Dream City 2023 | Déambulation autour de la Médina : «Unir l’expression artistique pour outrepasser les turbulences mondiales»
L’arrivée de l’automne se reconnaît certes à travers les équinoxes dans l’hémisphère du Nord, mais à la Médina de Tunis on la repère avec la métamorphose colorée des rues et ruelles de la ville, avec les nouveaux costumes que le festival « Dream City » — abrité par l’association l’Art Rue — a conçus pour ses lieux patrimoniaux et ses espaces historiques. Reportage.
Le vendredi dernier s’est tenue la conférence de presse de la 9e édition de Dream City, précédée par un parcours autour et au sein de la Médina. Accompagnés par le directeur artistique de cette édition, Jan Goossens, nous avons démarré notre déambulation, à l’ancien siège du RCD à La Kasbah, pour assister aux répétitions de la pièce de danse contemporaine « Gouâl in situ » du chorégraphe franco-portugais, Filipe Lourenço. En flânant dans ce vieux bâtiment tout sombre, nous avons eu la surprise de découvrir un théâtre enseveli tout au fond. 10 danseurs majoritairement tunisiens se serpentent sur la scène, répétant « Gouâl in situ », une pièce recréée spécialement pour Dream City, qui revisite la danse guerrière des frontières marocco-algériennes « Alaoui », longtemps réservée aux hommes, en mixant hommes et femmes autour d’éléments traditionnels et rythmiques représentés par des cris et des mouvements circulaires. Le chorégraphe Filipe Lourenço a découvert cette danse à Sidi Bouabbès en Algérie et le public était tout autour de la performance, d’où la prédominance des mouvements circulaires dans sa création et la volonté de casser l’ego du danseur et de toucher quelque chose de juste à travers ce qu’il propose.
Emportés par le rythme, nous avons poursuivi notre chemin jusqu’à la Médina et plus précisément à « Tourbet Sidi Boukhrissen », la seconde station du parcours. L’artiste palestinien de Ramallah, Khalil Rebah, et la curatrice Hoor Al Qasimi nous y attendaient, à l’ombre l’olivier millénaire de ce lieu patrimonial. Nous avons papoté avec ces derniers autour de cet arbre, de ses différentes symboliques et du projet d’installation de l’artiste Olive Gathering qui compte l’installer à « Tourbet Sidi Boukhrissen », pour repenser les formats institutionnalisés de narration et revitaliser et restaurer cet espace, en en faisant un lieu de patrimoine reconnu et institutionnalisé. Chair de poule au rendez-vous, nous avons remémoré les femmes palestiniennes qui s’accrochaient aux oliviers en résistance à l’occupant.
Avec des scènes et des contes d’autrefois évoqués dans nos esprits, nous avons continué notre route jusqu’à la Nasria — une ancienne salle de boxe — pour assister aux répétitions de la pièce de danse inclusive « Lines » du chorégraphe franco-britannique Andrew Graham, de la compagnie L’Autre Maison. « Lines » est une performance qui regroupe musique, chant, danse et théâtre, qui rend hommage à la ville de Tunis et à la diversité de ses habitants avec divers interprètes amateurs dont quelques-uns sont à mobilité réduite, des danseurs professionnels et d’autres pédagogues. Misant sur une démarche pédagogique et sociale, le chorégraphe a insisté sur le fait que ce projet éjecte catégoriquement la question caritative et la piste de « l’art thérapie » à travers ses représentations mais dépeint plutôt un art qui se base sur la pratique inclusive. La préouverture du festival Dream City aura justement lieu avec cette performance qui prendra la forme d’une déambulation depuis le Théâtre municipal de Tunis jusqu’à la place El Hafsia, en réponse à l’idée de la complexité de se déplacer dans la ville et à la flexibilité de la danse en tant que discipline, qui peut être un espace d’inclusion et de rencontres dans la vie, entre différentes communautés.
La dernière station de ce parcours avant de revenir à Dar Bach Hamba, le siège de l’association l’Art Rue, où la conférence de presse a eu lieu, était à la « Qichla — Caserne Al Attarine », le cœur du projet Dream City avec la conservation et la restauration de sa bibliothèque. Avec des sentiments mitigés, nous étions ahuris et ébahis par le travail grandiose que le scénographe tunisien Wadii Mhiri et une équipe de jeunes ont effectué en seulement deux mois de travail. Ils ont restauré l’ancienne Bibliothèque nationale au début des années 1800, pour y proposer un espace librement accessible avec une bibliothèque montée en bonne et due forme, un café, un coworking space et des ventes de livres, ainsi que des projets du « Dream Projects », sous l’aile de la curatrice Emiratie Hoor Al Qasimi.
Nous avons fini notre parcours émus, médusés et éparpillés sur les tapis colorés de la grande salle de Dar Bach Hamba. Le dramaturge de l’Art Rue, Bilel Mekki, et les directeurs artistiques Hoor Al Qasimi et Jan Goossens ont pris la parole pour présenter cette 9e édition de Dream City qui proposera des manifestations culturelles dans 35 lieux au sein et autour de la Médina et à proximité de la ville de Tunis.
Au programme, il y aura « Créations », 11 créations produites par Dream City, « Dream Projects », un bouquet de projets artistiques produits par la curatrice émiratie Hoor Al Qasimi dont les sujets sont partagés par le monde arabe.
« Dream Guests», un ensemble d’artistes invités pour présenter leurs créations lors de cette édition, dont beaucoup de la région Mena. « Dream Concerts », des concerts musicaux. Des rencontres-débats autour de thématiques actuelles et « Kharbga City », un programme conçu pour le jeune public.
En gros, il y aura des manifestations pour tous les goûts, toutes les tranches d’âges et le prédominant de cette édition c’est l’espace, sa temporalité, son histoire et son contexte actuel. La majorité des performances et œuvres qui seront proposées sont autour de la question migratoire. Une occasion pour que nous puissions repenser nos identités, nos origines, nos valeurs et notre futur.
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