Cultures oléagineuses: La tunisie à la reconquête de sa souveraineté alimentaire
Dans un contexte de grande volatilité des marchés mondiaux des denrées alimentaires, alimenté par le conflit entre l’Ukraine et la Russie, la Tunisie est amenée à subir les fluctuations du marché des céréales, mais aussi des huiles étant donné que la production nationale ne couvre que 30% des besoins. Et ce sont les finances du pays qui vont être impactées ainsi que le panier de la ménagère, à cause de cette demande exacerbée face à une offre plus rare à cause du conflit ouvert en Europe de l’Est.
L’agriculture tunisienne est-elle aujourd’hui en mesure de produire les aliments essentiels à la consommation nationale ? Est-il possible de concilier sécurité et souveraineté alimentaire ?
Face à une dépendance accrue aux importations et à l’évolution inquiétante du déficit de la balance commerciale, de nombreuses questions se posent sur l’efficacité et la viabilité du système national de production agroalimentaire, d’autant plus que le conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine ne fait qu’aggraver une situation déjà critique : explosion des prix des matières premières et menace de pénurie des denrées alimentaires de base.
D’après le rapport publié récemment par l’Utap avec la collaboration de la société Carthage Grains, on ne peut nier que «l’agriculture tunisienne est à un moment charnière et qu’il est plus que temps de lui donner du souffle. L’enjeu est capital : bâtir notre souveraineté alimentaire en recréant du lien et de la confiance dans le secteur agricole, depuis l’agriculteur-producteur jusqu’au consommateur-citoyen».
Réchauffement climatique, baisse de la fertilité de la terre, apparition de nouvelles maladies, flambée des prix des intrants, crise sanitaire Covid-19…, autant de fléaux ayant fragilisé le système agricole. Celui-ci fait face à des défis majeurs qui se sont intensifiés, ces dernières années, générant une baisse de productivité et des effets néfastes sur l’économie tunisienne.
Lourdes factures
La Tunisie a de plus en plus recours aux importations afin de satisfaire ses besoins croissants en produits indispensables à l’alimentation humaine et animale. Toutefois, le recours aux importations génère de lourdes factures qui affectent le budget national, augmente la dépendance aux marchés mondiaux et fragilise la souveraineté alimentaire du pays
Les principaux produits importés par la Tunisie sont les céréales (blé dur, blé tendre, orge, maïs) et les oléagineux (huiles et protéines végétales) qui représentent respectivement 52% et 15% de la valeur totale de nos importations agroalimentaires.
Il est à noter que le recours aux importations est de plus en plus insoutenable. En effet, et selon les indicateurs mentionnés dans le rapport, les prix à l’importation des produits agroalimentaires ne cessent d’augmenter (+40% par rapport à 2021). De même, les principaux produits importés puis subventionnés (céréales, huiles, tourteaux) font l’objet de spéculations et de contrebande. En 2022, 1,8 milliard de dinars de subventions ont été alloués pour les céréales et 290 MDT pour les huiles végétales (+71,4% par rapport à 2021). Par ailleurs, la baisse du dinar a augmenté considérablement la valeur des importations.
Bâtir une alternative durable aux importations représente un défi majeur à relever aujourd’hui. Il s’agit, en effet, de développer une production locale des oléagineux, devenue une nécessite de premier ordre. Les oléagineux (essentiellement colza, tournesol et soja) sont des plantes riches en huiles et en protéines.
Ce secteur ne cesse de prendre de l’ampleur suite à la demande croissante en huile alimentaire, notamment au développement de l’élevage intensif, gros consommateur de protéines, et à l’utilisation récente des huiles végétales comme biocarburants.
Selon la même source, «la conjoncture actuelle offre une réelle opportunité de développement pour la Tunisie, qui, par l’adoption d’une politique adéquate, pourrait non seulement assurer son autonomie mais également devenir exportatrice de ces produits».
Opportunité du colza
Le colza présente l’avantage d’être un facteur de diversification des rotations. En tant que précédent cultural, il libère le sol tôt pour permettre la préparation de la culture suivante (souvent céréale), laisse derrière lui un sol structuré et propre, nettoyé des mauvaises herbes et restitue enfin au sol de grandes quantités d’éléments minéraux et de matière organique.
La diminution globale des problèmes sanitaires et de fertilisation engendre non seulement une réduction des coûts dans la conduite culturale des céréales, mais également une production de qualité, respectueuse de l’environnement. Le rendement du blé après colza dépasse en moyenne celui du blé sur blé de 20 à 30%.
Le développement des cultures oléagineuses représente un enjeu prioritaire pour le pays. En cultivant plus de graines oléagineuses, la Tunisie gagnerait non seulement en autonomie alimentaire, mais ne perdra pas en termes d’écologie puisque ces cultures sont considérées comme présentant des solutions d’avenir face aux défis de préservation des équilibres écologiques.
La guerre en Ukraine a entraîné une flambée des cours des huiles végétales. Confrontés à l’impératif de souveraineté alimentaire, beaucoup de pays se sont, dès lors, engagés dans une course pour augmenter leurs productions dans un contexte international troublé et fortement perturbé. Il n’y a pas de solution miracle pour y arriver : produire plus et mieux et tout mettre en œuvre pour rendre les filières stratégiques compétitives.
Le gouvernement entend booster la filière des oléagineux, notamment la culture du colza. Le développement de cette culture vise un double objectif : réduire la facture d’importation des aliments stratégiques et atteindre l’autosuffisance en huiles.
La production d’huile de tournesol occupe la première place à travers le monde avec plus de 16 millions de tonnes par an. L’Ukraine vient en tête avec une production de 4,5 millions de tonnes par an, suivi de la Russie avec une production de 4 millions de tonnes par an, l’Argentine vient en troisième position.
Les besoins de notre pays en huiles végétales s’élèvent à plus de 250.000 tonnes dont 15% seulement sont couverts par la production nationale, notamment en huile d’olive. De nos jours, 85 % des huiles végétales consommées en Tunisie sont des huiles à graines (huile de soja, de palme et de tournesol), et qui sont presque entièrement importées (95%).
D’un autre côté, «Si la Tunisie a réussi à assurer son autonomie en viandes rouge et blanche, le secteur de l’élevage reste fortement tributaire des importations de protéines végétales nécessaires à l’alimentation animale (orge et tourteaux de soja) et dont les besoins d’élèvent à 450.000 tonnes. Subventionnées, les huiles et protéines végétales importées sont certes plus abordables pour les consommateurs et les éleveurs tunisiens mais leurs importations aggravent lourdement le déficit budgétaire et constituent un frein à la possibilité de produire ces cultures localement», indique le rapport.
En 2021, la Tunisie a importé pour une valeur totale de l’ordre de 628 millions de dinars des huiles végétales. De plus, le prix de ces produits a considérablement augmenté ces dernières années (+25% pour les graines et les tourteaux de soja, +50% pour l’huile de soja).
La situation actuelle en Tunisie pose une question fondamentale pour l’autonomie en céréales, et en huiles et protéines végétales, ce qui nécessite impérativement la mise en place d’une stratégie globale axée autour de la souveraineté alimentaire, en prenant en compte à la fois l’évolution du contexte national et international.
La souveraineté alimentaire exige que chaque pays mobilise ses ressources naturelles, humaines, économiques et technologiques pour augmenter et améliorer sa production locale d’aliments et réduire sa dépendance externe.
À cette fin, «encourager une filière territorialisée constitue un outil pertinent. Le but étant de créer un cercle vertueux pour l’économie du pays où l’émergence d’une production locale d’huiles et protéines végétales permet non seulement d’améliorer la productivité des assolements céréaliers mais également de limiter le recours aux importations».
Partenariats
En décembre 2022, une convention a été signée avec l’Institut national des grandes cultures (Ingc) afin de contribuer activement au développement de la filière par la formation et la sensibilisation des agriculteurs à la maîtrise de cette culture. L’objectif est de renforcer les programmes de sensibilisation, de vulgarisation et d’encadrement technique des producteurs pour promouvoir et développer la culture du colza, parmi les meilleures têtes de rotation et de rentabilité avec les céréales et qui constitue une bonne opportunité avec ses bienfaits reconnus, pour réaliser la souveraineté alimentaire notamment en huiles végétales et en aliments de bétail.
Un partenariat a été conclu aussi avec l’Utap afin de mettre en place un programme d’encadrement de terrain pour développer la culture du colza et améliorer la productivité dans différents gouvernorats propices à cette culture. Ce partenariat vise à contribuer avec toutes les parties prenantes au développement de la filière du colza dans le pays en espérant atteindre une superficie totale de 150 mille hectares à l’horizon de la campagne agricole 2029/2030.
En outre, un programme de partenariat de recherche et développement vient d’être lancé entre l’Institut national de la recherche agronomique de Tunisie, (Inrat), l’Institut national agronomique de Tunisie (Inat) et la société Carthage Grains, spécialisée dans la trituration de graines oléagineuses, en vue d’accompagner et de renforcer la filière Colza via la création variétale avec un meilleur rapport Qualité-Adaptabilité répondant aux exigences de la filière Colza pour assurer sa durabilité.
Le colza reste une culture prometteuse pour de nombreuses régions en Tunisie. Il est généralement cultivé comme une tête d’assolement comprenant le blé et l’orge vu son importance dans l’amélioration des sols cultivés. La superficie de colza cultivé est passée de 460 ha en 2014-2015 à 20.000 ha lors de la saison 2022-2023.
Le développement de la filière oléagineuse constitue un levier de durabilité pour notre système de production agricole et un enjeu stratégique pour la Tunisie. Le colza, produit et transformé en Tunisie, pourrait représenter une alternative aux importations et permettre l’autonomie et la diversification des produits nécessaires à l’alimentation humaine et animale.
Najoua Hizaoui
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