Entreprises : La recherche scientifique, un des moteurs du développement de la Tunisie
Chaque année, les chercheurs et doctorants (un peu moins de 14.000 en 2023, d’après les chiffres publiés par la Dgrs) produisent des centaines de travaux de recherche fondamentale et appliquée, ainsi que de recherche-développement. Mustapha Boubaya, consultant en management de l’innovation & entrepreneuriat, indique que les résultats de ces travaux de recherche scientifique peuvent faire l’objet d’un processus de valorisation visant à impacter l’économie nationale en aboutissant, directement ou indirectement, à la mise au point de procédés nouveaux ou améliorés qui sont exploités par des entreprises existantes ou des entreprises à créer.
Faute de valorisation et d’exploitation économique, ces résultats demeureront sans effet économique et sans valeur ajoutée autre que celle des publications scientifiques et académiques. Et resteront, par conséquent, dans les tiroirs des entités de recherche qui les ont produits. Ce qui constitue un manque à gagner pour l’économie et une occasion perdue d’utiliser les innovations et inventions réalisées pour générer de manière industrielle de la valeur sur le marché et en tirer des bénéfices pour le développement économique du pays.
Les projets de recherche aboutis sont, généralement, à un niveau de maturité qui les rend proches aussi bien de l’industrialisation que du marché. Mais ils n’ont à leur disposition, actuellement, qu’un seul instrument de financement: le budget annuel affecté à la Valorisation des Résultats de Recherche, communément appelé VRR.
Un long processus complexe
Selon Boubaya, «pour accéder au VRR, et c’est le défi majeur, les chercheurs doivent passer par un processus d’une quinzaine d’étapes: appel à projets, élaboration du dossier de projet, recherche du partenaire économique, évaluation du projet par des experts, convention tripartite (chercheur, établissement, entité bénéficiaire), étude technico-économique, obtention du financement, création de l’entreprise, démarrage de l’activité de production, etc.».
Ce long processus complexe n’est plus adapté, même si on peut le justifier, dans la mesure où plusieurs de ses étapes sont inutiles et sans une réelle valeur ajoutée. Il en est ainsi des étapes d’évaluation et d’examen pour avis, qui se font par une approche académique le plus souvent déconnectée de l’objectif de transfert du savoir-faire sur le marché, par des experts ou enseignants connaissant peu le monde de la production économique et sans expérience significative des problèmes de valorisation sur le terrain.
Par ailleurs, les chercheurs doivent aller chercher eux-mêmes la participation des entreprises privées à leurs projets de recherche, en écoutant les besoins des entreprises et en adaptant les projets à ces besoins. Ce qui n’est pas toujours aisé, faute de connaissances ou de réseau de contact.
Un autre défi est lié à la faible visibilité et la difficile lisibilité des instruments de financement de la recherche collaborative, avec les milieux économiques, qui constituent un autre handicap de taille à la bonne volonté des chercheurs. Ainsi, et à défaut d’une plateforme en ligne d’information sur les instruments financiers disponibles et sur les opportunités de collaboration Recherche-Entreprise, même les résultats de recherche aboutis et valorisables seront invisibles.
Il est à noter que la Tunisie dispose de plus de 30 centres de recherche et de plus de 800 petites structures (laboratoires et unités) de recherche qui présentent une dizaine de projets de valorisation par an, dont la moitié environ est retenue, avec seulement quelque 90 projets financés par le dispositif VRR sur une période de 20 ans, ce qui est marginal par rapport au potentiel réel disponible notamment dans les centres de recherche.
Par conséquent, et « en extrapolant, les projets recensés auprès des 5 entités de recherche au sein desquelles on a recensé plus d’une soixantaine de projets identifiés valorisables en 2012, la Tunisie disposerait d’un potentiel de quelque 180 à 200 projets de résultats de recherche valorisables chaque année, et ce, uniquement pour les 15 centres de recherche scientifique à caractère technique ou technologique, et sans compter le potentiel de projets valorisables en industrie culturelle et créative, qu’on peut estimer au double », souligne Boubaya .
Impact économique
L’impact économique de la valorisation des résultats de recherche sont quasiment les mêmes que tout investissement innovant : nouveaux produits industriels, production de nouvelles richesses, création de nouveaux emplois hautement qualifiés et moins qualifiés, exportation des nouveaux produits sur de nouveaux marchés et la résolution de problèmes sociotechniques insolubles jusque-là.
Aux dires de Boubaya, la valorisation des résultats de recherche, tant pour les projets aboutis et non-exploités que pour les projets à venir, pourrait être à l’origine de la création de plusieurs centaines d’entreprises et de milliers d’emplois par an, « si on consacrait le concept d’entreprise issue de l’essaimage scientifique disséminant les résultats de la recherche dans l’économie ».
De l’avis de l’expert, trois facteurs essentiels doivent être réunis pour une collaboration fructueuse entre le monde de la recherche scientifique et le monde économique : une proximité entre les chercheurs et les entreprises économiques, un instrument financier adapté aux besoins des premiers et aux contraintes des secondes et la protection de la propriété intellectuelle, sans laquelle le «savoir produit» et le «savoir-faire capitalisé» ne seraient pas au service du «savoir-être collaboratif» qui garantit les droits des uns et des autres dans une stratégie gagnant-gagnant.
De même, «il faudrait penser à remettre en place un «Fonds-innovation de pré-amorçage et d’essaimage», à l’instar de celui qui a été initié par le ministère de l’Enseignement supérieur en 2016-2017 dans le cadre du Programme PAQ, en attendant de doter la Tunisie d’un «Fonds national de pré-amorçage», dont l’étude de faisabilité a été réalisée depuis une douzaine d’années sur une initiative de l’ancien ministère du Développement des investissements et de la Coopération internationale ».
Obstacles juridiques ou réglementaires
D’un autre côté, Boubaya précise que le 1er cadre juridique à réviser devrait être la Loi d’orientation de janvier 1996, relative à la recherche scientifique et au développement technologique, qui a pris de l’âge aujourd’hui et mérite une refonte bien plus en profondeur que la modification dont elle a fait l’objet en 2022 sur la mobilité des chercheurs.
Cette refonte concernerait particulièrement : l’instauration de modes de valorisation des résultats de recherche auprès de toute entité économique, suivant des modalités souples et responsabilisantes pour les centres et laboratoires de recherche, l’incitation à exploiter les inventions et innovations réalisées par les chercheurs qui en sont les auteurs, la mobilisation des chercheurs pour aller sur le terrain et aider les entreprises à créer des projets économiques innovants, la généralisation des structures d’interface entre les universités et les entreprises. Ceci outre la réforme des instruments de financement de la recherche collaborative et des technologies (PRC, PFR, VRR) en prévoyant la possibilité de cumuler ces financements avec ceux d’autres instruments dédiés à la recherche et l’innovation, à la recherche-développement et aux investissements technologiques, la facilitation de l’accès aux opérateurs spécialisés dans le soutien au montage et au pilotage des projets de recherche collaborative avec les Entreprises économiques, quel que soit le lieu d’implantation de ces projets (Centre ou laboratoire, pépinière, incubateur, technopôle).
Le 2e texte important à réviser, consécutivement à la refonte de la loi d’orientation, devrait être le décret de juillet 2002 fixant les conditions et modalités de la mobilité des chercheurs, afin d’octroyer aux chercheurs des incitations financières et professionnelles motivantes pour la mobilité, d’instituer de nouvelles formes de mobilité des chercheurs, à plein temps ou à temps partiel, vers les milieux économiques, de préserver les liens avec les universités et la recherche scientifique et de prévoir un dispositif permettant d’associer les compétences tunisiennes à l’étranger.
Et de conclure : «Je pense que le temps est venu pour décloisonner également les instruments de financement de notre système de recherche et d’innovation, à la faveur d’une refonte de leur cadre juridique, afin de lever toutes les insuffisances et contraintes financières qui font obstacle à la transformation des projets aboutis de recherche scientifique, et validés sur le terrain ». Car, comme l’a souligné le directeur général de l’Anpr, les résultats de la recherche profitent à l’économie et à la société tunisienne, grâce à une recherche scientifique devenue l’un des moteurs du développement de la Tunisie.
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