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Industrie agroalimentaire : Le respect des normes et la protection du consommateur seraient-ils sacrifiés sur l’autel du profit ?

 

C’est un secteur entouré de mystères où le respect des normes et de l’étiquetage pour une alimentation saine et durable n’est pas toujours à l’ordre du jour. Omerta imposée par un système puissant qui profite d’une réglementation qualifiée de surannée par les experts. Qu’en est-il au juste ? La Presse a consulté les experts et les professionnels et fait parler la société civile et les consommateurs. Il en ressort que des efforts gigantesques restent à faire pour que le respect des normes d’hygiène et de sécurité dans l’industrie agroalimentaire soit une réalité et non un simple cliché.

La fabrication des produits alimentaires industriels devra prendre en compte la présence de plusieurs risques, dont notamment la bio-contamination de l’air, de l’eau ainsi que des surfaces. C’est d’ailleurs pour cette raison que des contrôles sont nécessaires tout au long du processus de fabrication du produit. Toutefois, il est utile de souligner que les acteurs de la filière agroalimentaire n’obéissent pas, dans certains cas, à des critères réglementaires trop rigoureux, également au niveau de l’étiquetage des produits.

Théoriquement, ce secteur est réglementé par de nombreuses normes visant à garantir la qualité et la sécurité des denrées qui sont produites et proposées aux consommateurs. En pratique, ce n’est malheureusement pas toujours le cas, comme nous le confirme un spécialiste en qualité et sécurité des aliments, propriétaire d’une boîte privée en consulting et audit dans le domaine de l’agroalimentaire.

Des étiquettes illisibles et incompréhensibles

En raison des risques d’éventuelles pressions, notre expert a préféré garder l’anonymat car, selon lui, c’est un domaine sensible. D’abord, le consommateur se perd en essayant de déchiffrer les étiquettes de certains produits alimentaires, souvent illisibles, trop petites, ou incompréhensibles ou incomplètes. D’après lui, le grand problème réside dans le non-respect, par un bon nombre d’entreprises, de la réglementation relative à l’étiquetage en Tunisie, ce qui nous pousse à dire, selon lui, que les autorités ne déploient pas de gros efforts en matière de contrôle. 

A ce propos, il souligne qu’il existe différents types d’allergènes, qui couvrent de nombreuses catégories d’aliments soit d’origine animale ou végétale. Ce qui est un peu étrange, c’est que les industriels tunisiens de l’agroalimentaire ne prennent pas en compte cet aspect au niveau de l’étiquetage. Ce qui pourrait provoquer de graves complications, voire la mort du consommateur. « Il faut préciser que les industriels tirent profit des règlements actuels, flous, qui doivent être revus dans les plus brefs délais. A ce titre, il conseille d’être très prudent en consommant du thon en conserve à l’huile végétale et de vérifier s’il est produit à base de soja ou non, car bien des fois l’étiquetage ne mentionne pas l’origine de l’huile utilisée.  Auquel cas, cela pourrait avoir de graves incidences sur la santé. « Certaines variétés de céréales font partie des substances reconnues dangereuses du fait des réactions allergiques qu’elles provoquent», prévient-il.

Une réglementation non respectée !

Il est à souligner que, d’après l’article 3 de la réglementation en vigueur, « l’étiquetage et les modalités selon lesquelles le produit est fabriqué, ne doivent pas être de nature

à induire le consommateur en erreur, notamment sur les caractéristiques de la denrée alimentaire, et sur la nature, l’identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, l’origine, ou la provenance, le mode de fabrication ou d’obtention, en attribuant à la denrée alimentaire des effets ou propriétés qu’elle ne possèderait pas, ou encore en suggérant que la denrée alimentaire possède des caractéristiques particulières alors que toutes les denrées alimentaires similaires possèdent ces mêmes caractéristiques ». D’autre part, et selon l’article 4 « Aucun produit alimentaire préemballé ne peut être vendu sans étiquetage ».

La langue arabe doit être l’une des langues utilisées dans l’étiquetage des denrées alimentaires fabriquées localement ou importées. Toutes les mentions d’étiquetage obligatoires doivent être facilement compréhensibles, inscrites à un endroit apparent et de manière à être visibles et clairement lisibles et indélébiles, explique encore l’article 9. Ce qui n’est pas toujours le cas. Plusieurs infractions sont en effet constatées à ce propos. Il faudra préciser, en outre, que le comportement du consommateur pas très exigeant encourage les industriels à ne pas accorder trop d’importance à l’étiquetage.

Une campagne pour sensibiliser les consommateurs et les industriels

La majorité des consommateurs contactés à cet effet ont souligné qu’ils consultent rarement l’étiquette des produits. Dans de rares cas, ils le font pour vérifier la date de péremption, rien de plus. « Elles sont le plus souvent illisibles » font savoir unanimement Nebil (cadre dans une banque) et Mohamd Ali (fonctionnaire à la retraite). Pour Jalel qui vit entre la Suisse et la Tunisie, c’est plutôt une question de culture. Le consommateur est beaucoup plus sensibilisé à l’étranger que dans notre pays. « Le manque d’abondance des produits mis en vente doit être aussi pris en considération dans ce contexte », fait-il savoir. « Parfois, quand tu entres dans une grande surface, tu ne trouves qu’une seule marque de produit agroalimentaire, à quoi bon lire l’étiquette si le choix fait défaut ? ».

Rares sont ceux qui se réfèrent à l’étiquette, avant de procéder à l’achat d’un produit. En général, c’est surtout par souci de bien respecter un régime que le consommateur s’applique à prendre en considération cette règle. C’est le cas de Imen qui ne peut plus acheter un produit sans avoir consulté l’étiquette.

En Tunisie, la flambée des prix des produits alimentaires est sur toutes les lèvres, mais la société civile ne fait presque rien pour défendre le consommateur et exiger des mesures claires, susceptibles de conférer plus de transparence aux activités de ces entreprises. Le président de l’Organisation tunisienne d’information du consommateur, Lotfi Riahi, en est bien conscient. Il nous explique que son organisation devra mener une campagne de sensibilisation concernant l’étiquetage qui doit être présenté en bonne et due forme, clair et en mesure d’informer au mieux le consommateur, selon ses dires.

Cette campagne sera organisée en marge de la foire qui sera tenue en octobre prochain pour encourager la consommation du produit tunisien. «On se penchera aussi sur l’amélioration de la qualité de l’emballage et sur les colorants alimentaires, puisque quelques colorants ne sont pas sans risques sur la santé. Cette campagne ciblera aussi bien le consommateur tunisien que les professionnels de ce secteur», précise-t-il.

Lotfi Riahi a conclu qu’une action sera menée dans le cadre de la protection du consommateur contre la vente des chips aromatisées, en application des recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé. « Il faut aussi que le consommateur adhère à son tour à cette campagne ».

L’Utica : on a besoin de nouvelles réformes

Les contrôles des entreprises agroalimentaires s’effectuent par des organismes sous tutelle de l’Etat et des organismes certificateurs appelés à vérifier la sécurité des aliments, les qualités des produits, la maîtrise des risques, la réduction de l’impact sur l’environnement, l’efficacité énergétique, selon la réglementation interne pour les sociétés non exportatrices. Mais pour les entreprises exportatrices certifiées ISO, le contrôle est beaucoup plus poussé, car il exige le respect de normes internationales. « L’engagement qualité des entreprises varie d’une entreprise à une autre, mais on ne peut pas déduire que toutes nos entreprises ne se soumettent pas à la loi en vigueur. Toutefois, les sociétés spécialisées dans la production agroalimentaire qui ne font pas l’objet de contrôles assidus de la part des autorités de tutelle, se soucient peu de la qualité de leur produit et de l’étiquetage, ce qui est susceptibles de mettre en danger la santé des citoyens», met en évidence l’un des spécialistes en qualité et sécurité des aliments.

Du côté de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), le président de la fédération de l’agroalimentaire, Chiheb Slama, nous a confirmé que le secteur se porte « plutôt bien », comme en témoigne l’excédent enregistré de la balance commerciale alimentaire, et ce , en dépit des défis qui se présentent et des crises qui ont prouvé la grande capacité de résilience de ce secteur (Covid, guerre en Ukraine et les incidences du réchauffement climatique sur l’agriculture, comme la baisse de la production).

Selon les statistiques officielles dévoilées par les responsables du ministère de l’Industrie des Mines et de l’Energie, vendredi 6 septembre 2024, ce secteur compte 965 entreprises qui emploient environ 77 000 personnes. Il contribue à hauteur de 3,1 % au produit intérieur brut, de 25 % à la valeur des investissements industriels et de 15 % à l’emploi. La balance commerciale alimentaire a enregistré un excédent en août dernier, en raison principalement du développement important des exportations d’huile d’olive, puisque ses recettes se sont élevées à 4,622 milliards de dinars jusqu’à fin juillet pour la saison 2023/2024.

Le président de la fédération ajoute que le secteur a toujours besoin de réformes pour mieux booster l’industrie agroalimentaire à plusieurs niveaux, comme l’économie circulaire, l’optimisation des ressources hydriques, des énergies, des chaînes des valeurs et des produits compensés, l’utilisation des énergies vertes, indique le président de la fédération. Il a aussi insisté sur les réformes à apporter en matière de digitalisation pour assurer la traçabilité et conférer plus de transparence aux activités des entreprises, et en vue de faciliter l’accès aux marchés extérieurs à nos produits.

A ce titre, Chiheb Slama rappelle la participation de l’Utica aux travaux relatifs à l’élaboration d’un diagnostic du secteur des industries alimentaires, afin de permettre la mise en œuvre d’une stratégie de promotion de ce secteur à l’horizon 2035.

« On ne manque pas d’outils de contrôle, mais il faut travailler davantage sur le plan pratique »

Pour ce qui est des contrôles qualité qui visent à s’assurer de la conformité de certains produits avec les normes, la plupart des entreprises tunisiennes ont mis en place des systèmes de contrôle qui répondent aux normes internationales. Sur le plan local, Chiheb Slama rappelle le rôle crucial joué à ce titre par l’Instance nationale de la sécurité sanitaire des produits alimentaires (Insspa). Cette instance assure le contrôle officiel à l’importation et à l’exportation pour vérifier la sécurité sanitaire.  En juillet 2021, le ministère de la Santé avait transféré les missions de contrôle de la sécurité sanitaire et de la qualité des produits alimentaires à cette instance.

Il nous confirme qu’il n’existe aucun problème au niveau du contrôle qualité, mais il reconnaît que le respect des normes d’étiquetage fait, parfois, défaut sur le marché national. « La réglementation est claire sur cette question et on ne manque pas d’outils à ce propos, mais il faut travailler davantage sur le plan pratique et intensifier les contrôles ».

De son côté Walid Bellagha, président de la Chambre nationale des bureaux d’études, de consulting et de formation à l’Utica, les contrôles sont effectués dans les règles de l’art. Il ajoute que la Tunisie compte parmi les pays qui respectent le plus les règlements régissant ce secteur. « Le contrôle et le suivi sont assurés par les ministères de la Santé, du Commerce et de l’Industrie. Tout le monde sans exception est soumis au contrôle périodique par le biais d’équipes de travail au niveau des départements ministériels et des gouvernorats ».

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