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Enseignement supérieur : Ces têtes déjà bien faites qui prennent le large

L’État devra (pourquoi pas ?) demander aux bacheliers à qui l’on octroie des bourses d’études de signer un engagement au profit de la Tunisie, avec le suivi qui s’impose. Ces étudiants qui sont pris en charge par le contribuable tunisien doivent payer leurs dettes envers le pays. Sinon à quoi bon envoyer le meilleur cru de chaque saison à l’étranger, les meilleures moyennes à l’échelle nationale, sans contrepartie aucune ?

Le bac en poche, chaque année, ils sont plusieurs centaines si ce n’est des milliers à quitter définitivement la Tunisie. Les plus brillants de nos bacheliers, précieuse sève d’un pays désireux de lendemains meilleurs, sollicitent les universités françaises, allemandes, anglaises, américaines, canadiennes et autres.

En 2022, quelque 76.659 bacheliers ont quitté la Tunisie pour rejoindre des universités à l’étranger, selon l’Office des Tunisiens à l’étranger (OTE).Ce nombre était de l’ordre de 76.023 en 2021.

La France figure en tête de liste des pays qui accueillent les étudiants tunisiens avec 57,9% soit 44.355 étudiants, ensuite, c’est au tour de l’Allemagne avec 11%, et 8.497 étudiants, où l’on enregistre une progression de 13% en comparaison de 2021.

Pour ce qui est de l’année universitaire 2022-2023, sur un total de 17.268 étudiants partis poursuivre leurs études supérieures à l’étranger, 6.962 d’entre eux ont préféré la France, 3.185 ont opté pour l’Allemagne, 1.090 ont choisi l’Espagne, 858 le Canada et 800 la Russie, selon le ministère de l’Enseignement supérieur. Ce grand exode des bacheliers interpelle et attriste dans la mesure où le pays sera privé d’un précieux capital humain fort utile à son développement.

La Tunisie, non merci !

« Mon avenir, je ne le vois pas ici », « Je ne veux pas perdre mon temps et ma vie ici », « La Tunisie, non merci ! », ces phrases reviennent souvent.

Qods, une bachelière que nous avons abordée, a eu son bac, haut la main, avec 17 de moyenne, section sciences naturelles, rejoindra prochainement une université de médecine en France.

« C’est dur de partir, matériellement comme psychologiquement. Mais je m’accroche à mon rêve d’être diplômée d’une université de renommée internationale. Je veux poursuivre mes études universitaires dans de bonnes conditions, aussi bien au niveau des moyens qui sont mis à notre disposition que pour ce qui concerne l’épanouissement personnel et culturel », justifie-t-elle.

Elle ne compte, malheureusement, pas revenir travailler en Tunisie. Ce pays qui « maltraite ses compétences » et semble « mettre tout le monde dans le même sac », selon elle.

Seul le mérite compte

« Travailler en tant que médecin pour le service public m’est, à bien des égards, une torture. Les conditions de travail indécentes, la rémunération faible, voire très faible, les infrastructures vétustes sont dissuasives », se désole-t-elle.

N’y allant pas par quatre chemins, Mehdi détient un baccalauréat en informatique avec 16 de moyenne. Tout comme Qods, il ira chercher ailleurs ce que la Tunisie ne lui offrira pas. « En Allemagne, je vais pouvoir étudier et travailler en même temps. Je réaliserai autant de choses en si peu de temps. Là-bas, les lois sont faites pour faciliter la vie des gens et seul le mérite compte. Je veux bâtir mon avenir dans un pays qui récompense l’effort, un pays où j’aurai facilement les moyens de mes ambitions », ambitionne le bachelier.

Un ingénieur en informatique qui touche entre 1000 et 1500 dinars représente une humiliation, voire une sorte d’asservissement et d’exploitation à ses yeux.

« Pour ma part, il ne fait pas bon vivre dans un pays qui transforme ses diplômés du supérieur en chômeurs nécessiteux. Je veux vivre dans des contrées où les dieux créent les odeurs et les hommes fabriquent des parfums », analyse-t-il avec poésie.

Un modèle de développement à revoir

Bien que synonyme de fuite des cerveaux, ce grand exode ne doit pas être associé à une fatalité, de l’avis du spécialiste en éducation, Riadh Boubaker.

« Il ne faut pas trop dramatiser la chose. Cet exode a ses avantages et ses inconvénients. Si nos bacheliers brillants parviennent à intégrer les plus prestigieuses universités internationales, c’est qu’ils disposent des qualités requises pour le faire. Par conséquent, la qualité de notre formation est bonne et tient encore la route quoi qu’on dise. Parmi ces futures compétences, il y aura certainement des revenants et on profitera de leur expertise », argumente notre interlocuteur.

D’un autre côté, l’expert met en cause un modèle de développement hérité des années 1970 aujourd’hui totalement dépassé. « On ne peut pas demander à un bachelier brillant ou même d’un niveau moyen de rester au pays, alors qu’il sait très bien qu’après des années de labeur, il touchera, une fois embauché, un salaire médiocre. Dans ce monde hyper-connecté, nos jeunes sont au courant de ce qui se passe en Amérique, en Europe, partout. Ambitieux, ils chercheront des contrées où ils seront en mesure de réaliser leurs rêves. Ces jeunes intelligents et doués sont demandeurs du plus, du meilleur et veulent croquer la vie à pleines dents. On ne va pas pouvoir les retenir sans préparer les conditions appropriées», décrypte l’expert.

Il faut apprendre à payer ses dettes

L’État devra (pourquoi-pas ?) demander aux bacheliers à qui l’on octroie des bourses d’études, de signer un engagement au profit de la Tunisie, avec le suivi qui s’impose. Ces étudiants qui sont pris en charge par le contribuable tunisien doivent revenir payer leurs dettes envers le pays. Sinon à quoi bon envoyer le meilleur cru de chaque saison à l’étranger, les meilleures moyennes à l’échelle nationale, sans contrepartie aucune ? La signature de contrats doit garantir une mise à disposition d’au moins cinq ans de ces jeunes brillants au profit du pays natal.

L’Etat est appelé, de son côté, à leur fournir un salaire conséquent et des conditions de travail décentes. C’est ainsi qu’on rendra à César ce qui est à César.

Toutes les raisons avancées ci-dessus expliquent, au demeurant, le grand exode des plus brillants de nos bacheliers que ce soit à leurs frais ou aux frais de l’Etat au profit des pays d’accueil. Et comme nous l’avons constaté par le biais des témoignages, les jeunes bacheliers n’admettent plus de vivre comme leurs parents. Dépendants de services publics de piètre qualité, notamment en matière de santé et d’éducation, de la bureaucratie et de certaines lois qui continent à compliquer la vie des gens. Autant de facteurs qui  poussent ces têtes déjà bien faites à prendre le large. Hélas, une grosse perte pour la nation !

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