Instabilité mondiale et sécurité alimentaire : Terres domaniales, la porte du salut ?
Il y a des pistes à explorer pour améliorer la production nationale, fertiliser des terres domaniales sous-exploitées, voire délaissées, et lutter contre la spéculation et la volatilité des prix.
Dans un contexte mondial marqué par l’instabilité, les guerres et la raréfaction des ressources, il devient impératif de repenser la sécurité alimentaire nationale.
Car la souveraineté d’une nation en dépend étroitement.
D’ailleurs, l’Indice FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) des prix des céréales a récemment enregistré une hausse de près de 20%, sous l’effet de fortes hausses des prix du blé et des céréales secondaires, lesquelles hausses sont principalement dues à la guerre en Ukraine.
La Fédération de Russie et l’Ukraine, faut-il le rappeler, représentaient, à elles seules, environ 30 % des exportations mondiales de blé et 20 % des exportations mondiales de maïs ces trois dernières années. Les prix mondiaux du blé ont grimpé de 19,7%. Des craintes relatives aux conditions de culture aux États-Unis d’Amérique ont accentué l’explosion des prix.
En Tunisie, le total des importations en céréales a atteint des niveaux records l’année dernière, soit 900 millions de dollars (près de 3 milliards de dinars), selon l’Office des céréales.
Agir avant qu’il ne soit tard
Pour la campagne 2020/2021, elles avaient atteint environ 3,8 millions de tonnes, soit environ 20% de plus que les importations de la saison précédente et 5% de plus que la moyenne du précédent quinquennat, selon le Système mondial d’information et d’alerte rapide (Smiar) sur la sécurité alimentaire et l’agriculture de la FAO.
La production céréalière, durant ces vingt dernières années (à l’exception de 2003), n’est donc pas parvenue à assurer l’autosuffisance ni en blé dur ni en blé tendre. Pourtant, le pays dispose des moyens susceptibles de garantir son autosuffisance en céréales.
Dans ce sens, l’universitaire économiste Salah Gharbi préconise des pistes à explorer pour améliorer la production nationale, fertiliser des terres domaniales sous-exploitées, voire délaissées, et lutter contre la spéculation et la volatilité des prix.
« Les terres domaniales tunisiennes couvrent aujourd’hui près de 500 000 ha. Elles se répartissent en 310 000 ha de terres structurées dont 88 000 ha qui sont exploitées en sociétés de mise en valeur et de développement agricole (Smvda), 54 000 ha en lots techniciens, 65 000 ha en location et le reste en forêts, parcours et terrains de compensation.
Les terres non structurées totalisent 190 000 ha et sont réparties entre l’Office des terres domaniales (157 000 ha), les coopératives (18 000 ha) et les établissements d’enseignement et de recherche (15 000 ha). Mais leur gestion reste très faible et le manque à gagner est énorme », fait remarquer l’économiste.
Selon lui, les 25 complexes agricoles détenus par l’Office des terres domaniales très endetté (148,8 MD dont 49,4 envers les caisses sociales et 48,5 MD envers les banques en 2019) demeurent peu productifs. D’autant que la superficie de ces mêmes complexes agricoles affiche un écart eu égard aux exploitations agricoles, dans un pays où 75% des 516 000 exploitants agricoles détiennent moins de 10 ha, 22% sont de moyens agriculteurs (10 à 50 ha) et seulement 3% de grands exploitants dont les domaines dépassent les 50 ha.
« La gestion défaillante des terres domaniales n’a d’égale que la lenteur des interventions dans un secteur très sensible. Si bien que ces biens publics sont souvent exposés aux vols et au vandalisme, étant gardés par quelques ouvriers, alors qu’ils nécessitent des bataillons entiers et des moyens financiers conséquents pour les mettre à l’abri de la prédation », fait observer l’économiste.
Tel qu’il l’entend, mieux gérer et rentabiliser les terres domaniales tunisiennes passe, au demeurant, par un véritable assainissement de la situation financière de l’OTD, une meilleure réorganisation de ces complexes agricoles pour en faire des fermes à taille humaine, plus faciles à gérer et pour y lancer des projets de partenariat public-privé.
Les ingénieurs agronomes au chômage
Se prononçant au sujet de l’agriculture tunisienne, le Président de la République a récemment réitéré les avantages des coopératives. Décriées après l’échec de la collectivisation forcée des années 1960, celles-ci vont pouvoir désormais renaître. D’ailleurs, alors que seuls 8 % des agriculteurs ont accès aux crédits bancaires, les coopérateurs, par la force du nombre, peuvent par exemple obtenir des rabais auprès des fournisseurs ou encore bénéficier d’une couverture maladie, de l’avis de l’économiste.
Salem Oussaifi, ingénieur agronome qui chôme depuis plus de dix ans, se montre très enthousiaste à l’idée. « Nos terres domaniales sont souvent délaissées. Or, nous ne manquons ni de compétences ni de volonté pour les faire fructifier et booster une économie à l’arrêt. Les ingénieurs agronomes et les techniciens au chômage s’élèvent à des centaines. Il suffit juste de les encourager et la Tunisie sera un jardin verdoyant », assure-t-il.
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