Commentaire: L’étoffe d’une star
La nuit était assez fraîche, en ce 1er août. Carthage s’apprête à honorer la variété tunisienne. Des paroliers, compositeurs, musiciens et chanteurs sont célébrés. Le spectacle, voulu comme un hommage conjugué au présent, s’intitule « Angham fi Dhekira ». Mélodies en mémoire, saison 2. Il y en a eu une première qui avait récolté du succès. C’est que le public, après des années de fâcherie avec la chanson tunisienne, est revenu à ses premières amours. Il était donc présent, ce mardi soir, venu écouter, découvrir, redécouvrir des airs longtemps fredonnés puis oubliés, qui avaient animé les soirées, étaient passés à la radio, à la télévision. Nous sommes dans les années 80-90.
Ce soir-là, la fête est dédiée à quatre figures : le parolier Ali Louati, le compositeur Slim Dammak, le chanteur Cherif Alaoui et le musicien violoncelliste Mohamed Ghnia. L’hommage qui leur a été rendu en début de soirée, en présence de la ministre de la Culture, Hayet Guetat Guermassi, était léger, bien dosé, juste ce qu’il fallait.
Les chanteurs, compositeurs et interprètes se sont relayés sur la scène de cette 57e édition du festival de Carthage. L’indémodable Slim Dammak, avec sa voix intacte ; l’émouvant Chérif Alaoui, tout de blanc vêtu ; la vedette montante Aya Daghnouj ; Hassan Doss, exubérant et mouvant dans sa cape en velours pourpre ; Lotfi Bouchnak, imposant et élégant avec sa Jebba blanche et sa chéchia rouge. Chacun d’eux a interprété deux à trois morceaux. Ils ont été acclamés et applaudis par un public sensible et réactif. A travers leurs prestations, d’autres valeurs sûres de la chanson tunisienne ont été honorées, à l’instar du parolier Habib Mahnouch, du compositeur Anouar Brahem, de la chanteuse vedette Nabiha Karaouli.
Le spectacle est produit par le Festival de Carthage, en partenariat avec le Théâtre de l’Opéra. L’Orchestre national, au grand complet, fait honneur, sous la conduite du talentueux et un peu trop remuant chef d’orchestre, Youssef Belhani. Les spectacles 1 et 2 sont conçus par le compositeur et directeur artistique Abderrahmane Ayadi.
Le concert, de près de deux heures et demie, enchanteur, émouvant, harmonieux est passé vite comme un songe. Ainsi et après des années où la chanson tunisienne, frappée comme d’inertie, se faisait rare, n’émouvait plus. Nous vivons, semble-t-il, une renaissance. Lorsqu’ils ont décidé, autorités et artistes, de s’unir pour produire du contenu et de l’art, cela a marché. Cette démarche devra s’étendre à l’ensemble des expressions artistiques.
La scène tunisienne foisonne de talents. Il faut le vouloir, d’abord, et savoir s’y prendre ensuite, pour en faire jaillir des vedettes nationales qui peuvent s’exporter. Prenons le cas de Aya Daghnouj, sa voix est mélodieuse et puissante. Et ce n’est point « Nagous » qui fait ressortir sa puissance vocale, mais des morceaux difficiles de Saliha, à l’instar de « Ya Khil Salem » qu’elle interprète merveilleusement, même a capella. La jeune cantatrice a une belle présence sur scène. Et visiblement du sérieux qui nous fait dire qu’elle saura se mouvoir dans un milieu difficile. N’y voyons là aucun jugement moral.
Maintenant pour faire d’elle une ambassadrice de la chanson tunisienne, il faut lui constituer un répertoire. Autrement dit, que ceux que nous venons de mentionner plus haut s’y mettent avec sérieux et volonté. Outre l’inspiration et le travail, un répertoire coûte de l’argent, beaucoup d’argent. Entre le parolier, le compositeur, la distribution et l’enregistrement en studio, et si l’on doit en plus décliner la chanson en vidéo-clip, la somme est conséquente.
Ajoutons qu’animer les soirées privées et les mariages des Tunisiennes et des Tunisiens n’est pas un déshonneur. En quoi cela peut-il l’être, qu’on nous explique… Nous dirions même que ces manifestions joyeuses, ces divertissements, ces célébrations sont tellement bien ancrées dans nos habitudes, qu’elles font partie de notre conscience collective, de notre identité. C’est aussi un passage obligé que doivent emprunter les artistes pour pouvoir se maintenir et prospérer.
Nous avions espéré par le passé produire une grande vedette de la chanson tunisienne. Cela n’a pas marché. En premier lieu, c’est la concernée elle-même qui en est la première responsable. C’est un choix de vie. Respectons-le. Espérons que Aya Daghnouj saura choisir sa voie. Elle en a les moyens. Il faut de la volonté.
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