Climat des affaires : Placer la Tunisie sur les radars des investisseurs
«La croissance ne peut être stimulée que par l’investissement privé, étant donné le faible niveau de l’investissement public. A mon sens, le rétablissement de la confiance des investisseurs est une condition nécessaire pour relancer l’économie et dynamiser la croissance», estime l’économiste Mohsen Hassan.
C’est un lourd héritage que le gouvernement a décidé d’assumer pleinement. Après une décennie post-révolution où l’immobilisme et le laisser-aller ont prévalu, contribuant à la détérioration de la situation économique du pays, voilà que le gouvernement prend le taureau par les cornes.
En point de mire : redorer le blason d’une Tunisie dont l’image a longtemps pâti de l’instabilité politique et sociale, et ce, afin de l’inscrire à nouveau sur les radars des investisseurs. Car, après 2011, l’environnement des affaires n’a cessé de perdre en compétitivité. Dans les classements internationaux, tels que le «Doing Business», la Tunisie a considérablement régressé, ouvrant un boulevard à ses concurrents.
Interrogé à ce sujet, l’expert économique, Mohsen Hassan, explique que cette régression est le résultat de plusieurs facteurs, notamment les tensions géopolitiques, la gouvernance de l’investissement ainsi que les défaillances du système de financement de l’économie.
Outre les facteurs extérieurs…
«D’abord, il faut reconnaître que l’économie tunisienne est une économie extravertie et cette ouverture fait qu’elle perd en attractivité, chaque fois où une crise internationale fait son apparition. Or, depuis quelques années, le monde n’a cessé de connaître des crises sévères ayant impacté l’économie mondiale, tel est le cas de la crise financière de 2008, la crise Covid et la guerre en Ukraine. Les conséquences notamment sur l’investissement étranger ne se sont pas fait attendre», a-t-il affirmé dans un entretien accordé à La Presse.
Il a ajouté que le manque de stabilité politique, qui a marqué la décennie post-révolution, a desservi l’environnement des affaires en Tunisie et a contribué à la baisse de l’investissement. Evoquant le système financier, l’économiste a indiqué que ce dernier n’a pas joué pleinement son rôle en matière de financement de l’économie. «Les difficultés que connaît le système financier tunisien constituent un des principaux éléments qui ont abouti à cette baisse de l’investissement en Tunisie. Aujourd’hui, il y a un énorme dysfonctionnement au niveau du système de financement de l’économie. Les fonds d’investissement et les sociétés de capital-risque manquent de fonds propres et trouvent des difficultés à se refinancer, et ceci s’est répercuté sur les PME qui n’arrivent pas à se financer convenablement en fonds propres», a-t-il précisé. Et d’enchaîner : «Quant au système bancaire tunisien, il n’a pas joué son rôle en tant que gestionnaire de risque, malgré les résultats affichés. Durant les dernières années, les banques tunisiennes se sont orientées vers le financement du trésor public au détriment des PME. Pour la Bourse des valeurs mobilières, son rôle reste négligeable, surtout que les entreprises familiales ne sont plus motivées par l’ouverture de leurs capitaux. Résultat des courses : le financement direct demeure très faible en Tunisie».
Rétablir la confiance
Notre interlocuteur a estimé, par ailleurs, que les investisseurs sont souvent rebutés par la lourdeur administrative, y compris les autorisations administratives qui profitent énormément aux acteurs de l’économie de rente. Pour Hassan, l’absence d’amélioration de l’infrastructure, notamment numérique et logistique, au moment où les pays concurrents rivalisent pour attirer les investisseurs, a joué en défaveur de l’investissement en Tunisie. Dans ce contexte, il a fait savoir qu’aujourd’hui, il est important d’adresser un discours en faveur de l’initiative privée afin de restaurer la confiance des investisseurs par rapport au site tunisien. «La Tunisie a besoin d’une nouvelle vision pour encourager l’initiative privée. Aujourd’hui, la croissance ne peut être stimulée que par l’investissement privé, étant donné le faible niveau de l’investissement public. A mon sens, le rétablissement de la confiance des investisseurs est une condition nécessaire pour relancer l’économie et dynamiser la croissance», a fait savoir Hassan. Il a, en outre, appuyé l’importance de la refonte des institutions chargées de l’investissement. Une réforme qui devrait instiller plus d’efficacité au système de gouvernance de l’investissement en Tunisie. «Je pense que nous avons besoin d’une unique institution qui doit être suffisamment dotée de compétences et de moyens humains afin de soutenir les entrepreneurs et les promoteurs dès la genèse de l’idée jusqu’au financement. Elle doit veiller à assurer la continuité de l’exploitation de l’entreprise. Cette phase de réformes institutionnelles qui devrait impliquer la fusion des organismes actuels est nécessaire», a ajouté l’économiste.
Des réformes tous azimuts
Evoquant le rôle du système bancaire dans la dynamisation de l’investissement, Hassan a fait savoir que le retour à la croissance est conditionné par un système bancaire et financier actif en matière de collecte de dépôts et de financement. «Le rôle de la banque ne devrait pas se limiter au financement du trésor public, une activité sans risque. La banque se doit d’assurer une bonne gestion et une bonne répartition des risques tout en respectant les règles prudentielles, en vue de financer les nouveaux projets et l’entreprise, d’une manière générale dans ses différentes phases d’évolution», a-t-il poursuivi.
Dans ce contexte, il a appelé à doter les fonds d’investissement d’un cadre juridique adéquat, car ces institutions doivent soutenir aussi bien les nouveaux projets que les entreprises en exploitation. «Ces institutions doivent être autorisées à collecter les dépôts de l’extérieur et cela implique une révision du code des changes. On ne peut pas orienter les ressources des fonds d’investissement vers l’investissement privé, sans une nouvelle vision, une réforme adéquate du code des changes», a-t-il précisé.
S’agissant des banques, Mohsen Hassan a jugé que la refonte du système bancaire s’avère aujourd’hui une décision judicieuse, étant donné que l’économie tunisienne n’a pas besoin d’un grand nombre d’institutions bancaires, mais plutôt de banques fortes qui prennent le risque afin de contribuer au financement de l’économie. «Il y a lieu de revenir au ratio d’activité prioritaire, c’est-à-dire que chaque banque est tenue d’allouer une partie de ses ressources au financement des secteurs prioritaires définis par les pouvoirs publics en commun accord avec la Banque centrale», a-t-il détaillé, tout en affirmant l’importance de mettre en place une banque des régions. «Il est temps de mettre en place cette institution bancaire afin de soutenir le développement des régions intérieures. Toutes les études sont fin prêtes», a-t-il martelé.
S’agissant de la Bourse de Tunis, l’expert estime que le marché financier tunisien doit être réorganisé et doté d’un nouveau cadre juridique, afin d’encourager les entreprises familiales à ouvrir leurs capitaux et de stimuler les marchés primaire et secondaire. Il a, en outre, évoqué l’urgence de moderniser l’administration, tant rebutée par les investisseurs. «Aujourd’hui, la digitalisation de l’administration est une urgence. Il faut revoir le rôle joué par l’administration dans le processus de l’investissement ainsi que de la création de l’entreprise, depuis sa fondation jusqu’à son entrée en exploitation. La création de l’entreprise doit être en ligne, il est temps de digitaliser le processus de la création, les déclarations fiscales et douanières…», a-t-il conclu.
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