Economie tunisie

Dr Arselan Chikhaoui, membre du comité d’experts « Track II » du Système des Nations unies (UNSCR-1540) à La Presse  « Nous devons évoluer de manière collaborative pour affronter les défis globaux »

Montée en puissance du protectionnisme, exacerbation des tensions géopolitiques et commerciales, multiplication des foyers de conflits… l’entreprise est au cœur de tous ces bouleversements qui secouent aujourd’hui le monde.  Rencontré en marge de la 38e édition des journées de l’entreprise qui s’est tenue récemment, à Sousse, Arslan Chikhaoui, expert en géopolitique porte son regard sur la situation internationale et analyse son impact sur l’entreprise, cheville ouvrière des économies du monde. 

Aujourd’hui, on est en train d’assister à ce que les experts appellent une tectonique des plaques géopolitiques. Quelle lecture portez-vous sur cette situation, surtout par rapport à la bipolarisation du monde entre Etats – Unis et Chine ? 

Effectivement, nous assistons aujourd’hui beaucoup plus à un passage d’une ère à une autre et cela est incontestable. Tout le monde le sait, tout le monde le voit. Maintenant, on observe des crises qui sont multidimensionnelles et qui touchent aussi bien les pays du Sud que les pays industrialisés, y compris les acteurs de puissance, tels que les Etats-Unis, la Chine…

Beaucoup pensent que nous allons rester indéfiniment dans ce duopole Etats-Unis-Chine. Certainement, la Chine est un rival des Etats-Unis mais elle n’est pas un ennemi des Etats-Unis et il est nécessaire de le comprendre. Donc, il y a un intérêt de pouvoir stabiliser la planète à un moment donné ou à un autre pour éviter cette inflation exponentielle de toute la planète.

Le monde entier est en train de subir l’inflation, les crises énergétiques, alimentaires… Donc, il va falloir un élément de stabilité. Et quel serait cet élément de stabilité ? Je suis convaincu que nous allons vers un « gentleman agreement » entre les Etats-Unis d’Amérique et la Chine. Effectivement, nous voyons une escalade dans le discours américain. C’est tout à fait normal. Si vous voulez aller vers un « gentleman agreement », vous êtes obligés d’avoir des éléments de négociation.

On m’a posé la question de l’impact d’un éventuel deal sur les pays du Sud et notamment les pays nord-africains.  Je dirais qu’ils ne vont pas passer un deal. Il va y avoir encore une fois un « gentleman agreement ». Ce dernier consiste en une entente globale qui permet de répondre aux enjeux et intérêts. Et l’un de ces enjeux décisifs c’est l’accès à la ressource minière stratégique qui est importante pour la quatrième génération de la révolution technologique. Car sans minerai critique, sans terres rares, il n’y a pas de révolution technologique et il n’y a pas de conversion énergétique.

Tout est lié. Aujourd’hui, l’accès à la ressource minière rare, levier de croissance, et l’accès au marché planétaire nécessitent un « gentleman agreement ». 

Mais les pays du Sud sont en train de subir cette rivalité entre les deux pôles. Quel avenir est-il réservé à ces pays, notamment ceux de l’Afrique du Nord ? 

Avant de répondre à votre question, je pourrais vous dire deux points importants. Je ne pense pas que nous allons nous acheminer vers une confrontation globale. Et cela est clair. Je suis convaincu que nous allons nous acheminer petit à petit vers une recomposition des alliances, et surtout vers ce qu’on appelle une coopération entre pôles et notamment entre les pôles du Sud. Sinon, une confrontation serait désastreuse pour toute la planète.

Nous le voyons un petit peu en Ukraine. Beaucoup ont pensé que l’Occident allait vers une confrontation globale mais finalement cette confrontation n’a pas eu lieu. Je reviens vers le Sud et surtout vers notre région. Aujourd’hui, la recomposition des alliances, la coopération, le partenariat inclusif, tout comme nous sommes, ne sera que bénéfique.

Parce que, jusqu’à ce jour, les pays de l’Afrique du Nord, nous avons évolué de manière dispersée.  Aujourd’hui, nous n’avons plus le droit d’aller de manière dispersée. Nous devons évoluer de manière collaborative pour pouvoir affronter tous ces défis qui sont globaux mais qui nous permettent de faire face à ces grands pôles des acteurs de puissance que sont l’Union européenne, les Etats-Unis d’Amérique, la Chine. La trilatérale, qui a été initiée entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye, est un élément et un facteur de stabilité. C’est une composition de ce partenariat inclusif et qui nous permettra d’avancer non plus en ordre dispersé, mais en ordre commun.

Vous évoquez une nouvelle notion qui est la guerre d’expertise. Qu’entendez-vous par cette expression ?  

Nous sommes passés par plusieurs générations de guerres, allant de la première, jusqu’à la fameuse cinquième, qui est la guerre hybride et qui a intégré ce qu’on appelle l’intelligence artificielle.

Mais je pense que nous sommes en train de nous acheminer vers une guerre de sixième génération, qui va au-delà de la technologie, pour utiliser l’expertise. Il s’agit de la guerre du savoir, qui va nous obliger à l’acheter ailleurs. Le Royaume-Uni exporte entre 12 et 16 milliards de livres sterling en termes d’expertise et de services et d’ingénierie par an. En voyant ce chiffre, on va se dire : «Attendez, au-delà des biens de consommation, nous n’allons pas encore aller vers ce qu’on appelle l’importation ou l’achat de l’expertise». Donc la guerre d’experts, elle est bien là. Si vous voyez les plateaux de télévision, notamment occidentaux, vous voyez qu’il y a toujours une panoplie d’experts. Beaucoup diraient que : «C’est une guerre de propagande…». Oui, c’est un « PsyOps», c’est-à-dire des opérations psychologiques et ces dernières vous les menez avec quoi ? Vous les menez avec la matière grise et l’expertise, pas avec l’intelligence artificielle. 

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