Economie tunisie

Fuite des cerveaux | Comment conjurer une menace sournoise ?

 

Depuis la révolution, les transferts des Tunisiens résidant à l’étranger ont permis de stabiliser l’économie nationale, couvrant une partie importante de la dette extérieure. Cependant, la fuite des compétences, en nette progression, menace cette manne financière. Comment la Tunisie peut-elle inverser la tendance et préserver ce précieux soutien de la diaspora ?

Depuis 2011, avec la baisse de l’activité touristique et la fuite des IDE, les transferts des Tunisiens résidant à l’étranger jouent un rôle clé dans la stabilisation de la balance des paiements. En effet, sans l’apport de ces transferts, la Tunisie n’aurait pas pu honorer ses dettes extérieures en 2023. Selon les déclarations officielles, les transferts des Tunisiens résidant à l’étranger ont couvert près de 65 % des dettes extérieures de la Tunisie au cours de l’année écoulée. Un chiffre qui met en exergue le rôle crucial de la diaspora dans l’économie tunisienne.

Les transferts des TRE triplent en 12 ans

Ce phénomène économique n’est pas propre au contexte tunisien. Il est caractéristique de la majorité des économies en développement. En Tunisie, ces transferts représentaient 6,8 % du PIB en 2021, tandis qu’ils dépassent les 20 % dans d’autres pays africains comme le Sénégal, les Comores ou la Gambie.

Les chiffres officiels montrent une tendance à la hausse, les transferts des Tunisiens résidant à l’étranger ayant triplé en seulement 12 ans pour atteindre plus de 9 milliards de dinars en 2022. Un montant colossal qui contribue à renflouer les caisses de l’Etat et à donner une bouffée d’oxygène aux ménages, dont une partie dépend financièrement de ces envois.

Cette tendance haussière s’explique par l’accélération de l’émigration, tant régulière qu’irrégulière, depuis la révolution. Malgré son poids économique important, la diaspora tunisienne peut encore mieux soutenir le développement économique du pays. Mais alors comment ? Dans son article «Les transferts des Tunisiens résidant à l’étranger : un potentiel sous-exploité», publié dans l’ouvrage «L’économie tunisienne 2024: quel avenir pour la résilience économique», l’économiste Lamia Jaidane Mazigh met en lumière les obstacles qui limitent l’afflux de ces fonds et risquent d’en freiner la croissance à l’avenir.

D’après elle, il est possible d’augmenter ces transferts en fonction de leur coût, actuellement, de l’ordre de 8 %, pour le ramener à 3 %, conformément aux objectifs de développement durable.

Cela permet non seulement d’augmenter les transferts, mais aussi d’encourager leur passage par des circuits financiers formels. De plus, l’application de la nouvelle réglementation de change et la refonte de la gouvernance de la migration pourraient, également, favoriser l’augmentation de ces envois.

Cependant, la Tunisie pourrait voir cette manne financière menacée par un phénomène qui n’a cessé de prendre de l’ampleur : la fuite des cerveaux, un fléau qui a fait son apparition avant 2010, mais s’est accentué après la révolution. Les données officielles montrent que la proportion de migrants diplômés de l’enseignement supérieur est passée de 17 % avant 2000 à 47 % après 2010. Or, plusieurs études indiquent que le niveau de qualification des migrants influence négativement le montant des transferts.

Stimuler les transferts de fonds

La forte intégration dans le tissu social du pays d’accueil et l’intention de s’y installer de manière définitive découragent la diaspora hautement qualifiée à constituer une épargne ou investir dans le pays d’origine. Ainsi, la fuite des compétences pénalise doublement l’économie tunisienne : d’une part, cela implique un manque de ressources humaines qualifiées et, d’autre part, cela pourrait entraîner une réduction des apports en devises provenant des envois de fonds. Selon l’économiste Mohamed Kouni, spécialiste de la question de la fuite des cerveaux, il est impératif de remplacer la politique actuelle d’encouragement à l’émigration, qui est suivie par l’Etat depuis des décennies pour stimuler les transferts de fonds et alléger la pression sur le marché du travail, par une nouvelle approche qui tient compte de la perte progressive des compétences.

En effet, l’économiste explique dans son article «Fuite des cerveaux en Tunisie : déterminants, effets et politique», que l’émigration croissante des travailleurs qualifiés pourrait avoir des conséquences néfastes. Il affirme que si cette hémorragie n’est pas stoppée, le pays risque de faire face à une pénurie de compétences dans plusieurs domaines d’ici quelques années. Cette perte aurait des impacts majeurs affectant directement la qualité du capital humain de la société en raison de la sélectivité élevée des pays d’accueil. Il ajoute que cette fuite exercerait une pression significative sur des services cruciaux, tels que la santé, l’éducation, l’ingénierie et la recherche scientifique, prolongeant ainsi la crise économique et ayant des répercussions sur le pouvoir d’achat, le mode et la qualité de vie des citoyens. D’où la nécessité d’adopter une nouvelle politique, incitative qui encourage les compétences tunisiennes à l’étranger à intégrer davantage le processus du développement du pays, mais aussi à freiner leur émigration en travaillant sur le renforcement de leur lien avec leur pays d’origine. Il s’agit également de mobiliser le «Brain Gain» pour tempérer le «Brain Drain», et ce, en promouvant les liens entre les compétences tunisiennes à l’étranger et leurs homologues restées au pays, à travers la participation aux projets de coopération et le partage de savoir-faire.

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