Evasion fiscale : Les créateurs de contenu dans le collimateur du fisc
Exerçant longtemps dans l’illégalité, alors que la loi tunisienne semble dépassée par la rapidité des nouvelles inventions technologiques, les créateurs de contenu et les influenceurs sont désormais dans le viseur du fisc.
C’est en tout cas ce qu’a annoncé récemment la ministre des Finances, Sihem Nemsia, lors de la plénière consacrée à la discussion du projet de loi de finances pour l’exercice 2024. Précisant que pour ces créateurs de contenu, la fin de la récréation a été sonnée, elle a annoncé la mise en place d’une unité consacrée aux investigations dans le but d’optimiser la rentabilité fiscale de ce secteur qui a longtemps échappé au contrôle de l’Etat. Pour résumer, le fisc va traquer, et a déjà commencé à le faire, les revenus de ces influenceurs et créateurs de contenu.
En effet, la mission de ladite unité est «d’exploiter toutes les informations obtenues par les services fiscaux via les réseaux sociaux, concernant des personnes ou des activités, afin de régler de nombreuses situations fiscales, notamment celles liées aux créateurs de contenu et aux prestataires de services sur les plateformes de médias sociaux», selon la ministre.
«Cette commission a abouti à l’intégration de 20 mille créateurs de contenu et prestataires de services sur les médias sociaux tels que Facebook, Instagram et TikTok dans le système fiscal ordinaire», a-t-elle expliqué.
Et de révéler que dans le cadre de la lutte contre l’évasion fiscale et de l’élargissement de la base fiscale, ainsi que de l’intégration des redevables, les recettes fiscales provenant de ces activités ont atteint près de 1,2 milliard de dinars. «De plus, 140 personnes parmi les créateurs de contenu et les prestataires de services sur les réseaux sociaux ont été soumises à une surveillance fiscale et ont été appelées à verser des paiements d’un montant estimé à 14 millions de dinars», a-t-elle encore dit à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Les revenus générés par les créateurs de contenu, que ce soit via des plateformes de streaming, des publicités, des partenariats, etc., doivent être déclarés aux autorités fiscales, puisque nous évoquons une activité commerciale lucrative. Les influenceurs qui génèrent de l’argent grâce à leur activité en ligne, telle que les revenus publicitaires, les commissions d’affiliation et les recettes de vente directe, perçoivent des revenus professionnels et doivent, donc, être soumis à l’impôt. Or ce n’est pas souvent le cas en Tunisie. D’ailleurs, l’imposition de ces revenus a toujours été au cœur du débat puisque ces personnes semblent bénéficier de lacunes juridiques et d’un manque de mécanismes de contrôle.
Comment se passent les choses ?
Pour mieux comprendre, nous avons contacté un créateur de contenu qui nous a expliqué davantage la complexité de ces transactions. Sous le couvert de l’anonymat, il explique que ses revenus, qui lui permettent de gagner sa vie, sont issus notamment des partenariats de publicité. Actif dans le domaine du gaming, il explique que, généralement, ces transactions passent par des agences de communication et de publicité dont l’activité est déjà soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. «Mais souvent, des sociétés de jeux, d’informatique et de matériel bureautique font des placements publicitaires directement sans intermédiaire et ces transactions ne sont soumises à aucun contrôle», témoigne-t-il.
Et d’ajouter que certains créateurs de contenu choisissent de créer leur propre entreprise ou de devenir travailleurs indépendants, tandis que d’autres préfèrent rester des particuliers dans l’illégalité.
Autant rappeler qu’en Tunisie, la majorité des transactions relatives surtout à des partenariats rémunérés entre des sociétés ou des régies publicitaires et des influenceurs se font d’une manière anonyme sans aucune traçabilité, car nous évoquons en général des sommes inférieures à cinq mille dinars, ce qui est permis par la loi tunisienne. De même, l’Etat n’a aucune visibilité ni identification fiscale de ces individus puisqu’il n’existe aucun statut légal qui définit leur activité.
Des empires financiers ?
Facebook, Instagram, YouTube et TikTok, ce sont les quatre plateformes qui monopolisent l’activité de ces influenceurs devenus des stars contemporaines et dont les comportements et les pratiques posent vraiment problème. Renforçant la culture du buzz et frappant tout principe de respect de la vie privée, ces jeunes n’ont plus aucune limite dans cette quête de popularité.
D’ailleurs, tout tourne autour d’un contenu jugé médiocre qu’ils présentent afin de séduire la foule sur les réseaux sociaux.
N’empêche que d’autres personnes présentent un contenu respectable et ouvrent le débat autour de sujets intéressants et constructifs.
Mais encore faut-il le rappeler, pour certains nous évoquons en effet un empire financier dont les origines ne sont pas connues et dont les transactions échappent complètement à tout contrôle, alors que les travailleurs et les salariés continuent de financer les revenus de l’Etat.
Or sous d’autres cieux, même si les défis sont énormes puisqu’il est difficile de traquer ces individus, des progrès ont été réalisés. En Europe et plus précisément en France par exemple, les créateurs de contenu peuvent choisir de travailler en tant qu’auto-entrepreneurs (micro-entrepreneurs), indépendants, ou en créant une société.
Au Maroc, ces personnes seront prochainement soumises à des impôts spécifiques sur leurs revenus. Dans ce pays, la Direction générale des impôts prépare déjà un cadre spécifique à cet effet pour combler ce manque à gagner, puisque ces métiers sont très prisés par les jeunes.
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