Dette tunisienne : Quand les chiffres font débat…
En 2024, la Tunisie est confrontée à un double défi économique : alors que le pays cherche à équilibrer ses finances publiques et à stimuler sa croissance économique, la récente évolution de sa dette intérieure et la gestion de ses obligations extérieures posent des questions essentielles sur la flexibilité économique et la stabilité à long terme. L’année 2024 est particulièrement déterminante pour évaluer les impacts de la stratégie actuelle et ses répercussions sur l’économie nationale.
L’endettement reste une problématique persistante et un défi majeur pour la Tunisie, un pays qui lutte depuis des décennies pour stabiliser ses finances publiques et réduire sa dépendance aux financements étrangers. Ces derniers temps, ce sujet a de nouveau suscité de vifs débats, particulièrement après la publication de certains chiffres controversés. Ces données, qui ont divisé l’opinion publique, ont incité plusieurs experts à se pencher sur la véracité des informations et à analyser les implications économiques pour la Tunisie.
Une montée vers une gestion rigoureuse
Au premier semestre 2024, la Tunisie a enregistré une augmentation significative de sa dette intérieure. Selon les dernières données d’exécution budgétaire, la proportion de la dette intérieure par rapport au produit intérieur brut (PIB) est passée de 42,7 % en juin 2023 à 51,1 % à la fin du premier semestre de cette année. Cette hausse, par rapport à l’année précédente, marque un tournant important dans la stratégie de financement du pays.
L’expert en risques financiers, Mourad Hattab, souligne que cette dynamique illustre un changement de cap dans la gestion de la dette. L’objectif principal de cette nouvelle orientation est de réduire la dépendance de la Tunisie vis-à-vis des créanciers internationaux. En théorie, l’endettement intérieur permettrait au pays de mieux adapter ses politiques économiques aux besoins spécifiques de son économie tout en offrant une plus grande flexibilité dans la gestion des finances publiques.
Hattab recommande toutefois une gestion prudente de cette dette intérieure croissante et appelle à une surveillance rigoureuse des indicateurs économiques et à une gestion stricte des dettes internes. Pour maximiser les bénéfices de cette stratégie tout en minimisant les risques, il est crucial, selon l’expert, d’adopter une approche équilibrée qui puisse à la fois stimuler l’économie et maintenir la stabilité des prix à moyen et long terme. Il est également essentiel d’accompagner cette stratégie d’une série de réformes structurelles afin de prévenir une éventuelle vulnérabilité économique.
En parallèle, la Tunisie continue de gérer ses obligations extérieures avec une certaine efficacité. Selon les données du ministère des Finances et de la Banque centrale de Tunisie, le pays a honoré ses engagements internationaux, notamment avec le remboursement de 850 millions d’euro-obligations en février 2024. Les remboursements des prêts extérieurs jusqu’au 20 août 2024 ont atteint 9.989,9 millions de dinars, représentant environ 81 % des échéances prévues pour l’année, estimées à 12.315 millions de dinars.
Cette performance indique une gestion proactive et efficace des obligations internationales de la Tunisie. Les recettes du tourisme, qui ont augmenté de 6,7 % depuis le début de l’année, ainsi que les transferts des Tunisiens à l’étranger, ont renforcé les réserves de devises étrangères et facilité le remboursement des dettes. L’expert Bassam El Nifer prévoit une diminution progressive de la pression liée à l’endettement extérieur à partir de 2025, malgré un mois d’octobre particulièrement difficile en raison du début du remboursement de la garantie du prêt japonais, d’une valeur de 50 milliards de yens.
Un équilibre délicat à maintenir
Et donc, l’année 2024 se révèle cruciale pour la gestion de la dette extérieure. El Nifer souligne que la Tunisie a maintenu ses engagements financiers extérieurs sans défaillance au cours des dernières années. Pour le premier semestre de 2024, le pays a réussi à rembourser plus de la moitié de sa dette extérieure et prévoit de régler le solde restant d’ici la fin de l’année, conformément aux prévisions de la loi de finances pour 2024.
En ce qui concerne les dettes extérieures libellées en devises fortes, El Nifer affirme que l’État est en mesure de respecter les échéances prévues. Les réserves nationales en devises étrangères sont actuellement favorables, représentant 116 jours d’importations pour une valeur de 25,65 milliards de dinars. Cette situation indique que l’État est bien positionné pour faire face à ses obligations internationales sans risque imminent de défaut de paiement sur le solde restant de sa dette extérieure.
Cependant, l’analyste financier, Moez Hadidane, remet en question les récentes déclarations concernant le remboursement de 80 % de la dette extérieure par la Tunisie. Selon lui, cette affirmation résulte d’une confusion entre le solde public et le solde des flux financiers. Les chiffres communiqués par la Banque centrale englobent à la fois le secteur public et le secteur privé. À la fin de juin 2024, la Tunisie avait remboursé 53,7 % de ses dettes extérieures, ce qui est considéré comme satisfaisant dans le contexte actuel.
La stratégie de financement interne, tout en offrant une plus grande flexibilité et une réduction de la dépendance vis-à-vis des créanciers internationaux, présente des défis importants. L’augmentation de la dette intérieure pourrait accroître le risque de vulnérabilité économique si elle n’est pas accompagnée de réformes structurelles appropriées. La gestion efficace de la dette extérieure montre une capacité à honorer les engagements financiers, mais elle dépend fortement de la stabilité des recettes fiscales et des transferts internationaux.
Face à cette situation, le professeur universitaire en sciences économiques, Ridha Chkoundali, recommande de ne porter un jugement sur la capacité de l’État à exécuter son budget qu’à la clôture de l’année et à l’achèvement du budget 2024. Il note que l’État a mobilisé 30,7 milliards de dinars sur un budget prévisionnel de 77,8 milliards de dinars, représentant seulement 39,5 % des prévisions en raison de la faiblesse de la mobilisation des ressources non fiscales et de l’incapacité à mobiliser les revenus des biens confisqués.
Les réformes structurelles, une nécessité
Pour assurer la pérennité de la stratégie de financement, la Tunisie doit continuer à mettre en œuvre des réformes structurelles. La croissance économique à long terme dépendra de la capacité du pays à diversifier ses sources de revenus et à renforcer ses politiques économiques. Les réformes doivent inclure une meilleure gestion des finances publiques, une amélioration de l’efficacité administrative et une stimulation de l’investissement étranger. Une attention particulière doit également être accordée à l’amélioration de la compétitivité économique et à la création d’emplois durables. Ce qui fait que la gestion de la dette en Tunisie reste un défi complexe, marqué par une augmentation de la dette intérieure et une gestion rigoureuse de la dette extérieure. Alors que le pays navigue dans cette période critique, il est impératif de maintenir un équilibre entre financement interne et stabilité économique. La réussite de cette stratégie nécessitera une vigilance continue et une adaptation des politiques en fonction des évolutions économiques internes et externes. La Tunisie doit donc continuer à gérer ses dettes avec prudence tout en mettant en œuvre les réformes nécessaires pour soutenir une croissance durable et équilibrée. L’équilibre entre ces objectifs sera déterminant pour assurer la stabilité économique à long terme et renforcer la résilience du pays face aux défis futurs.
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