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Femmes «barbechas» : Celles qui militent dans le noir…

La Presse — L’article premier de la déclaration universelle des droits de l’Homme stipule que «tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits». Ce principe fut déclaré comme repère humanitaire, législatif, économique et social à la fois, en 1948. De nos jours encore, il demeure utopique ! Et même dans les pays où la suprématie de la Loi est indéniable, des injustices continuent à être enregistrées et admises. Partant de ce constat, l’Union nationale de la femme tunisienne (Unft) a saisi l’occasion de la célébration, le 10 décembre, de la Déclaration universelle des droits de l’Homme pour zoomer sur les conditions dégradantes des femmes «barbechas», ou celles qui fouillent dans les poubelles et dans les décharges pour gagner leur vie. Il s’agit d’une étude qui a été réalisée du 1er au 10 juillet 2024, sur un échantillon représentatif de 116 femmes barbechas mobiles au Grand Tunis. Les résultats ont été dévoilés lundi dernier à Tunis.

L’injuste paradoxe !

Elles sont de plus en plus perceptibles dans les rues, traînant inlassablement une charrette ou simplement un gigantesque sachet,  rempli de dizaines de bouteilles en plastique ou encore de pain dur. Ces femmes de plusieurs tranches d’âge sont toutes sous l’emprise de la précarité. D’après l’estimation de l’Agence nationale de gestion des déchets (Anged), leur nombre se situe aux alentours de huit mille. «Un maillon fondamental d’une chaîne de valeur à forte valeur ajoutée, ces femmes contribuent à la collecte, au tri et au recyclage des matières recyclables», affirme Mme Maha Bergaoui, présentant l’enquête. Leur terrain de travail n’est autre que les 2,4 tonnes de déchets ménagers que le Tunisien produit par an. C’est dire l’importance de ce travail, pourtant informel, dans le circuit de la gestion des déchets, laquelle figure parmi les objectifs du secteur formel par excellence.

En proie à la vieillesse et à la nécessité

En présentant les résultats de la présente enquête, Mme Bergaoui éclaire l’assistance sur le profil des femmes barbechas. Ce sont, pour la plupart, des femmes vulnérables, en raison de leur solitude face aux soubresauts de la vie : des veuves, des divorcées, des célibataires, sans enfants ni appui ou encore des femmes mariées (47%) qui prennent en charge un mari sénile, un enfant handicapé… Ce sont généralement des femmes assez âgées d’ailleurs !  En effet, 32% d’entre elles sont âgées entre 51 et 60 ans et 26% entre 61 et 70 ans. L’enquête montre que 56% des femmes barbechas sont analphabètes, 22% d’entre elles ne bénéficient pas d’une carte de soins. La moyenne du nombre d’enfants est de 2,39.

Quand le physique craque, le moral aussi…

S’adonnant à un travail pénible, qui nécessite de l’effort physique ainsi que le fait de supporter, chaque jour, des fardeaux lourds, les femmes barbechas succombent plus facilement que d’autres aux différentes maladies, notamment les rhumatismes, les maux de dos, l’hernie discale, mais aussi les allergies ainsi que des maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension artérielle et l’hépatite. L’enquête révèle, en outre, l’addiction au tabac qui concerne une femme sur dix. Notons que certaines d’entre elles souffrent de troubles psychologiques ou psychiatriques.   

Il est intéressant de savoir, aussi, que certaines disposent d’un savoir-faire autre que la collecte des déchets. Certaines ont suivi une formation, d’autres ont tâté d’autres petits boulots. D’ailleurs, 22% des femmes enquêtées ont un deuxième travail ; elles font généralement le ménage chez des particuliers.

Le secteur formel leur tourne le dos !

S’agissant de leur travail comme barbechas, l’enquête montre qu’un tiers des femmes enquêtées travaillent à mi-temps, alors que les deux tiers restants à plein temps, dont plus d’un tiers sept jours sur sept. Et ce qu’elles gagnent de ce travail à haut risque pour leur santé mais aussi pour leur dignité — vu qu’elles ne sont pas reconnues par le secteur formel en tant que pilier de la gestion des déchets recyclables et ne bénéficient pas de leurs pleins droits — se limite à dix dinars par jour, soit 300dt par mois. En dépit du faible rendement de leur métier, 63% des barbechas avouent tenir bon et persévérer dans ce métier. Cela dit, 67% d’entre elles souhaiteraient bénéficier de meilleures opportunités, notamment des formations professionnelles à même de leur ouvrir la voie à l’intégration dans le secteur formel.

La présente enquête met à nu une réalité que l’on observe tous les jours au point même de la normaliser. Or, elle restera une injustice, tant que les parties concernées n’ont pas œuvré pour changer les choses pour le mieux. «Nous ambitionnons de créer des collaborations avec les parties concernées afin d’accorder à ces femmes leurs droits pourtant les plus élémentaires, notamment un suivi social, un suivi médical, un encadrement psychologique, des actions de sensibilisation à l’hygiène, à l’importance du dépistage des cancers féminins et bien d’autres composantes qui leur manquent. Nous aspirons aussi, voire surtout, à soutenir leur intégration dans le secteur formel», conclut Mme Bergaoui. Soit. Qu’en est-il des enfants des quatorze femmes enquêtées qui soutiennent leurs mamans dans ce travail ? Qu’en est-il de leurs droits à la dignité, à la santé, aux conditions d’une vie congrue ?

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