Culture

Chroniques de la Byrsa: Le dimanche des « non-arbres »

On y est, ce premier dimanche du mois de novembre. Mais il n’y a pas l’ombre d’un arbre pour en célébrer la fête. Et personne n’évoque dimanche prochain pour le faire. On me dira que l’heure n’est pas à la fête et qu’il y a des soucis bien plus importants pour nous préoccuper. Gaza, par exemple, et le génocide qui s’y perpètre depuis bientôt un mois. Mais attention : Gaza, on en parle comme du tiercé un dimanche matin ou comme un match de football : « On a marqué tant de buts ». Ou « Ils en ont encaissé tant d’autres ». Mais on ne parle pas des morts autrement qu’en chiffres, pour les chosifier : « On en a éliminé tant » ou encore : « Ils n’en ont reconnu que tant ». On ne parle pas d’hommes, de femmes et d’enfants broyés et d’autres meurtris, blessés au propre comme au figuré ; d’êtres anéantis avec leurs aspirations, leurs espérances, leurs projets. Un peu comme s’ils étaient des « non-êtres », en somme.

Appâter un public désabusé, incrédule et que les discours démagogiques ne suffisent plus à retenir devant le cirque

C’est bien de ça qu’il s’agit car ceux qui s’agitent aujourd’hui derrière ces drames ne sont là que pour instrumentaliser une cause afin de mieux masquer leurs échecs, eux qui n’ont jamais été porteurs de projets, de réalisations et de succès. Ils surfent sur la vague de sincère sympathie et de réelle solidarité du peuple avec une cause sacrée pour tenter de se refaire une santé électorale. Ils ne sont là que pour appâter un public désabusé, incrédule et que les discours démagogiques ne suffisent plus à retenir devant le cirque.

Alors, loin de la cohue et dans un profond respect pour ces « non-êtres », j’ai préféré, ce dimanche, vous parler de « non-arbres ».

Les « non-arbres », ce sont ces moignons de troncs qui affleurent à ras-de-sol, un peu comme des projets avortés. On trébuche dessus un peu partout : sur les trottoirs, dans les jardins publics ou disséminés dans les bois comme des cadavres dissimulés pour mieux cacher le crime. Ce sont des arbres abattus sur une décision administrative parce qu’ils étaient de prétendus obstacles à l’élargissement d’une voie ou présumés coupables de constituer un éventuel danger mortel pour la circulation automobile. A moins qu’ils ne fussent gravement « malades » et dont il fallait abréger les souffrances. Cette catégorie est reconnaissable à la qualité de son exécution : une section nette à hauteur d’un empan ou un peu plus. Du travail chirurgical, propre, comme pour signer un acte salvateur.

Vous rencontrerez de tels « vestiges » en particulier dans les villes, intercalés dans les rangées d’arbres d’ornementation. Et il ne viendra jamais aux autorités tutrices l’idée de procéder à des arrachages en règle et, surtout, de combler le vide ainsi créé par de nouveaux plants. Bien au contraire, parfois, là où c’est possible, on cimentera l’emplacement de l’arbre disparu afin que nulle herbe n’y repousse. Les méchantes langues insinuent que, bien souvent, ces opérations cachent un petit trafic de fourniture de bois à un commerce parfaitement illégal.

Le propriétaire, alors l’un des piliers du palais de Carthage, s’est exempté de l’obligation de quarantaine réglementaire

imposée aux végétaux comme aux animaux à l’importation

Il y eut, on ne saurait l’oublier, l’hiver de cette glorieuse année 2011, une vague de charançon rouge, qui s’est attaquée aux palmiers d’ornementation de la capitale et qui, en quelques jours, en a littéralement étêté plusieurs centaines. Ce nuisible était entré clandestinement dans notre pays où il était parfaitement inconnu dans un lot de palmiers…importés du Maroc et dont le propriétaire, alors l’un des piliers du palais de Carthage, s’est exempté de l’obligation de quarantaine réglementaire imposée aux végétaux comme aux animaux à l’importation. Les traces du ravage causé par cet hôte dévastateur sont toujours visibles en plein d’endroits, notamment à l’avenue Mohamed-V où les arbres flétris à leur sommet sont légion, sans parler de ceux abattus. L’effet le plus spectaculaire de cette épidémie est particulièrement notable à Carthage.

C’était une vue de carte-postale que les touristes passant par là ne manquaient jamais de ramener chez eux : ce boulevard s’écoulant doucement de la colline de la Byrsa vers la mer, bordé d’une double rangée de palmiers au faîte de leur croissance. Un tableau saisissant de beauté. En quelques jours, il a été ravagé par l’insecte malfaisant. Les palmes ont fléchi, dégarnissant le sommet de l’arbre, puis s’asséchant avant de s’abattre plus tard sur la chaussée. Que croyez-vous que la municipalité fit ? Soucieuse de la sécurité des passants, elle sectionna les troncs à hauteur d’un demi-mètre environ puis s’en retourna à sa besogne comme si de rien n’était, oubliant qu’un arbre est un symbole de générosité, une promesse de pérennité. Et, aujourd’hui, plus d’une décennie plus tard, seule une poignée de rescapés sont restés là comme pour témoigner d’une splendeur passée. En attendant qu’une équipe municipale nouvelle et responsable s’acquitte d’une dette due aux administrés et au pays tout entier sous forme de plantation de palmiers à l’emplacement de ces moignons si laids et si insultants pour la prestigieuse cité.

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