Culture

Brahim Dhahak au musée Safia Farhat à Radès : Témoigner de la culture populaire de l’artiste

 

Par Amel BOUSLAMA

L’intention de Aïcha Filali, directrice du Centre d’art vivant de Radès et artiste plasticienne, est de valoriser le patrimoine des arts plastiques tunisien. Fidèle à son principe de jeter un pont entre les générations, le musée Safia Farhat, au cœur du Centre des arts vivants de Radès*, offre aux visiteurs, jusqu’au 26 mai, un choix de peintures et surtout de gravures de l’authentique artiste peintre et graveur tunisien Brahim Dhahak décédé en 2004 à l’âge de soixante-treize ans.

Né le 16/11/1931 à Gafsa et mort le 28/01/2004 à Tunis, après une formation en dessin à Tunis puis un apprentissage de la gravure, de la mosaïque et de la céramique à Rome, suivi plus tard par une résidence artistique à la Cité internationale des arts à Paris, Brahim Dhahak se consacre ensuite à graver, à peindre et à exposer en Tunisie et à l’étranger.

«Traitement sincère» et «témoignages du peuple» sont, entre autres, deux expressions prononcées par Brahim Dhahak alors qu’il est en train de creuser le bois de l’une de ses gravures, dans le film documentaire de 26 minutes réalisé en 1993 par H’mida Ben Ammar pour la télévision tunisienne. Les paroles de l’artiste traduisent la mission qu’il s’est donnée : éterniser dans le bois puis sur le papier à l’aide de l’encre typographique des scènes de la culture de ses concitoyens, lui, le fils du Sud tunisien, avec ses mœurs, coutumes, villages et palmeraies. Dans un faire stylisé, il nous a laissé des œuvres de gravure présentant la Geste hilalienne, des scènes de musiciens de troupe populaire, de paysans, etc. À mon sens, Brahim Dhahak, qui fait partie de l’École de Tunis, incarne l’engagement citoyen dans son sens le plus noble. Il s’agit d’une pratique de l’art à l’écart des agitations de la scène artistique tunisienne de la seconde moitié du vingtième siècle.

L’être de Dhahak, cet homme simple, libre et rebelle, est cette caisse de résonance d’un corps ployé sur la plaque de contreplaqué en train de retirer de fines lamelles de bois. Le visage tanné par le soleil du Sahara avec des traits burinés par la trace du temps, à l’aide d’un outil rudimentaire, il cisèle le bois comme un artisan. De ce cisèlement naissent des traits parallèles d’inégales épaisseurs. Elles se présentent sous forme de verticales, obliques, courbes ou carrément croisées.

Vu de près, le trait—qui n’est jamais complètement géométrique—a la qualité d’être organique parce qu’il commence fin et, en cours de chemin, s’élargit puis se rétrécit, puis de nouveau s’élargit et finit par s’affiner. Certes, cette qualité du trait produite par la main à travers l’énergie musculaire du bras et du corps entier est générée par le rythme du corporel et lui obéit (souffle et muscle) et surtout par le choix esthétique de la modulation effectué par l’artiste.

Ce procédé plastique d’alignement rythmé fait selon un agencement de perpendiculaires ou de parallèles, et qui ressemble à un tissage, a le pouvoir de créer du mouvement à travers la surface bidimensionnelle de l’œuvre. Je le qualifie de symphonie visuelle. A l’image du rythme produit par les ondulations d’un vent plus ou moins fort dans les palmes des arbres à l’oasis de Gafsa,—ville natale de l’artiste—, s’orchestrent majestueusement les éléments plastiques pour une esthétique de la modulation.

Ainsi un langage spécifique lié au bois et à l’outil utilisés s’y crée, lequel est imprégné par le milieu sudiste de Brahim Dhahak et de sa volonté de rendre pérenne sa culture. Des compositions où l’orchestration visuelle ne manque pas d’évoquer pour le regard une musicalité d’un équilibre, d’une cohérence et d’une harmonie touchantes.    

A.B

L’exposition se poursuit jusqu’au 26 mai 2023.
*Centre des arts vivants de Radès : 1, Rue du Pakistan, 2040 Radès, Tunisie.

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