Economie informelle : La lutte contre l’économie non structurée, un combat de longue haleine
L’économie informelle peut se définir, théoriquement, par toute activité économique lucrative exercée par des hommes ou des entités économiques sans être couverte par des dispositions officielles, lois, réglementation et sans détention de comptabilité. C’est une évolution, dans le temps, de plusieurs appellations: marché noir, marché parallèle, économie non structurée, économie informelle…
L’existence de l’économie informelle est en parfaite corrélation avec le niveau de développement des pays. Le secteur informel, lié étroitement à l’emploi informel, prend de l’ampleur dans les pays sous-développés. En Tunisie, la définition adoptée par l’INS dans son évaluation du secteur informel est ainsi : «Le secteur informel est constitué d’unités économiques, quel que soit leur statut (employeur, indépendant, compte propre, etc.) et leur type d’activité (y compris agriculture), produisant des biens et services pour le marché et ne disposant, de fait ou de droit, d’aucune comptabilité complète (de flux)», en conformité avec les principes du Système comptable national (SCN) et les recommandations de l’Organisation internationale du travail (OIT).
Dans ce contexte, Mounir Ben Guirat, expert en développement du secteur privé et des PME, précise que les secteurs touchés par l’économie informelle sont nombreux. En effet, dans les pays sous-développés ou en développement, la quasi-totalité des activités économiques formelles sont dupliquées dans le secteur informel à l’exception généralement de celles monopolisées par l’Etat. Les activités touchées par le secteur informel sont : le commerce (notamment le commerce transfrontalier), l’agriculture (la majorité des activités agricoles surtout dans les pays sous-développés sont précaires et informelles), le bâtiment (les activités de construction sont exercées souvent par des opérateurs informels).
A ceux-ci s’ajoute le textile et habillement, un secteur très touché par la précarité et le travail indécent, surtout en Asie, et d’autres secteurs dans certains pays sont impactés aussi par l’informalité comme l’électronique, le transport des personnes et, bien sûr, le commerce au détail et le commerce ambulant plus précisément.
Multiples impacts
Ben Guirat a révélé aussi que l’activité économique informelle a de multiples impacts sur tous les agrégats économiques notamment le PIB, les recettes fiscales, l’investissement et l’emploi.
En effet, les pays les plus touchés par l’informalité se voient contraints de baisser les investissements publics pour manque de recettes fiscales. Les crises mondiales, sanitaires, de guerre touchent de plein fouet les employés du secteur privé par manque de couverture sociale comme lors de la pandémie du Covid-19. Cela n’empêche que le rapport de la Banque mondiale affiche une baisse de 7% les trente dernières années avant la crise du Covid pour se situer à 32%.
La situation de l’économie informelle en Tunisie est difficile. Les méthodes de calculs des institutions internationales sont aussi différentes. Alors que la Banque mondiale adresse un pourcentage de 52%, le Tracit (Transnational Alliance to Combat Illicit Trade) adresse un chiffre de 35,5%. Au cours du temps, le secteur informel passait par des périodes différentes en termes d’ampleur et d’impact mais la plus remarquée est la dernière décennie et la période Covid-19 et post Covid.
En bref, les activités économiques touchées par l’informel concernent principalement le secteur agricole, le commerce et surtout le commerce transfrontalier de contrebande, certains services, le bâtiment et bien d’autres activités récemment développées comme la vente en ligne, la livraison, l’hébergement et certains autres services en ligne. Selon les statistiques de l’INS, le secteur informel crée 27,4% de la Valeur Ajoutée avec un montant de 33.612 MDT en 2019.
Dans le secteur agricole, l’informel représente 89%, dans les services marchands, le taux de l’informel est de 40%, dans l’industrie, il est de près de 20% et dans les services, il est de 5%.
Selon l’expert, et en termes d’emploi, le nombre de travailleurs dans le secteur informel avoisine 1.598.000 ce qui représente 44,8% de la population active. La majorité sont dans le secteur agricole où 85% des travailleurs travaillent informellement ; ensuite, le secteur du bâtiment avec 69% et vient après le secteur commercial avec 64%. Ces trois secteurs forment les 2/3 de l’emploi informel total. Dans le secteur des services, il y a 36% de travailleurs dans l’informel.
Effets marquants
L’effet marquant de certaines activités est qu’elles profitent parfois à l’Etat, comme, par exemple, le commerce des produits pétroliers (carburant) importé illégalement dans les zones frontalières avec l’Algérie et la Libye. On estime que plus de 10% du carburant commercialisé en Tunisie vient de la contrebande. Ce qui réduit pour l’Etat la facture énergétique voire la subvention des produits pétroliers.
Selon l’expert, l’activité informelle la plus impactante sur l’économie est le commerce transfrontalier. «Cette activité, qui a nettement augmenté après la révolution de 2010, nuit considérablement au tissu économique tunisien. D’abord par l’importation illégale de produits similaires à ceux fabriqués en Tunisie sans droits de douanes ni impôts, les industriels tunisiens font donc face à une concurrence déloyale».
Selon certaines études, les barons de l’économie informelle utilisent tous les moyens, notamment la corruption, le trafic et les pots-de-vin aux agents de l’Etat et de la sécurité nationale pour s’enrichir illégalement et fructifier leur commerce informel.
Dans un autre sens, le commerce transfrontalier bénéficie à plusieurs personnes dans les zones frontalières. Pour eux, c’est un emploi créé et c’est une source de revenu indispensable. On estime que plus de 35.000 personnes vivent du commerce transfrontalier uniquement dans la zone frontalière du Sud (Médenine, Ben Guerdane et Tataouine).
L’économie informelle a également des impacts négatifs sur «les personnes». Du coup, les travailleurs dans le secteur informel sont souvent marginalisés, notamment en ce qui concerne les conditions de travail. C’est-à-dire qu’ils n’ont ni couverture sanitaire ni médicale et ils n’ont pas de retraite. Une grande partie des travailleurs du secteur agricole dans l’informel et du secteur du bâtiment ne sont pas affiliés à la Cnss et ne bénéficient pas de couverture sociale.
Contenir l’économie informelle
Depuis que le secteur informel est devenu économiquement influant et, à l’instar de plusieurs pays du monde, la Tunisie a entrepris des mesures juridiques, économiques et institutionnelles pour minimiser son impact. Pour apporter des solutions notamment sur le plan investissement, il faut libérer progressivement plusieurs activités économiques ou simplifier leurs procédures.
D’après l’expert, la lutte contre l’économie informelle est un combat de longue haleine qui doit être bien étudié et réfléchi et mené par toutes les instances de l’Etat mais aussi en concertation avec le secteur privé et les intervenants. A titre d’exemple, l’expérience a montré que la confrontation directe avec les barons du secteur informel notamment ceux qui opèrent dans le commerce transfrontalier ne donne pas des résultats significatifs.
Depuis les années 70, il y a certainement certaines mesures prises qui ont réduit le coût de l’informel tels que la libéralisation progressive des activités économiques, la facilitation de l’accès aux financements, l’élargissement de l’assiette fiscale, les révisions progressives de la législation économique et financière, la facilitation de l’accès des travailleurs indépendants aux services de la Cnss et bien d’autres mesures. «Quand on voit l’impact, le poids et la contribution de l’économie informelle sur la valeur ajoutée et sur l’emploi, nous pouvons tout simplement constater que les efforts ne sont pas suffisants ou que les mesures ne sont pas bien appliquées pour lutter contre l’économie informelle», ajoute Ben Guirat. La lutte contre la corruption est un grand champ de bataille qu’il est nécessaire de négocier avec les «Bons Barons de l’Informel» qui détiennent une grande masse monétaire et qui ont de l’influence surtout dans les régions frontalières.
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