interpellations incessantes. Le film donne la parole à des individus qui se disent à la fois hommes et femmes sans distinction de genre. S’assumer ainsi leur a demandé beaucoup de travail sur eux-mêmes : concilier leur véritable identité et les préjugés de la société n’est pas une mince affaire. Il reste toutefois l’amour d’une mère, qui, en cajolant son fils qu’elle sait différent des autres, l’appelait : «Ma poupée de Coton».
El Casino, de Roua et Wala Eddine Tlili.
Ce documentaire de 12 mn en compétition ressuscite l’histoire oubliée du Casino de Hammam-Lif. Le site de style arabisant à l’origine fonctionnant comme hôtel et casino a été construit face à la mer à la fin du dix-neuvième siècle par les Français. Le Casino s’est transformé en restaurant après l’indépendance, tout en restant un repère dans la ville, «un lieu où se formaient les couples», se rappelle le journaliste Moncef Ben Mrad, l’un des témoins du documentaire, que l’on voit revenir sur ce magnifique lieu de mémoire. Défilent sur l’écran des photos couleur sépia du temps de la splendeur et de la beauté du casino. Puis le site connaît des heures moins heureuses dès les années 80, lorsqu’on néglige de l’entretenir et de le restaurer, puis il tombe dans l’oubli. Les deux réalisateurs ont bien su restituer l’histoire du casino. Seul regret : cet effort plutôt raté de mise en scène avec l’introduction de personnages romantiques dans le palais, un peintre dessinant des arabesques sur les sons d’une musique doucereuse, une actrice en costume d’époque à la gestuelle de danseuse classique. Des scènes artificielles qui puisent directement dans le registre de la publicité.
La mort du couscous, d’Oumeima Trabelsi. (14 mn, hors compétition).
C’est le film le plus abouti des deux journées de projection, soit les 5 et 6 septembre. Sur un scénario bien ficelé, Oumeima Trabelsi évoque un conflit familial autour de l’héritage d’une maison, qui se déroule sur le temps de la préparation du couscous par Fatma, la mère, le jour de la commémoration du premier anniversaire du décès de son mari, le père d’Adib, Mariem et Slim. L’opposition du fils cadet, Slim, au projet de vente de la magnifique maison en bord de mer où il a grandi avec sa fratrie conforte Fatma dans sa décision de garder sa demeure contre la volonté d’Adib et Mariem. Mais Slim finit par s’aligner sur la position de ses ainés et le plat de couscous enfin prêt tombe des mains de la maman. Un huis clos fort, réaliste et bien mené par la réalisatrice. Cette unité de temps et de lieu s’adapte bien avec l’idée d’enfermement de la famille dans ses antagonismes et conflits. La mère taciturne et taiseuse, s’exprimant par des mimiques et la puissance de ses regards, porte bien la force tranquille du personnage, qui finit par vaciller et par renverser le mets qu’elle s’est évertué à concocter tout au long du film.
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