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Commémoration aujourd’hui du 66e anniversaire du bombardement de Sakiet Sidi Youssef: Un crime colonial imprescriptible commis contre l’humanité

La France savait que la Tunisie constituait l’arrière-garde de la révolution algérienne aussi bien logistique qu’humaine et elle fit maintes pressions pour faire cesser cette aide logistique indispensable. Le village de Sakiet Sidi Youssef était le point de départ et de retour des opérations militaires du FLN vers l’Algérie. Le général Edmond Jouhaud tint à riposter à cette résistance par tous les moyens dont il disposait à partir des frontières tunisiennes. Il décide d’effectuer un raid.

Le bombardement de Sakiet Sidi Youssef le 8 février 1958, par l’aviation française, fut un carnage : 72 morts (dont des enfants et des personnes âgées) et de nombreux blessés estimés à 84. L’événement annuellement célébré dans le village martyr symbolise, depuis, la fraternité tuniso-algérienne.

En 1958, la révolution algérienne entamait sa troisième année. 100.000 réfugiés algériens, qui étaient recensés sur le territoire tunisien, élirent domicile le plus souvent dans les villages frontaliers tunisiens. Le statut de ces réfugiés était régi par les différentes conventions internationales, dont la Tunisie est signataire. Ces Algériens étaient le plus souvent aidés à la fois par la population, la garde nationale et les militaires tunisiens (dès mai 1956), le Croissant-Rouge et la Croix-Rouge. La Tunisie devenait le point de départ et de retour des opérations militaires vers l’Algérie.

C’est que les Tunisiens se sentaient pleinement impliqués dans la guerre de libération que menaient leurs frères algériens. Les marques de cette solidarité se sont traduites par l’hébergement sur le sol tunisien des combattants algériens en leur fournissant nourriture, subsides et une tribune.

La France savait que la Tunisie constituait l’arrière-garde de la révolution algérienne aussi bien logistique qu’humaine et elle fit maintes pressions pour faire cesser cette aide logistique indispensable.

Les incidents se multiplièrent. Mais ce 8 février 1958, à Sakiet Sidi Youssef, un avion français touché par une mitrailleuse postée dans le village de Sakiet à 9h05 du matin, dut se poser en catastrophe à Tebessa. Le général Edmond Jouhaud  éprouva une humiliation et tint à riposter par tous les moyens dont il disposait. Commandant la 5e Région aérienne, il décide d’effectuer un raid et demande à Gaillard (président du Conseil) et Jacques Chaban Delmas (ministre de la Défense) l’autorisation de riposter.

Le crime

25 avions, dont 11 bombardiers B26 du GB 91 et 12 chasseurs NA. T6 de l’EALA 12/72 de la base aérienne de Bône (Annaba actuelle), décollent en direction de Sakiet Sidi Youssef. Ce samedi 8 février était le jour de marché du village, la foule était dense. Les militaires français prétendent que cette opération n’a ciblé en fait que des cantonnements de rebelles algériens et de postes de gendarmerie et la mine dans laquelle se réfugiaient les rebelles.

Il s’agissait en fait, selon Georges Hofman, représentant du Croissant-Rouge de la destruction de 96 maisons, une école primaire, la destruction du service forestier (région des mines), des habitations de militaires tunisiens, 5 voitures civiles et militaires et deux camions dont l’un appartenait à la Croix-Rouge et le deuxième au Croissant-Rouge. Le bilan est lourd : 72 morts (dont des enfants et des personnes âgées) et de nombreux blessés estimés à 84.

Discours de Bourguiba

Le jour même, Bourguiba prononça un discours radiophonique à chaud à l0hl0 : «Durant une heure environ, des bombardiers ont jeté des bombes sur Sakiet Sidi Youssef et ses environs, y compris l’école et le marché, puisque c’était le jour du marché, puis ils sont rentrés saufs, se considérant victorieux puisqu’ils ont détruit un village et ont tué environ 20 personnes —non 100— parmi lesquelles des femmes, des enfants et des écoliers etc., tous Tunisiens (…). Ils attaquent, ils tuent, et font une boucherie, une boucherie un jour de marché. Cette thèse, l’opinion publique mondiale ne pourra pas l’accepter. Quant à nous, il nous faut, en tout état de cause, maîtriser nos nerfs. Je suis certain que vous êtes tous émus. Soyez sûrs que votre émotion n’est pas supérieure à la mienne(…).  Soyez persuadés que cet événement aboutira, donnera un résultat important, car il sera très utile à la Tunisie, à la cause algérienne et à celle de l’ensemble de l’Afrique du Nord. Il n’est pas un combat, une agression commise par la France contre nous, qui n’ait tourné à ses dépens finalement, et dont elle ne soit sortie les mains vides(… ).

Le monde entier est témoin de ce que nous œuvrons pour atténuer la violence d’une réaction à l’agression, mais aussi pour sauvegarder et défendre la dignité de la Tunisie et pour prendre toutes les mesures, à l’intérieur et à l’extérieur, pour empêcher le retour de tels incidents. Nous avons rappelé notre ambassadeur en France afin de faire sentir aux Français que nos rapports ne sont plus normaux. Nous avons informé notre ambassadeur en Amérique, puis nous évoluons. Viendra le jour où il nous faudra, selon les circonstances, faire intervenir dans cette crise qui peut-être s’aggravera, les organismes internationaux…». Les funérailles des victimes se sont déroulées le dimanche 9 février en présence de Bahi Ladgham et du Mufti et de nombreuses personnalités politiques du gouvernement dont le gouverneur du Kef.

Des position fermes

En signe de deuil, il a été décidé d’annuler les festivités de la fête de l’indépendance prévues le 20 mars. Le 10 février, le Conseil constitutionnel condamne l’acte et défend la position de Bourguiba dans la crise. Le jour même, la Tunisie convoque son ambassadeur à Paris. Les autorités tunisiennes décidèrent d’évacuer toute la population française de Sbeïtla (55 familles en tout), les négociations franco-tunisiennes furent rompues, les lignes téléphoniques de l’ambassade de France à Tunisie furent coupées, les consuls de France des 5 gouvernorats furent avisés de quitter le pays. Ce 10 février a été appelé officiellement «Journée de Sakiet», Bourguiba ordonna de couper le ravitaillement des troupes françaises stationnées en Tunisie (22.000 à cette date) et refuser l’accès au port de Bizerte aux navires français.

Une grève générale a été annoncée le 10 février, de nombreuses manifestations populaires eurent lieu dans toute la Tunisie. Bourguiba encourageait les débordements populaires, il était unanimement soutenu par son opinion publique. Et pour rendre compte au monde entier de la bassesse du crime, des visites guidées ont été organisées à l’intention des journalistes du monde entier, venus témoigner de l’agression sur Sakiet Sidi Youssef unanimement condamnée.

Retentissement international

Dans le monde arabe, l’Egypte était la première à proposer son aide aux victimes, la Syrie et le Maroc (au nom de Mohamed V) annoncèrent leur solidarité absolue aux côtés de la Tunisie.

La Tunisie n’a pas présenté une plainte aux Nations unies dans les 3 jours qui ont suivi le bombardement, les coulisses diplomatiques pour contenir le conflit étaient en marche, ce qui permettra aux USA et à la G.-B. d’entamer leurs interventions de bons offices.

Sur le plan arabe, Sakiet Sidi Youssef engagea une solidarité inédite pour la Tunisie. Au-delà des condamnations catégoriques du Maroc, de la Syrie et de l’Egypte, Mohamed V, roi du Maroc, a décidé de parrainer Sakiet Sidi Youssef à travers la ville de Salé (environs de Rabat). Une commission a été constituée afin d’examiner les modalités pratiques de venir en aide à la ville de Sakiet.

Du côté du monde occidental, les USA à l’époque suscitaient l’admiration. Leur rôle positif a été salué unanimement par la presse. Les Etats-Unis donnèrent le plus à la reconstruction : 80.000 dollars, soit 33 millions de francs, étaient le don américain en monnaie pour Sakiet Sidi Youssef, ce qui était considérable. Des manifestants sortirent aux USA pour protester contre cette agression, l’ambassade de France à Tunis a recensé plus de 1.000 articles consacrés à Sakiet Sidi Youssef et à la Tunisie, ce qui, du coup, donna une idée claire sur la réalité de la colonisation française et les prétendues valeurs qu’elle défendait. La cause algérienne est désormais remise sur la scène et en débattre à l’ONU était devenu une question de temps.

Un évènement dont la mémoire est douloureuse

Lors du Forum de la mémoire du quotidien El Moudjahid, Said Mokadem a relevé, que l’anniversaire des évènements de Sakiet Sidi Youssef «est un évènement dont la mémoire est douloureuse, mais sa symbolique réside en la solidarité, la fraternité et le sacrifice commun entre les peuples algérien et tunisien, et nous interpelle chaque année à l’effet d’en tirer des enseignements, notamment pour la génération actuelle et les générations futures».

Et d’ajouter que les crimes de la France coloniale contre les civils sans défense constituent «un crime odieux et imprescriptible commis contre l’humanité, et une agression préméditée contre des innocents qui se sont rassemblés au niveau d’un marché hebdomadaire pendant un jour férié et contre la souveraineté de la Tunisie, ce qui a entraîné la destruction complète du village».

Il a en outre souligné que ces événements douloureux «ont renforcé la cohésion entre les deux peuples algérien et tunisien, et jeté les bases solides d’un partenariat bilatéral qui a duré jusqu’à nos jours, tout en consolidant l’unité entre les peuples maghrébins et en déjouant le plan colonial dans la région».

De son côté, M. Hacen Maghdouri a estimé que cet anniversaire «perpétue une halte charnière dans l’histoire des deux pays frères qui a dessiné les plus beaux traits de fraternité et de solidarité à travers les sacrifices communs des Algériens et des Tunisiens, et traduit la prise de conscience à l’époque chez les peuples de la région maghrébine quant à la nécessité de l’unification des rangs pour relever le défi de la sécurité et de la stabilité».

Dans ce contexte, l’enseignant Meziane Saidi a estimé qu’ «il n’y a pas plus atroce que le colonialisme français et ses démarches d’effacer un Etat en entier et son identité et c’est ce que reflètent les massacres barbares qu’il avait commis durant plus d’un siècle», affirmant à ce propos, que « le massacre de Sakiet Sidi Youssef qui se veut une lutte commune entre les deux peuples algérien et tunisien, ne peut être occulté».

Il a, en outre, indiqué que ce massacre n’a pas été la première agression sur le territoire tunisien, en ce sens que l’armée française a déjà mené plusieurs attaques depuis l’année 1956, mais c’était une attaque qui s’est caractérisée par son atrocité, rappelant les 79 personnes tombées en martyrs parmi les innocents, dont 20 enfants, 11 femmes et plus de 130 autres blessés.

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