En hommage posthume à l’artiste peintre contemporain Abderrazak Sahli : L’art d’Abderrazak Sahli serait-il un jalon entre deux périodes de l’histoire des arts plastiques en Tunisie ?
Crédit photos : Par Amel BOUSLAMA
Par Amel BOUSLAMA
Tout au long de sa carrière d’artiste peintre et plasticien, Abderrazak Sahli (30/12/1941-24/2/2009), natif de Hammamet, a eu le mérite d’instaurer un art à la démarche exclusive. Il est cet artiste d’envergure internationale connu dans plusieurs pays du monde arabe et occidental. Tout en étant très proche de sa terre natale et de sa réalité quotidienne, il a su bâtir une expression artistique novatrice et ouverte, dite contemporaine.
«Je me rappelle, avec compassion, combien Abderrazak Sahli se battait contre vents et marées pour fonder une galerie municipale d’art contemporain dans son lieu natal Hammamet, afin d’installer une tradition artistique dans la ville où seul le tourisme de masse comptait et avait droit de cité. Malheureusement, ses multiples tentatives et efforts ont abouti à des résultats éphémères ! Ainsi, il encourageait par exemple ses cadets à exposer, dont moi-même, quand en août 1988, il m’a proposé de monter ma première exposition individuelle à l’Espace Amat Al rahman. Il s’activait aux yeux des responsables municipaux pour en faire une galerie d’art contemporain. Par ailleurs, pendant les années 80, avec un groupe d’artistes plasticiens et d’amis de notre ville, il a fondé aussi une association appelée «Association des artistes peintres de Hammamet et de leurs amis».
Dans le texte d’introduction du catalogue d’exposition qui réunit les œuvres de 140 artistes plasticiens tunisiens «Tunisia : Turbulences» Collection Benetton, 2014 Fabrica, Aïcha Filali (plasticienne, universitaire et critique d’art) témoigne en introduction de l’innovante spécificité de l’œuvre de Abderrazak Sahli dans son texte «Un siècle d’art en Tunisie» :
«Le premier artiste, qui incarne avec le plus de justesse ce passage, est sans doute Abderrazak Sahli (1941-2009) dont l’expression touche à tous les registres de la forme, sans l’assujettir à un genre unique ou à une discipline tranchée des Beaux-arts. Sahli peut être considéré comme un passeur d’une séquence à une autre de la courte histoire de l’art tunisien, avec ses travaux sur des supports les plus variés, collectés au cœur de la vie quotidienne».
Interdisciplinarité de l’œuvre de Abderrazak Sahli
À propos de ce que ce «passeur» entre deux périodes de l’histoire des arts plastiques tunisiens «collecte au cœur de la vie quotidienne», nous relevons une panoplie d’objets dessinés et peints (baguette de pain, son compagnon le caniche Pipo, …), utilisés comme support (bakou, sakhan, toile de jute, pantalon, salopette, …), technique (pochoir, pointillisme, découpage, …), médium (poudre de henné, de corète …) etc.
L’installation au sol d’Abderrazak Sahli : Éphémère II, 2007, poudre d’henné, Osnabrück, Allemagne
À titre d’exemple, les formes peintes sur la toile de jute ou perforées dans le tissu ordinaire blanc cassé, appelé en tunisien «malti», sont disposées dans tous les sens, comme si elles flottent, vainquant de la sorte toute pression atmosphérique ou, comme si elles émergent sur la surface d’un liquide. Flottement dynamique de formes d’objets et de personnages tirés du quotidien aux couleurs contrastées et poussées parfois jusqu’à son paroxysme, générant mouvement et d’expérimentales confrontations chromatiques. Des motifs librement composés font partie d’une approche picturale nommée «Figuration libre». Mais, à mon sens, vu la contemporanéité de sa démarche qui a évolué au fil des années et vu le contexte différent, personnellement je ne vois pas sa pratique classer sous la bannière d’un mouvement et d’une tendance en particulier. À lui seul, l’apport de Abderrazak Sahli constitue, pourrais-je dire, une tendance. Sa multidisciplinarité (peinture, gravure, céramique, sculpture, performance, photographie) s’invente tout en s’inscrivant dans le quotidien avec les couleurs du local. Mais plus que tout, c’est la notion d’interdisciplinarité qui domine dans l’œuvre de notre artiste, conjuguant et faisant interagir photo et peinture, performance et écriture, découpage de tissu et installation, etc.
Dimension épicurienne de Abderrazak Sahli
Il était un artiste proche des autres par la joie, la bonne humeur, l’humour qu’il semait autour de lui à tout bout de champ. Par exemple, il ne ratait pas l’occasion de fêter l’instant autour du plus simple mets. Notre artiste cultivait, ce qu’on pourrait appeler le plaisir de vivre. En somme, il avait tout d’un épicurien.
Avec lui, je me souviens comme hier de nos rendez-vous matinaux pour aller apprécier ses nouvelles créations picturales en dégustant un brunch estival sous sa vigne à Hammamet. Dans sa petite maison de la rue du stade — avoisinante de la nôtre —, je me rappelle avec bonheur ces instants de joie et de bonne humeur, qui étaient agrémentés de rires à gorge déployée !
Même quand le moment ne s’y prêtait pas, il trouvait le moyen de rendre la vie supportable par sa profonde sensibilité humaine et sa joie de vivre. Son art, fourmillant de vie et de bonheur d’être, est peuplé de formes, de couleurs et de mots, lesquels sont devenus des signes à décoder.
En m’adressant à cet artiste parti un peu tôt, je dis : Paix à ton âme Rzouga, par ton art, tu as brisé tant de chaînes, tant de tabous ! Ta poésie sonore, sérieusement et intelligemment conçue, tu la jouais avec simplicité, intensité et une économie de moyens.
Hors des sentiers balisés, ayant le courage d’être libre et différent, tu as signé, Abderrazak Sahli, avec des lettres en or ton nom dans l’histoire de l’art de ton pays et d’ailleurs. Demeure éternellement en paix l’artiste au grand cœur, le complice et le grand frère de l’art.
A.B.
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