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Hazar SOUISSI BEN HAMAD, Architecte : « En conjuguant savoir-faire technique et sensibilité sociale, nous aurons l’opportunité de transformer cette urbanisation chaotique en un modèle de résilience et d’harmonie »

 

On parle de plus en plus d’urbanisation chaotique dans les pays en développement. La Tunisie n’a pas été épargnée, tout au long de ces dernières décennies, par ce phénomène qui a conduit à l’aggravation de divers risques sociaux et environnementaux. Entretien.

Dans tous les pays du monde, l’urbanisation galopante devra en toute logique interpeller les acteurs sur les problèmes et les menaces qui se profilent à l’horizon mais, depuis des décennies on a l’impression que les solutions apportées n’ont pas contribué pour autant à atténuer ce phénomène. Pourquoi selon vous ?

Le secteur de l’habitat demeure toujours un domaine sensible de par son rôle prépondérant dans le processus d’urbanisation. La prolifération des productions informelles constitue une grave perturbation agissant sur le système urbain tunisien. L’urbanisation galopante, dévorant nos territoires, pose un défi sans cesse renouvelé aux acteurs qui tentent d’en maîtriser les contours. La   course effrénée vécue par les villes tunisiennes entre urbanisation et planification révèle non seulement les limites des outils d’aménagement actuels, mais aussi la nécessité d’une révision profonde de notre approche de l’aménagement urbain, de planification et de développement territorial. 

À peine les plans d’aménagement urbain sont-ils adoptés, qu’ils se trouvent déjà obsolètes, supplantés par les nouvelles productions informelles qui prolifèrent à un rythme effréné. Ces documents, censés guider l’avenir de nos villes, apparaissent souvent comme de fragiles esquisses, dépassées dès leur promulgation par l’implacable avance des constructions informelles qui surgissent en dehors de toute prévision. Ainsi, les villes deviennent-elles des témoins impuissants d’un développement qui les dépasse.

Justement quels sont les risques que génèrent les quartiers informels ?

Il faut dire que ces quartiers informels ont tendance à se transformer, se multiplier et s’agréger pour former de nouveaux ensembles, aggravant ainsi les défis urbains. Les tissus urbains qui en résultent souffrent de multiples maux : surchauffe, vétusté des logements, déséquilibre dans l’offre de services publics essentiels et de proximité, absence d’activités économiques, problèmes d’accessibilité, et tensions sociales croissantes.

Sur le plan architectural et urbain, la prolifération de l’habitat informel a engendré de profondes carences en équipements de base, en infrastructures sociocollectives et socioculturelles. Ces réalités se traduisent par des tissus urbains dépourvus d’espaces publics et de zones vertes, où l’architecture dominée par les briques rouges et les fers de poteau en attente, donne à voir un paysage urbain désolant, marqué par une pauvreté esthétique. Les photographies aériennes révèlent de manière frappante la fracture socio-spatiale entre ces tissus informels et les quartiers avoisinants.

Ces risques sont-ils capables d’engendrer d’autres menaces et d’autres défis sur le plan de la gestion ? 

Outre le risque social, ces territoires, devenus dans certains cas, des foyers de terrorisme, de précarité, de chômage, de délinquance et de criminalité, posent des défis de gestion de plus en plus complexes. Le risque environnemental se manifeste de manière éloquente, notamment par la pollution croissante, exacerbée par l’absence de réseaux adéquats pour le drainage des eaux usées et pluviales. 

A son tour, la pollution atmosphérique est le résultat de l’accumulation des déchets sur les trottoirs soit des matériaux de construction des logements en cours, soit les déchets quotidiens. L’impossibilité d’accès aux ruelles et impasses résultant des lotissements clandestins à laquelle se heurte l’engin de collecte des ordures ménagères demeure donc une source de nuisance pour les habitants. La décharge publique de Borj Chakir (Tunis), ainsi que la station d’épuration Al Attar (Séjoumi) n’ont pas freiné la vague d’urbanisation informelle pour le cas de Sidi Hassine. Ensuite les problèmes d’inondation des quartiers implantés sur les berges du lac Séjoumi ont aggravé la crise sanitaire de la commune. 

Le risque sécuritaire est omniprésent, notamment en cas d’incendie, car l’étroitesse des ruelles empêche l’accès des camions des pompiers, rendant toute intervention d’urgence extrêmement difficile. Il est essentiel de souligner que ces habitations créées par autopromotion ou auto-construction ont profondément altéré le cachet architectural des quartiers. Les constructions inachevées s’imposent tel un affront silencieux, constituant une altération esthétique et une nuisance insidieuse pour les habitants, les passants et les citoyens.

Il devient alors impératif de repenser cette urbanisation informelle et ces pratiques délétères afin de sublimer la perception de l’espace urbain et d’en restaurer l’harmonie du paysage urbain. Puisse-t-on un jour parvenir à instaurer un dispositif de sensibilisation et d’accompagnement, allant du permis de construire jusqu’au recollement, pour que l’harmonie urbaine ne soit plus un rêve, mais une réalité tangible.

Quelles sont les causes qui ont conduit à l’émergence des quartiers informels ? 

Au-delà de la croissance démographique et de l’exode rural, il est important de souligner que ces productions informelles ne sont pas seulement le fait des migrants ruraux s’installant à la périphérie des villes. En effet, les populations modestes ont également trouvé dans l’habitat informel une solution à leurs problèmes de logement, face à la crise de l’habitat social et à la rareté des logements sociaux et d’habitations populaires réalisés par le secteur public.

La mise en œuvre de programmes de logement social en Tunisie s’est heurtée à diverses contraintes.

Malgré les objectifs fixés à travers les différents plans de développement, ceux-ci n’ont pas été atteints, en partie en raison de la conjoncture économique que le pays a connue, après les événements de 2011, et plus récemment, à cause de la pandémie de Covid-19, qui a freiné davantage la construction de logements sociaux.

Quelles sont les mesures prises sur le double plan de la réhabilitation et de la rénovation urbaine ?

L’assainissement et la mise à niveau des quartiers informels ont toujours été une préoccupation majeure pour les pouvoirs publics. Depuis les années soixante, diverses politiques ont été mises en œuvre pour y faire face : l’éradication, dans un premier temps, l’intégration dans les années 70, puis la réhabilitation et la rénovation urbaine avec la création de l’Arru (Agence de réhabilitation et de rénovation urbaine ), en 1981.

Les solutions proposées dans le cadre des projets de réhabilitation, de rénovation, de requalification et de régénération urbaine, ainsi que les différents programmes opérationnels exécutés, ont été multiples. Malgré ces efforts, les défis restent nombreux. Nous sommes confrontés à des rythmes profondément contrastés : d’un côté, celui de l’expansion urbaine, et de l’autre, celui des projets de réhabilitation et de rénovation urbaine.

Quelles sont les solutions susceptibles de réhabiliter les espaces dégradés, tout en prêtant main-forte aux quartiers en difficulté ?

Les solutions mises en œuvre jusqu’à présent, telles que l’assainissement, la mise à niveau, la réhabilitation et la rénovation, ont principalement été réalisées en aval, alors qu’il serait plus efficace de planifier des actions en amont. Face à un déficit significatif de logements sociaux, la production de l’habitat et du tissu informels est devenue une réalité indéniable dans les villes tunisiennes. Le logement social demeurera l’une des solutions viables, à condition qu’il s’adresse réellement aux classes sociales dans le besoin, car il a parfois, par le passé, dévié vers les classes moyennes.

En définitive, l’urbanisation galopante en Tunisie représente un défi majeur, marquant les paysages urbains et les réalités sociales de manière indubitable. L’exploration des complexités liées à l’auto- production met en lumière des enjeux cruciaux, révélant à la fois des tensions et des dynamiques d’adaptation au sein des communautés. Alors que ces espaces se développent en marge des réglementations, ils témoignent des aspirations humaines face à une crise persistante du logement.

Pour répondre à ces défis, il est essentiel d’adopter une approche intégrée et collaborative, favorisant le dialogue entre les différentes parties prenantes. La mise en œuvre de solutions innovantes et durables permettra non seulement de réhabiliter les espaces dégradés, mais aussi de donner une nouvelle vie aux quartiers en difficulté.

En conjuguant savoir-faire technique et sensibilité sociale, nous aurons l’opportunité de transformer cette urbanisation chaotique en un modèle de résilience et d’harmonie.

*Hazar Souissi Ben Hamad, architecte  (ENAU), docteur en sciences du patrimoine, maître-assistante en architecture à l’Université de Carthage-ISTEUB.

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