Célébration du centenaire de la naissance de Safia Farhat (1924–2024) au Centre des Arts Vivants de Radès : Une artiste multiforme de la Tunisie indépendante
Une militante sur plusieurs fronts fut Safia Farhat, artiste plasticienne pionnière, innovant dans la spécialité tapisserie d’art, tout en l’inscrivant dans la tradition locale. Première directrice tunisienne de l’École des Beaux-Arts de Tunis, elle a parcouru seize ans d’existence au sein de l’établissement de l’Itaaut, innovant, élevant le niveau des études et instaurant le système université. De même qu’elle a fondé la revue féminine «Faïza» ainsi qu’une société de décoration avec l’artiste peintre Abdelaziz Gorgi.
Pendant la journée du 20 octobre 2024 et en présence d’un public nombreux d’amis, d’artistes et d’admirateurs, sept communications d’universitaires et artistes et plusieurs témoignages de personnes ayant connu cette grande dame qu’était Safia Farhat ont eu lieu. Les différents exposés ont mis en exergue le parcours riche, les qualités de ses œuvres artistiques, de ses activités pédagogiques et journalistiques. Cet hommage, qui a duré une journée, s’est déroulé à l’intérieur du musée portant son nom, au milieu d’une majestueuse exposition réunissant une panoplie de ses tapisseries d’art, dessins, gouaches, encres et peintures.
Aïcha Filali, la nièce, l’héritière de Safia Farhat et directrice du Centre des arts vivants de Radès, a ouvert la journée d’étude, en présentant les sujets des différents exposés et les noms de leurs auteurs. L’universitaire et historienne de l’art, Alia Nakhli, nous a entretenus du parcours artistique de la plasticienne Safia Farhat en s’attardant sur les différentes étapes de sa vie d’artiste au sein de l’Ecole de Tunis.
Puis, Slim Gomri, anciennement en charge de la programmation et de la communication du musée Safia Farhat, nous a parlé de la configuration architecturale de l’espace du musée, de son éclairage en lumière naturelle et des différentes activités qui ont jalonné les années depuis sa création en 2016. Ensuite Mohamed-Ali Berhouma, universitaire, chercheur et artiste, a présenté une communication bien documentée, truffée de citations à partir d’articles de journaux de l’époque et autres documents sur le lien organique de l’art pratiqué et rattaché à la vie de Safia Farhat, ce qui explique la dénomination du centre qu’elle a fondé après son départ de l’Itaaut par Centre des arts vivants. Denis Lesage, architecte et ancien enseignant d’architecture qui a été le collaborateur de la défunte, nous a entretenus en détail de l’opiniâtre travail de Safia Farhat alors en charge de la direction de l’Ecole des Beaux-Arts de Tunis, à l’origine de la création de la première École d’architecture et d’urbanisme de Tunisie. Ainsi, à la place de l’appellation Ecole des Beaux-Arts, est né l’Institut technologique d’art d’architecture et d’urbanisme de Tunis (Itaaut), pourvu de deux départements, ensuite de trois départements (Art plastique, design et architecture et urbanisme). C’est à partir de cette époque que l’institut est devenu université, accueillant des bacheliers. Sans exagération, l’Ecole des Beaux-Arts de Tunis n’aurait pas eu le visage qu’elle a eu durant la période des années 60, 70 et 80 sans le concours de cette femme d’envergure.
Le séminaire au Musée Safia Farhat (20 octobre 2024)
A l’heure du déjeuner, le séminaire s’est interrompu par une invitation de la maîtresse des lieux à un couscous blanc à l’agneau, œuf et raisins secs que nous avons dégusté au jardin. Dans sa communication, Nadia Jelassi, universitaire et artiste, s’est aventurée à reconstruire à partir du peu qui est resté d’une tapisserie singulière titrée «Soleil». Elle est structurée symétriquement sous la forme d’une rosace à rayons dans la configuration d’un polygone étoilé. L’enquête et l’analyse menées ont fait ressortir l’idée de l’imprégnation de l’artiste Safia Farhat par l’art architectural oriental qu’elle a eu l’opportunité d’approcher lors de ses nombreux voyages en Orient (Turquie et Iran entre autres) et de son implication dans l’art local.
Dans son exposé, Aïcha Filali, universitaire et artiste, a, quant à elle, mis l’accent sur «l’amateurisme fondateur» des activités auxquelles Safia Farhat s’est livrée en tant que journaliste quand elle a fondé en 1959 la revue «Faïza». Issue d’une famille de notables, elle a grandi dans un milieu austère et conservateur. Après avoir obtenu son diplôme en 1952 de l’Ecole des Beaux-arts de Tunis, elle se retrouvait être la seule femme parmi les artistes de l’École de Tunis. Artiste dans tous les secteurs qu’elle a pu toucher, elle n’a pas hésité à fonder une revue féminine, destinée à accompagner la femme dans son accession à une liberté nouvellement acquise, grâce au Code du statut personnel promulgué en 1956 et entré en vigueur en 1957. Safia Farhat s’était fixé comme objectifs l’élargissement du champ de l’art et la valorisation de la culture locale travaillant à instaurer, avec d’autres artistes, un art tunisien « moderne et enraciné » qu’elle a pu exercer avec la fondation de la Société de décoration Zin avec l’artiste Abdelaziz Gorgi. Lors de sa communication, Amor Khouja, ancien directeur de l’Itaaut qui était parmi les premiers architectes formés sur place, a témoigné de l’œuvre grandiose édifiée par Safia Farhat au sein de l’Itaaut. Rachid Fakhfakh, quant à lui, ancien directeur de l’Institut des Beaux-Arts de Sfax et artiste, était parmi les premiers étudiants en arts plastiques à être envoyé par Safia Farhat accomplir son doctorat à la Sorbonne en France, il a ainsi pu témoigner de l’importance de l’action réalisée par Safia Farhat à la tête de l’Itaaut et dans l’instauration d’études de 3e cycle au sein de la section Arts plastiques. Et, cerise sur le gâteau, le séminaire d’une journée a été conclu par un savoureux texte présenté par l’écrivaine Azza Filali, sœur de Aïcha et nièce de Safia Farhat. Dans un style sensible et subtil, elle est remontée aux origines familiales de sa tante, puis sa jeunesse, pour nous conduire dans son atelier d’artiste le dimanche. Ensuite, elle a souligné qu’au point de vue de la filiation, les deux petites nièces de la défunte sont aujourd’hui des artistes qui s’assument. Elle a terminé son texte en soulignant « le militantisme artistique» de sa tante et en dressant le portrait d’une Safia Farhat qui était portée sur le rire comme, dit-elle, l’est sa sœur Aïcha aujourd’hui. En guise de conclusion à cet article, je recopie la dernière strophe d’un poème de ma plume écrit le 8 mars 2018 en souvenir de Safia Farhat, cette Tunisienne d’exception qui était notre directrice à l’Itaaut durant les années fin 70 et début 80 :
Âme repose paisible et tranquille. / Sache que tes enfants, tes petits-enfants / et tes arrière-petits-enfants ne cessent d’être debout / pour l’amour du savoir, l’amour de l’art et pour leur pays. / (Extrait de mon poème : «Safia Farhat l’illustre Tunisienne»).
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