Culture

Chroniques de la Byrsa: Message d’outre-tombe

Je n’ai pas pour habitude de m’épancher, mais l’expérience est trop forte pour être gardée par-devers soi.

Auparavant, j’aimerais témoigner du courage dont Souad a fait preuve jusqu’aux derniers moments de sa vie. En cela, elle est restée fidèle à l’image que nous tous avions d’elle. Se sachant perdue, elle n’en a pas moins fait preuve d’une grande dignité dans l’atroce souffrance qu’elle a endurée ainsi que devant le péril imminent. Sans cris de désespoir, sans larmes, sans la moindre protestation ou supplication. Elle est partie comme pour un rendez-vous depuis longtemps convenu.

        Elle répondait à ma vocifération.

       J’en ai eu mal aux tripes

Elle nous a quittés, me laissant seul avec mes souvenirs, dont celui-là qui m’accompagnera jusqu’aux derniers moments de mon existence. Une nuit —l’une des dernières que nous avons vécues ensemble—, étant parvenu à voler un moment de répit, j’ai été arraché à mon sommeil dans le lit que je m’étais aménagé tout près d’elle par une sensation de déflagration à l’intérieur de ma boîte crânienne. Je me suis réveillé dans une panique indicible suivie d’une colère volcanique. Souad venait de gémir plus haut que d’habitude. «Tu l’as fait exprès !», ai-je hurlé croyant, dans ma petite tête soudain éclatée, qu’elle me jalousait ma pause alors qu’elle continuait, elle, à souffrir l’enfer. Mais aussitôt, je me ressaisis, me précipitant vers elle pour m’excuser et pour la consoler. Plusieurs heures plus tard, alors que je continuais à la veiller, je l’entendais geindre : «Ce n’était pas fait exprès…». J’avais beau lui dire : «Bien sûr, ce n’est pas fait exprès» et répéter : «C’est entendu, ce n’est pas fait exprès», au début sans trop savoir de quoi il en retournait, tant il lui arrivait de dire des choses apparemment sans sens, du moins pour moi, rien n’y fit et elle n’a cessé de ressasser la ritournelle. Puis la lumière se fit doucement dans ma tête : elle répondait à ma vocifération. J’en ai eu mal aux tripes. Je saurais quelques jours avant sa mort que, chose que les médecins nous avaient cachée, elle souffrait depuis plus d’un an d’un cancer qui avait ravagé son poumon droit et rongé les deux tiers du poumon gauche faisant de chaque inspiration une véritable épreuve du feu. Ce mal était venu aggraver une maladie génétique dégénérative rare qui avait déjà épuisé toutes ses forces.

Je dédie cette chronique à ceux qui, un jour, pourraient se trouver en devoir d’accompagnement d’une personne en fin de parcours et dont la patience pourrait être mise à rude épreuve en les enjoignant, ces jours-là, de penser à Souad. De là où elle se trouve, elle leur délivrera le message libérateur de la compassion vraie: «Ils-elles ne le font pas exprès. Aimez-les jusqu’au bout».

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