Chroniques de la Byrsa: Triste sort d’une glorieuse cité
Nous avons déjà évoqué cette question épineuse de l’urbanisme anarchique dans la région de Carthage et des atteintes multiples à la réglementation de la construction dans ce périmètre tant en surface qu’en hauteur. En effet, comme toutes les autres communes du pays, celle de Carthage est assujettie à un cahier des charges qui régit tous les aspects de l’immobilier dans tout périmètre municipal. Mais elle a aussi cette particularité d’être également soumise, dans un large secteur autour de la colline de la Byrsa dit périmètre jaune, à une réglementation spéciale dictée à la fois par les considérations historiques découlant du passé prestigieux de cette grande métropole antique ainsi que par les impératifs scientifiques de la recherche archéologique. Ainsi, le bâti ne doit pas y dépasser les deux niveaux (R+1) afin de ne pas altérer le paysage (colline de la Byrsa, plaines environnantes, rivages et plans d’eau) qui, en lui-même, restitue des chapitres entiers de l’histoire de la cité. Il ne doit pas, non plus, empiéter sur les parcelles déclarées «non aedificante», non constructibles, parce que identifiées comme recelant des vestiges anciens.
Jusqu’aux débuts des années 2000, ces dispositions ont été appliquées avec plus ou moins de rigueur. Puis, les débordements se sont fait sentir, d’abord timidement et sous couvert d’une légalité plus ou moins contrainte. Cela a concerné le rajout d’un niveau gagné à la faveur d’une dénivellation du terrain sur une pente ou le grignotage d’un terrain classé mais mal délimité. Puis, grâce à des tours de passe-passe administratifs, on a déclassé des terrains pour les rendre constructibles. Mais tout cela avec une certaine mesure.
Après avoir été dépourvue de ses parures au fil des siècles, Carthage perdra les derniers lambeaux de sa gloire, se transformant en cité-dortoir
Puis vint la glorieuse Révolution. Là, bien des «révolutionnaires» de circonstance se sont acharnés à bousculer l’ordre révolu, faisant fi de tous les interdits en la matière. Ils ont porté la hauteur de leurs bâtiments à leur troisième niveau. Puis, enhardis par l’absence de toute réaction de la part des autorités concernées, mairie et conservation du patrimoine, les bâtiments ont grimpé jusqu’au quatrième étage où nous nous trouvons aujourd’hui, masquant progressivement le paysage naturel. Il ne reste plus que par la mer qu’on peut retrouver un aspect du tableau originel qui a prévalu ces siècles derniers. Côté terrains archéologiques, on a vu surgir des quartiers entiers, là où il n’y avait que pierrailles et broussailles. Irrémédiablement perdus.
Ceux qui ont confondu leur avidité avec l’édification de leur avenir et celui de leur descendance découvriront un jour l’étendue de leurs bévues. Ce sera quand la grande Carthage, après avoir été dépourvue de ses parures au fil des siècles, aura perdu les derniers lambeaux de sa gloire, ses prédateurs découvriront qu’ils ont légué à leur postérité une cité sans âme, une cité-dortoir parmi tant d’autres.
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