Imed Hanana, CIO SCET-Tunisie, Cofondateur SamRise et ex-président Atia, à La Presse : «La Tunisie progresse à deux vitesses dans le domaine de l’IA »
De nos jours, l’intelligence artificielle est devenue une technologie de pointe et semble surgir un peu partout. Elle ne cesse de changer en profondeur notre quotidien, le monde de l’entreprise, les techniques médicales, mais pas seulement… Alors que certaines personnes sont enthousiastes à l’idée des avancées de l’IA, d’autres sont inquiètes quant à son potentiel de remplacement des êtres humains. De l’avis de Imed Hanana, CIO Scet-Tunisie, cofondateur SamRise et ex-président de l’Association tunisienne pour l’intelligence artificielle (Atia), il est essentiel de trouver un équilibre entre l’exploitation de ses avantages et la gestion de ses défis pour assurer un développement responsable et bénéfique à l’heure où le danger potentiel de l’IA dépend largement de la manière dont elle est développée, réglementée et utilisée Entretien.
Comment comprendre, en tant que non-expert, ce qu’est réellement l’IA ? Pourriez-vous nous expliquer comment cela fonctionne ?
L’intelligence artificielle est désormais une réalité incontournable. Elle est omniprésente dans notre vie quotidienne et dans tous les secteurs d’activité et domaines. Mais avant d’aborder la question fondamentale de ce qu’est réellement l’IA, il est essentiel de poser une autre question majeure : pourquoi l’homme a-t-il besoin de l’IA ?
En effet, l’homme est parfois confronté à des problèmes pour lesquels il éprouve des difficultés à trouver des solutions concrètes. C’est à ce niveau-là qu’intervient l’IA, un outil qui permet de virtualiser ces phénomènes et de trouver des solutions en utilisant des modèles mathématiques. L’avantage principal de l’IA réside donc dans sa capacité à aider l’être humain à accomplir plus facilement des tâches difficiles.
Et depuis son avènement, de nombreuses définitions de l’intelligence artificielle existent. Cependant, celle qui me semble la plus aisée à comprendre est la suivante : « L’IA peut se définir comme un ensemble de technologies visant à réaliser informatiquement des tâches cognitives traditionnellement effectuées par l’humain (c’est-à-dire des machines qui peuvent simuler l’intelligence humaine pour accomplir automatiquement des tâches) ».
A titre d’exemple, une voiture intelligente intègre une multitude de programmes d’intelligence artificielle afin d’acquérir la capacité de se conduire de manière autonome.
Et pour revenir à votre question, il faut préciser qu’une intelligence artificielle (IA) fonctionne en imitant certains aspects de la pensée humaine et en utilisant des algorithmes pour résoudre des problèmes. Elle commence par collecter et analyser d’énormes quantités de données pour apprendre des schémas et des informations. Ensuite, elle utilise ces données pour prendre des décisions, effectuer des prédictions ou résoudre des tâches spécifiques, en utilisant des techniques en IA telles que les réseaux neuronaux artificiels ou les techniques d’apprentissage automatique. Et là, il n’est pas inutile de préciser aussi que l’IA s’améliore avec le temps à mesure qu’elle est exposée à davantage de données et d’expériences, ce qui lui permet de devenir plus précise et performante dans ses tâches.
Quid de ChatGPT, le fameux robot conversationnel ?
Comme l’a déclaré Bill Gates, fondateur de Microsoft, « avec l’apparition de ChatGPT, c’est maintenant que commence l’ère de l’intelligence artificielle ».
En effet, aujourd’hui, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle catégorie d’applications basées sur l’intelligence artificielle, appelée « IA générative ». L’un des exemples les plus connus de cette catégorie est le ChatGPT, lancé en novembre 2022, par OpenAI, une entreprise américaine spécialisée dans le raisonnement artificiel dont le siège social est à San Francisco. ChatGPT est un assistant conversationnel intelligent capable d’entretenir des conversations textuelles avec les utilisateurs. Ces IA génératives sont utilisées dans divers domaines et applications, tels que la génération de textes, d’images, de vidéos, de musique et de modèles 3D, entre autres. Elles trouvent leur utilité dans l’art, la création de contenu, la simulation, la modélisation de données manquantes, la génération de scénarios, et d’autres tâches où la création de nouvelles données est nécessaire.
Cependant, elles peuvent être utilisées à bon escient comme des outils pour améliorer la productivité de l’humain, mais elles peuvent également être utilisées à des fins de désinformation et de propagation de fausses informations « Fake news ».
Pour illustrer la puissance des IA génératives, un exemple notable est l’œuvre d’art intitulée « Pseudomnesia : The Electrician ». Cette création a été réalisée par l’artiste allemand, Boris Eldagsen, et a remporté un prix prestigieux dans un concours international de photographie. Cependant, ce qui a suscité l’étonnement, c’est que l’artiste a choisi de refuser la récompense. La raison de ce geste surprenant est que l’œuvre d’art a été entièrement créée par un programme d’intelligence artificielle appelé Midjourney, capable de générer des images à partir de descriptions textuelles.
Certains craignent l’idée que l’IA va nous « dévorer ». Qu’en pensez-vous?
Affirmer que l’IA va nous « dévorer » ou « engloutir » relève quelque peu de la précipitation à l’heure actuelle. Cependant, il est indéniable que l’IA avance continuellement et rivalise progressivement l’humain dans divers secteurs et professions.
En effet, depuis le dévoilement au grand public du robot conversationnel ChatGPT en novembre 2022, l’intelligence artificielle enflamme les conversations. Certains y voient le salut de l’humanité alors que d’autres voient son extinction.
Les partisans de la première thèse considèrent que l’intelligence artificielle pourrait renforcer l’homme. Actuellement, cela se manifeste notamment dans le domaine de la santé, où l’utilisation croissante de l’IA peut assister les professionnels en agrégeant les données de leurs patients. En effet, de nombreuses énigmes médicales ont été résolues grâce à l’exploitation et au traitement de vastes quantités de données de santé par ces systèmes d’IA.
Ici, les exemples ne manquent pas. Aujourd’hui, l’IA peut anticiper les maladies, telles que la maladie d’Alzheimer, avant l’apparition des premiers symptômes cliniques. Un autre exemple, dans l’industrie pharmaceutique, l’IA accélère également le processus de développement de nouvelles molécules médicamenteuses ou la création de nouveaux médicaments, le tout à moindre coût. L’exemple de la molécule « Halicine », développée par une IA pour éradiquer la bactérie responsable de la tuberculose, en est la preuve. D’un autre côté, ceux qui anticipent une possible extinction de l’humanité s’inquiètent du développement exponentiel des algorithmes d’IA et de leur capacité à devenir plus intelligents que l’homme. De nombreux chercheurs et scientifiques, en particulier avec l’émergence de l’IA générative, expriment leur crainte face à des dérives potentielles (supériorité de l’IA sur l’humain, destruction d’emplois…) susceptibles d’affecter la vie de l’humanité. En décembre 2014, Stephen Hawking, le géophysicien britannique, a déclaré: « Une IA pourrait mettre fin à l’espèce humaine ».
Actuellement, plusieurs études et rapports soulignent l’impact de l’IA dans la destruction d’emplois. Selon un rapport publié en mars 2023 par la banque américaine Goldman Sachs, on estime à 300 millions le nombre d’emplois dans le monde que des systèmes d’intelligence artificielle seraient susceptibles de remplacer. Soit environ un quart de l’activité mondiale. Ainsi, deux emplois sur trois seront impactés par l’intelligence artificielle, d’après le rapport de Goldman Sachs.
Les métiers qui peuvent disparaître à cause de l’intelligence artificielle sont les emplois de bureau ou les professions intellectuelles, dite « cols blancs », qui sont les managers, les avocats, les notaires, les médecins, des journalistes, des professeurs, des consultants… Aujourd’hui, les « cols bleus » sont déjà dépassés par les robots pour rassembler des voitures par exemple.
Pour les PME, l’IA est-elle une menace ou une opportunité ?
L’impact de l’IA sur les PME est inévitable et cela dépendra de leur activité et selon la manière dont elle est utilisée et adoptée.
Certes, l’intelligence artificielle est indéniablement plus précise et performante que l’homme dans certains métiers impliquant des tâches répétitives et chronophages. Cependant, elle ne peut pas le remplacer dans les domaines qui requièrent créativité et innovation. Comme le souligne Cédric Villani, mathématicien, homme politique et écrivain français, un métier est défini comme une combinaison de nombreuses tâches.
Donc, l’IA sera comme opportunité pour les PME qui sont innovantes en permanence. Elles vont utiliser cet outil pour automatiser des tâches répétitives et chronophages, permettant ainsi à leurs employés de se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée. Ceci leur permettra de réduire leurs délais et leurs coûts. De plus, l’IA peut leur éclairer leur processus de prise de décision, et ce, en analysant leurs énormes quantités de données en temps réel, les aidant ainsi à prendre des décisions plus éclairées et à anticiper les tendances du marché.
On peut citer l’exemple de l’usage des Chatbots intelligents (basés sur l’IA) par des PME. Ces programmes d’IA leur permettent de gérer plus rapidement et efficacement les requêtes des clients, améliorant ainsi l’expérience client et réduisant la charge de travail du personnel.
En contrepartie, l’IA peut présenter une menace pour les PME qui ne sont pas innovantes, c’est-à-dire celles qui n’ont toujours pas intégré l’IA dans leurs processus. Elles seront moins compétitives par rapport aux PME innovantes. L’IA peut être aussi une menace pour les PME qui sont actives dans le domaine de comptabilité ou d’assurances. Leurs activités seront très touchées et remplacées par ces applications dites IA génératives. Aujourd’hui, il est possible de questionner une IA générative, spécialisée dans la comptabilité ou dans le secteur d’assurance pour en recevoir des réponses très précises et convenables.
Pour ce qui est des ressources humaines, considérez-vous que les robots sont meilleurs que de véritables recruteurs RH ? Comment l’IA est-elle aujourd’hui employée dans ce domaine ?
L’utilisation de l’intelligence artificielle dans le domaine du recrutement des ressources humaines a connu un essor significatif depuis les années 2010, lorsque les entreprises ont commencé à expérimenter des outils d’analyse de données (Big Data) et d’apprentissage automatique pour trier et évaluer les candidatures de manière plus efficace.
Cependant, il est important de noter que ces programmes ne sont pas nécessairement supérieurs aux recruteurs humains, car ils peuvent prendre des décisions inappropriées lorsqu’ils fonctionnent de manière autonome. Un exemple notable est celui d’Amazon en 2018. La société avait développé un système d’IA pour trier les candidatures des demandeurs d’emploi, mais ce système a été critiqué pour son biais en faveur des candidats masculins. Cela s’est produit parce que l’IA avait été formée sur des données historiques de candidatures, qui étaient principalement masculines, conduisant ainsi à une préférence pour les candidatures masculines.
D’un autre côté, l’expertise des recruteurs reste essentielle pour évaluer des éléments tels que le savoir-être d’un candidat, son sens de la créativité, de la communication, du leadership, ainsi que son adéquation avec les valeurs et la culture de l’entreprise.
À mon avis, les IA dans le domaine du recrutement RH peuvent jouer un rôle complémentaire crucial dans l’évolution des métiers des RH. Elles se révèlent particulièrement efficaces pour automatiser des tâches chronophages où la valeur ajoutée du recruteur est limitée. Ainsi, les recruteurs RH peuvent utiliser ces IA pour automatiser diverses tâches routinières du processus de sélection des candidats, de la présélection des CV à l’entretien vidéo automatisé et à l’analyse des compétences.
Intelligence artificielle et action publique, où en sommes-nous au jour d’aujourd’hui ?
Pour répondre à cette question, il est pertinent de souligner qu’en Tunisie le pays progresse à deux vitesses dans le domaine de l’IA.
La première vitesse, qui est relativement lente, concerne les initiatives de l’État. Nous attendons toujours la publication de la stratégie nationale en matière d’IA, dont l’élaboration a débuté le 19 février 2022 avec la signature d’un mémorandum par quatre ministres, Nizar Ben Neji, des Technologies de la communication, Neila Nouira, de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, Samir Saïed, de l’Économie et de la Planification, ainsi que Moncef Boukthir, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Cette stratégie aurait dû être publiée en juin 2022.
Selon des sources officielles, ce travail n’était pas facile compte tenu de l’étendue des domaines à couvrir, notamment le cadre juridique, la stratégie d’ensemble, la réglementation et le plan d’actions. Il semble qu’une première ébauche de cette stratégie ait été préparée et qu’elle sera soumise au conseil des ministres pour approbation. De plus, il semblerait aussi qu’un texte décret soit en cours de préparation en vue de la création d’une nouvelle entité chargée de superviser le secteur de l’intelligence artificielle dans le pays. L’autre vitesse, qui est à mon sens beaucoup plus rapide, concerne l’écosystème des start-up dans le domaine de l’IA. Il se caractérise par une dynamique remarquable et une culture d’innovation foisonnante. Cependant, la loi sur les start-up « Start-up-Act », promulguée en mars 2019, ne suffit plus à soutenir le développement international de nos start-up.
Parmi les problématiques auxquelles les start-up sont confrontées, on retrouve principalement les mécanismes de financement, les modalités d’investissement et l’accès aux marchés. Il est entendu que notre État travaille sur une nouvelle version du « Start-up-Act 2 » pour remédier à ces divers problèmes.
L’humanité se situe-t-elle à un tournant décisif avec une nécessité urgente de régulation ?
Cette question engendre de nombreux débats et controverses au sein de divers acteurs du domaine, qu’il s’agisse des grandes entreprises informatiques, des personnalités emblématiques comme Elon Musk (fondateur de Tesla et SpaceX), de Bill Gates (cofondateur de Microsoft), et de bien d’autres individus. La problématique de savoir si l’humanité se trouve à un tournant décisif, exigeant une régulation urgente de l’intelligence artificielle, est au cœur des discussions actuelles.
En effet, depuis le dévoilement du chatbot conversationnel intelligent ChatGPT, de nombreux avertissements ont été émis. Je peux citer l’avertissement lancé le 25 juillet 2023 par le Montréalais Yoshua Bengio, une sommité de la recherche en intelligence artificielle (IA), sur les dérives potentielles de celle-ci, dans son discours devant la sous-commission du Sénat américain sur la vie privée, la technologie et le droit.
Mais à notre sens, « Oui », l’humanité se trouve à un tournant décisif en ce qui concerne la régulation de l’IA. Alors que cette intelligence artificielle continue de se développer et d’entrer dans de nombreux aspects de notre vie, il devient de plus en plus important d’établir des réglementations pour garantir son utilisation éthique, responsable et en accord avec les valeurs humaines.
Les défis posés par l’IA tels que la perte d’emplois, les biais algorithmiques et les implications sur la vie privée… nécessitent une approche réfléchie et coordonnée pour éviter des conséquences négatives imprévues. La régulation peut aider à établir des normes pour la conception, l’utilisation et la sécurité de l’IA, tout en garantissant une transparence adéquate.
Cependant, il est important que la régulation soit équilibrée afin de ne pas entraver l’innovation et le potentiel positif de l’IA. Trouver le juste équilibre entre régulation et innovation sera un défi crucial pour les décideurs, les entreprises et la société dans son ensemble.
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