Feryel Ouerghi, professeure universitaire à l’ESSECT : « Les disparités régionales bloquent le développement de tout un pays”
La solution préconisée par l’économiste Feryel Ouerghi, pour dégager des marges budgétaires nécessaires à l’investissement public, réside dans l’ajustement budgétaire qui permettra de déclencher un cercle vertueux où la relance de l’activité économique entraînera une augmentation aussi bien des recettes de l’Etat que des exportations.
Intervenant lors de la rencontre-débat qui a été organisée par le Forum de l’Académie Politique, en partenariat avec l’organisation allemande Konrad Adenauer Stiftung, sur le thème « Investissement public et développement régional : rôle de l’Etat », Feryel Ouerghi, professeure universitaire à l’Essect, a présenté des pistes de réflexion autour des politiques publiques à adopter, en temps de crise, pour réduire les inégalités en matière de développement régional. A en croire l’économiste, le développement régional a dû faire les frais de la crise économique qui sévit depuis l’apparition de la pandémie et qui s’est aggravée après l’éclatement de la guerre en Ukraine. L’évolution négative de l’indice de développement régional entre 2019 et 2021 (de l’Itceq) en est la parfaite illustration. Les indicateurs relatifs au capital humain, à la santé, à la dimension sociale ainsi qu’au marché du travail ont tous enregistré un net recul au cours des quatre dernières années. La pauvreté a progressé, la qualité de l’éducation s’est détériorée (le nombre d’instituteurs en baisse, l’exacerbation de l’abandon scolaire, la dégradation des infrastructures…etc.) et la capacité des entreprises à recruter a fortement diminué (en raison de la crise).
Un tableau peu reluisant, sur fond de disparités régionales aggravées. “Les disparités régionales bloquent le développement de tout un pays à long terme. C’est pour cela qu’il est très important de considérer les régions dans le développement. Dans le cas contraire, il y aura des difficultés qui seront concentrées dans certaines régions et qui peuvent créer à long terme des problèmes sociaux, tels que la violence, la délinquance… etc.”, a-t-elle commenté.
Des disparités qui font naître de la frustration
La disparité régionale atteint son paroxysme lorsqu’il s’agit de comparaison entre zones rurales et zones urbaines. L’économiste cite, à cet égard, la pauvreté qui s’élève à 26% dans les zones rurales contre 10% dans les régions urbaines. Elle évoque aussi les inégalités en matière de nutrition: les ruraux consomment plus de blé dur (en moyenne 30 kilos de plus que les urbains), moins de viandes et de fruits. Les secteurs de la santé mais aussi de l’éducation ne sont pas épargnés non plus. La différence entre les écoles des villes et celles de la campagne ne fait qu’accentuer les inégalités entre les élèves. “Actuellement, dans les zones rurales ou bien à l’intérieur du pays, l’école n’est plus représentée comme un milieu d’épanouissement pour les élèves. Au contraire, c’est un lieu où se développent les frustrations parce qu’il y a tellement d’inégalités, au niveau de l’instruction des parents, du niveau de vie que cela développe les frustrations des élèves, ce qui les pousse à quitter l’école très tôt”, a indiqué l’économiste.Pour la professeure Ouerghi, les solutions pour endiguer la progression des disparités régionales peuvent être inspirées des diverses expériences menées dans plusieurs pays à travers le monde. Les deux exemples les plus éloquents sont ceux des pays émergents et des économies européennes. Alors que les premiers ont choisi d’adopter des programmes sociaux afin de protéger, en période de crise, les classes les plus démunies et freiner la pauvreté, les économies avancées des pays européens, emportés par la crise des subprimes, ont dû engager des plans d’austérité, et ce, avec des conséquences désastreuses sur la société. “Si l’Etat, en temps de crise, ne parvient pas à protéger les classes les plus démunies, un sentiment de frustration naîtra chez ces classes qui se sentent abandonnées. La criminalité va augmenter et la situation basculera vers une crise sociale”, a ajouté Pr Ouerghi.
Pointant le retard accusé dans la mise en œuvre des réformes structurelles, l’intervenante a expliqué que le facteur temps est, dans ce contexte, important puisque tout retard se traduit par une réduction de la marge de manœuvre budgétaire. La boussole étant orientée vers la création des richesses, la priorité doit être accordée, selon l’économiste, au remboursement de la dette mais aussi aux régions pour limiter les disparités régionales.
Les actions à entreprendre
La solution préconisée par Pr Ouerghi réside dans l’ajustement budgétaire (une meilleure affectation des ressources publiques afin de relancer les investissements publics) qui permettra de déclencher un cercle vertueux où la relance de l’activité économique entraînera une augmentation des recettes pour l’Etat mais aussi des exportations, un gage de paiement des dettes. “C’est l’Etat qui fixe les priorités à engager à travers les études d’impact. Ces priorités doivent être identifiées en fonction des retombées les plus rapides, et ce, pour pouvoir accélérer la reprise des entreprises privées”,a-t-elle commenté.
Elle a ajouté que la Tunisie, étant contrainte par ses engagements, n’a pas la marge budgétaire nécessaire lui permettant de réaliser des investissements dans les domaines de l’éducation et de la santé et de réduire la pauvreté. “Il faut augmenter le budget de l’Etat et ce n’est possible qu’à travers la redynamisation du système productif”, a-t-elle ajouté. Pour ce faire, plusieurs conditions doivent être réunies. Il s’agit principalement de mettre en œuvre les réformes structurelles, réformer la fonction publique, promulguer une loi de responsabilité budgétaire, améliorer la transparence de la gouvernance et moderniser l’administration publique. S’agissant de la mobilisation des ressources, l’économiste met en garde contre l’augmentation des impôts et appelle à l’élargissement de la base imposable, la lutte contre l’économie informelle et l’évasion fiscale et la réduction des dépenses budgétaires.
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