«Ink, Papers and Scraps» à la galerie Gorgi: Faire parler les bouts de papier
Najeh Zarbout, Aicha Snoussi, Mohamed Amine Hamouda s’accordent à nous révéler l’essentiel de la matière, ils la détournent, la font vibrer et questionner son environnement d’origine. La rencontre de matières distinctes crée un ensemble qui construit son propre langage… Un langage qui prend appui dans les temps les plus reculés pour tendre la main à une contemporanéité aussi simple qu’inaccessible.
Un tour du côté de la galerie Gorgi est une découverte de trois démarches, trois univers de peintres aussi distincts que complémentaires qui ont donné naissance à «Ink, Papers and Scraps»–encre, feuilles et bouts de papier.
Depuis la première trace de charbon sur les parois des grottes jusqu’aux traits d’encre délicats qui ornaient les manuscrits enluminés, le papier a toujours été le confident de l’artiste. Cette humble toile, tissée de rêves pulpis et de lumière solaire, berce les murmures d’inspiration, les explosions désordonnées de la frustration et les dessins discrets qui dansent dans les marges de la pensée.
Dans cette exposition, trois artistes dévoilent leurs dialogues profondément personnels avec le papier. Ce n’est pas simplement une surface, mais une extension de leur être même. Le papier est étiré, sculpté et caressé : il porte le poids des taches d’encre et des lignes délicatement tracées. Il est déchiré en murmures, remodelé en histoires, et finalement fait écho à l’âme de l’artiste.
Aicha Snoussi prend le centre de la galerie, elle occupe le couloir central entre d’autres œuvres avec une pièce maîtresse qui impose l’arrêt, le regard qui essaye de déchiffrer une typographie étrange, des lettres et des mots tels des éclaboussures sur la surface plane d’un parchemin, de papier qui s’étale en longueur peut-être à l’infini.
Talismans, incantations, les lettres bien nettes qui défient le temps et d’autres à peine lisibles cèdent la précision de leur tracé à l’usure. Les formes fuselées qui s’imposent comme une évidence apportent plus de mystère qu’un éclairage. Elles se plaquent sur le support du dessin comme pour lui donner une troisième, un élan, un envol. Aicha Snoussi semble aimer brouiller les pistes, elle parsème le pourtour de son parchemin par une autre temporalité qui interpelle des temps encore plus reculés, des ossements, des fossiles, des vestiges qui invoquent une histoire qu’elle réinvente en plaçant tous ces codes à déchiffrer… ou pas d’ailleurs.
L’effervescence, l’accumulation et l’agitation du travail de Aicha Snoussi viennent percuter avec le calme et la quiétude de Najeh Zarbout.
Un calme non dépourvu de malice et d’espièglerie. Le papier, sous le pouvoir d’alchimiste de Najeh, est dégradé de nuances pastelles, de courbes et de reliefs, de nuages et d’horizons, une pratique plastique qui se nourrit de surprises et aléas. Ses œuvres, a priori ludiques, portent dans ses dessous des sujets sérieux, voire transgressifs. Son papier est une déchirure au gré du mouvement et du hasard, ses aplats s’insurgent contre la planche de verre qui les écrase pour dessiner à eux seuls leur trajectoire. Entre le découpage qui cherche la lumière pour faire corps avec son ombre et la lacération de la matière pour découvrir diverses lignes et entailles, elle trouve dans le papier un voyage onirique, un dialogue avec un alter ego.
Si Mohamed Amine Hamouda a choisi pour cette exposition des œuvres à échelle humaine, c’est que son désir de faire corps avec les autres œuvres est bien réel. Se plaçant face à la proposition de Najeh avec pour intermédiaire le parchemin de Aicha Snoussi, il leur donne la réplique avec des fibres et des pigments. Sa généalogie de la terre se dessine à chaque fois par ces stratifications de la matière. Celle qu’il ramasse, il la traite, la tisse, la tresse après l’avoir macérée et teintée de pigments du même milieu. Cette forme d’endogamie plastique que s’impose l’artiste va au-delà de l’approche esthétique, le sens en est encore plus pertinent, plus engagé, plus extrême.
Quand l’encre n’écrit plus des lettres ou dessine des lignes et des formes, quand la couleur se plie au diktat du naturel et quand le discours se place dans les nœuds et les croisements pour créer la trame d’une maille originelle, c’est un retour aux sources, un retour au langage brut et élémentaire de la création. Et puis, qu’ils dansent avec l’encre, la teinture et assemblent ses fibres, ou qu’ils insufflent la vie à des fragments et des chutes.
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