Joey Hood, ambassadeur des Etats-Unis en Tunisie, dans une rencontre avec les médias Tunisiens : « Les USA ne cherchent pas à imposer un modèle démocratique ni en Tunisie, ni ailleurs »
« Les USA soutiennent la Tunisie auprès du FMI mais le programme des réformes gouvernementales doit être accéléré pour pouvoir mieux soutenir le pays auprès de cette institution et d’autres bailleurs de fonds », a-t-il souligné.
L’ambassadeur des Etats-Unis en Tunisie, Joey Hood, a tenu jeudi dernier une rencontre avec les médias tunisiens où il a déclaré qu’il était « très heureux et ravi d’être en poste en Tunisie » Pour sa première sortie médiatique, le diplomate américain a clairement affiché la volonté de Washington de soutenir la Tunisie et le peuple tunisien, pour soutenir la transition démocratique, et a déclaré que son premier objectif est de porter au double le volume des échanges commerciaux entre la Tunisie et les Etats-Unis, qui est de l’ordre d’un milliard de dollars actuellement. « La Tunisie n’est pas un pays pauvre qui nécessite des aides humanitaires mais un pays qui a besoin de plus de projets et d’investissements pour améliorer son taux de croissance » a-t-il souligné.
Comment s’est déroulée la rencontre avec Kaïs Saïed ? « C’était une rencontre officiellement protocolaire pour la remise de mes lettres d’accréditation signées par le Président Biden », a-t-il souligné. « Le Président tunisien m’a réservé un accueil chaleureux au cours duquel on est revenu sur sa dernière visite à Washington. On a parlé des relations historiques entre les deux pays, de l’histoire de la Constitution américaine qu’il connaissait sur le bout des doigts. Certes, on a soulevé la question économique et le Président Saïed a exprimé son souci de vouloir venir en aide aux familles vulnérables en Tunisie et sur le soutien des USA au profit du pays dans les instances du FMI. C’est le message que je vais porter à mes homologues à Washington », a-t-il promis. « Les USA soutiennent la Tunisie auprès du FMI mais le programme des réformes gouvernementales doit être accéléré pour pouvoir mieux soutenir le pays auprès de cette institutions et d’autres bailleurs de fonds », a-t-il souligné.
Est-ce que cela concerne également la suspension des garanties américaines auprès des bailleurs de fonds ? « Nous ne comptons pas soulever cette question avec le côté tunisien car il s’agit d’un mécanisme purement technique. Mais ce dont a besoin la Tunisie, ce ne sont pas des prêts et des garanties mais de l’investissement et de la croissance et c’est ce que nous croyons fermement et durablement opportun. Le recours au FMI n’est qu’une solution parmi d’autres, car il dispose des fonds nécessaires et les Etats-Unis, en tant qu’actionnaire qui dispose de plus de 20% des parts, a son mot et son vote est important, mais il y a d’autres parties qu’il faudrait convaincre », a révélé Joey Hood.
Concernant la décision américaine de réduire son niveau de collaboration militaire avec la Tunisie, Joey Hood a indiqué : « Nous maintenons notre niveau d’échange d’informations pour la protection des deux pays, sauf que cette décision est particulièrement ponctuelle car nous voulons comprendre dans quelle direction va la démocratie en Tunisie », a-t-il ajouté.
Concernant la question de la démocratie en Tunisie, l’ambassadeur a rappelé les relations historiques et amicales entre les USA et notre pays. « Les USA avaient envoyé un diplomate américain en 1860 pour consulter le bey et recueillir son avis sur l’abolition de l’esclavage étant donné qu’à cet époque, il y avait une partie du peuple qui soutenait la liberté accordée aux esclaves alors qu’une autre partie était contre. Nous avons appris par le passé de la Tunisie et nous pensons qu’en tant que deux pays de longue date, les Tunisiens pourraient apprendre également de notre expérience démocratique », a-t-il indiqué.
Avant d’ajouter que « les USA ne cherchent pas à imposer un modèle démocratique ni en Tunisie, ni ailleurs. La Tunisie est un pays souverain que nous respectons, mais parfois on se pose des questions et on a besoin de comprendre et c’est un aspect positif pour la démocratie pour deux pays amis. Certains pourraient dire que les USA ne comprennent pas ce qui se passe en Tunisie et Washington pourrait faire des déclarations fondées sur des informations imprécises mais nous voulons être mieux informés pour pouvoir mieux expliquer la réalité de ce qui se passe sur le terrain dans le domaine économique et politique pour pouvoir transmettre des explications plausibles et proches de la réalité. Car si on ne comprend pas les changements qui s’opèrent, nous exprimons des inquiétudes, et seules de bonnes explications fondées sur des faits réels et concrets pourraient réajuster la communication entre Tunis et Washington ». « Nous pensons que la Tunisie peut jouer un rôle important comme exemple de démocratie arabe, de la coexistence et de l’économie libérale du marché ».
Interrogé sur l’opposition tunisienne, il a répondu que jusqu’à ce jour, il n’a « rencontré que le Président de la République, l’ancien ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Santé ». Il a réitéré à cet effet que la Tunisie n’est pas un pays pauvre qui a besoin d’aides humanitaires mais qu’il s’agit d’un pays qui souffre des effets de plusieurs crises. « La transition démocratique, l’impact négatif du Covid sur son économie et les répercussions de la guerre en Ukraine » ont durement affecté le peuple tunisien, a-t-il affirmé. A cet effet, il a expliqué que la ligne de 60 millions de dollars accordée à la Tunisie pour soutenir les familles pauvres tend à réduire la souffrance de ces dernières, à travers un programme gouvernemental tunisien et mis en œuvre par l’Unicef. « Cette ligne n’est pas suffisante, mais elle permet de « laisser le gouvernement se concentrer sur la lutte contre la corruption, son programme de réformes et la restructuration de son système de santé et de créer de l’emploi et de l’investissement. Ce dont a besoin la Tunisie sur le long terme, c’est de doubler son volume d’échanges commerciaux avec les USA et c’est pour cela qu’on a lancé le programme Visit-Tunisia avec un budget de 50 millions de dinars dont l’objectif est de créer 15.000 postes d’emploi et de drainer un plus grand nombre de touristes américains », a-t-il encore rappelé. Il n’empêche, « actuellement on trouve beaucoup de produits tunisiens aux USA tels que l’harissa, l’huile d’olive grâce à de petits investissements », a-t-il dit, faisant remarquer que ces produits « n’existaient pas sur le marché américain il y a dix ans. ».
Interrogé sur ses fracassantes déclarations au Congrès, après sa désignation en tant qu’ambassadeur en Tunisie, sur le fait s’il va œuvrer pour inciter la Tunisie à la normalisation avec Israël, l’ambassadeur a précisé d’abord que ce genre de questions au Congrès est très fréquent dans une démocratie. Il avoue avoir donné son point de vue qui s’aligne sur la politique extérieure de l’administration Biden mais que les affaires internes et externes de la Tunisie relèvent de sa souveraineté nationale, a-t-il précisé. « Le peuple tunisien a donné une procuration au président de la République qui est le seul apte à décider pour lui sur cette question ou autre ». L’ambassadeur a rappelé que pour les USA, « il est important que les israéliens vivent en paix et en sécurité et que les Palestiniens puissent avoir un Etat où son peuple vit en paix ».
Sur un autre plan, à propos du soutien préférentiel à la Turquie comparé à celui accordé à la Syrie lors du récent séisme qui a frappé les deux pays, l’ambassadeur a rappelé que les Etats-Unis ont été « le plus grand donateur pour la Syrie avec un montant de 15 milliards de dollars depuis le déclenchement de la crise syrienne ». Toutefois, il a clairement indiqué que cet argent, accordé sous forme d’aides humanitaires, n’était pas adressé à Bachar Al Assad « car il massacrait son peuple » mais à travers des organisations humanitaires déployées sur tout le territoire syrien que ce soit « celles sous l’autorité du régime ou de l’opposition ».
Jugeant que l’aide américaine accordée à l’Ukraine est beaucoup plus importante que celle accordée à la Tunisie, dont l’économie a été classée aussi fragile que celle de ce pays, il a répondu que « si la Tunisie faisait l’objet d’une agression, nous serions à ses côtés, pour protéger sa souveraineté nationale, sa liberté et sa démocratie. Vous êtes en guerre contre le terrorisme et c’est dans ce contexte que nous avons accordé plus d’un milliard de dollars à la Tunisie sous forme d’équipements militaires dont les forces ont fait beaucoup de réussites et de succès sur ce plan. Nous avons aussi accordé à la Tunisie plus de trois millions de vaccins pour lutter contre le Covid. Mais il y a aussi la guerre économique qu’il faut gagner non seulement en tant que membre qui soutient le gouvernement tunisien aux assises du FMI mais aussi à travers des projets et des investissements pour créer de la croissance et de l’emploi ». « La Tunisie fait partie du monde libre qui refuse l’agression russe sur l’Ukraine mais nous ne mettons aucune condition car cela reste in fine une décision souveraine du pays et il n’y a aucune ingérence américaine dans ce dossier », a-t-il conclu.
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