Culture

Chroniques de la Byrsa: Mais qui donc est sauvage ?

L’autre jour, j’étais sagement en train de me faire couper les cheveux chez mon coiffeur quand un client-copain est venu juste pour « tailler une bavette ». Vous savez ce que c’est : les coiffeurs aiment bien bavarder ou se trouver en face d’un bavard susceptible d’alimenter leurs provisions d’histoires. C’était pour mon figaro une véritable souffrance que d’avoir entre les mains non seulement une tête passablement dégarnie mais également aussi froide que la mort dans ses réactions, se contentant, sur injonstion, de se baisser, de pencher à gauche ou à droite, de se relever et, surtout, hermétique à ses tentatives d’amorcer le moindre échange. Tout juste, sous l’ample «bavoir» attaché autour de son cou, était-elle capable de remuer ses prolongements abdominaux dits bras pour tenter de gratter les poils mal appris qui se sont infiltrés dans quelques pores et se sont mis à démanger le sujet. Car, voyez-vous, je suis ainsi fait que les commérages ne sont pas ma tasse de thé. Le copain-client s’est confortablement installé après avoir collé deux bises sur les joues de mon tortionnaire que ne connaît de démangeaisons que celles qui met en branle sa logorhrée (voir Le Robert !). Puis d’enchaîner dans le même mouvement : « Je suis allé dimanche à Dar Chichou avec X et Y. On y est resté toute la matinée pour rien ; pas le moindre moineau à attraper ». Ah ! Voilà qui m’intéresse. Cet individu est de la race de ceux qui s’emploient méthodiquement à désertifier l’écosystème de sa faune sauvage. Mon impression a été confirmée par mon hôte qui a déploré la rareté (voire de la disparition) de nombre d’oiseaux qu’il s’est mis à énumérer et dont certains m’étaient connus de nom dans mon enfance.

Trois ou quatre solides gaillards, hilares, brandissaient des buses sauvages attachées à leur poignée par des lanières

Quelques jours après, j’ai eu l’occasion de me rendre à Sidi Bou, comme disent les jeunes. Il y a bien longtemps que je boude cette cité tellement courue qu’elle en devient infréquentable, surtout durant la belle saison. Je m’y hasarde en hiver en compagnie de quelque curieux de mon entourage désireux de découvrir l’endroit. Ce jour-là il faisait beau et cela a coïncidé avec l’accostage d’une croisière au port de plaisance de La Goulette. Il y avait donc foule de touristes. Et, à hauteur de l’escalier légendaire qui conduit à la Zaouia du vénérable saint-protecteur du village, trois ou quatre solides gaillards, hilares, brandissaient des buses sauvages attachées à leur poignée par des lanières et qu’ils essayaient de faire battre des ailes en les secouant énergiquement. Des trophées qu’ils voulaient voir les touristes s’afficher avec eux dans des poses conquérantes contre une pièce (plutôt un billet, de préférence vert). Voilà donc un animal pourtant protégé et ravi à son milieu naturel— par des braconniers en manque d’imagination et de volonté pour exercer une activité lucrative normale— pour être malmené de la sorte au vu et au su de tous et compter bientôt parmi la déjà très longue liste de la faune sauvage disparue de Tunisie. Au fait, qui donc est véritablement sauvage ?

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