Désindustrialisation prématurée : L’urgence de renverser la vapeur
La baisse de la valeur ajoutée manufacturière est le signal d’alerte qui a poussé les économistes à poser le diagnostic «désindustrialisation» pour expliquer le déclin industriel observé depuis 2011.
Pour repérer le phénomène de désindustrialisation, les économistes utilisent souvent deux indicateurs : la part de la valeur ajoutée manufacturière dans le PIB et la part de l’emploi du secteur manufacturier dans l’emploi total.
La baisse de la valeur ajoutée manufacturière (de 18% en 2010 à 15% en 2019) était ainsi le signal d’alerte qui a poussé les économistes tunisiens, dont le professeur Afif Chelbi, à poser le diagnostic «désindustrialisation» pour expliquer le déclin industriel observé depuis 2011.
De même, la croissance atone du secteur au cours de cette même période interpelle les experts quant aux raisons de cette stagnation. En effet, la désindustrialisation est connue pour être la maladie des pays développés qui survient à la suite de la fin du cycle de l’industrialisation. Mais ce fléau, qui étouffe la croissance, touche de plus en plus de pays affectant leurs potentiels de développement économique.
L’économiste et professeur d’économie politique internationale, Dani Rodrik, explique, en ce sens, que la désindustrialisation est «un défi qui se mondialise» et, qu’à l’exception de quelques pays de l’Extrême Orient, la désindustrialisation a frappé non seulement les économies développées mais aussi les économies émergentes telles que le Brésil et l’Inde et les économies en voie de développement. Même la Chine, qui est connue pour être l’usine du monde, connaît un déclin industriel qui se manifeste à travers la baisse de la part du secteur manufacturier dans l’emploi.
Le libre-échange est-il la cause ?
A l’instar des pays africains, le processus de la désindustrialisation a fait son apparition en Tunisie de manière prématurée. A en croire les auteurs de l’article intitulé «L’Afrique sur la voie de l’industrialisation ?» paru dans la revue «Afrique Contemporaine», les économies africaines «ont connu, à partir des indépendances, une expérience d’industrialisation tardive qui, dès les années 1980, s’essouffle sous l’effet des plans d’ajustement structurel».
Le document souligne que l’exposition à la concurrence internationale et l’inadaptation des politiques publiques ont conduit à une érosion de la base manufacturière. «Les ressources se sont alors redirigées vers les activités moins ou peu exposées à cette pression concurrentielle.
Des oligopoles se sont formés dans les activités de services, bénéficiant d’un accès protégé au marché intérieur. Dans un contexte où les institutions de marché sont affaiblies, des rentes de situation s’installent, provoquent un effet d’éviction des nouveaux entrants, et, plus globalement, brident l’investissement privé (en moyenne 15% du PIB en Afrique, contre 25 à 30% en Asie)», souligne-t-on. Alors que les IDE nécessitent un environnement d’affaires stable et rationnel en matière de stabilité macroéconomique, de règles et de services publics.
L’importation au détriment de la production nationale
Dans ce même ordre d’idées, l’ancien ministre de l’Industrie, Afif Chelbi a souligné, dans un article paru en janvier 2021 dans le journal La Presse, que «ce déclin est le fruit de politiques délibérées favorisant l’importation et la rente au détriment du système productif national». Il a, en somme, expliqué qu’en l’absence de discrimination positive en faveur des activités industrielles, les acteurs économiques préféreront les activités d’importations et de rentes. «Pour jouer son rôle développementaliste, l’Etat doit traiter différemment celui qui implante une unité de production par rapport à celui qui ouvre une boutique d’importation ou lance un projet immobilier», a-t-il argumenté.
Pour l’ancien ministre de l’Industrie, la Tunisie assiste «depuis 2011 à un véritable désarmement industriel avec le démantèlement des mécanismes de politique industrielle à travers différentes lois de finances, puis par les lois d’investissements» qui réduisent, selon lui, «les incitations en faveur de l’industrie et de l’exportation, par le renoncement aux multiples mesures de sauvegarde de la production nationale, à la fin de la politique de compensation des importations automobiles par l’exportation de composants, ainsi qu’à l’abandon d’une série d’autres interventions publiques ciblées au profit des secteurs productifs».
Accroître la part à 20% en 2035
Bien que la lutte contre la désindustrialisation n’ait pas été citée en tant que priorité dans le plan triennal 2023-2025, la stratégie industrielle et d’innovation Horizon 2035, élaborée par le ministère de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, table sur l’accroissement de la part de la valeur ajoutée industrielle manufacturière dans le PIB à 20% en 2035. La stratégie reconnaît que cet objectif suppose une croissance de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière bien supérieure à celle de la plupart des autres secteurs économiques, à travers une «montée en gamme» dans tous les sous-secteurs vers des productions de haute valeur ajoutée, des investissements nationaux et étrangers de plus en plus élevés et davantage dans des activités à forte intensité technologique. Cette nécessaire transition de l’industrie tunisienne ne sera pas du tout repos. Elle nécessite des conditions préalables qui ont été, par ailleurs, identifiées par la stratégie, il s’agit notamment de l’instauration d’environnement favorable au développement des investissements et des activités économiques, du renforcement des nouvelles spécialisations et de l’encouragement de l’innovation et des transitions numérique et écologique de l’industrie.
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