Blanchiment d’argent | Christian Garnier, Expert international en banque et finance, à La Presse : «Les banques sont astreintes à des réglementations strictes »
«L’économie collaborative est un mode novateur de consommation déjà bien développé en matière d’échanges de biens et de services sur des plateformes réservées aux particuliers. On parle aussi d’économie de partage. Le développement de ce nouveau modèle économique, parce qu’il présente des risques pour la protection des consommateurs et pour la concurrence, commence à être réglementé»
Ces dernières années, le secteur bancaire est confronté à plusieurs lacunes. Quelle est votre appréciation sur ce sujet ?
La prise en compte des risques opérationnels a pris de plus en plus de poids dans les obligations réglementaires. Il faut dire que les lacunes dans les processus, les défauts dans les systèmes d’information ou les défaillances humaines, entre autres, peuvent entraîner des conséquences graves pour les établissements bancaires en plus du risque majeur constaté du défaut de paiement. Autre exemple : la fréquence grandissante des cyberattaques vient encore accentuer ce risque et inciter à s’en protéger au mieux.
Pourquoi les banques font-elles face à de nombreuses menaces aujourd’hui ?
Plus précisément, le risque systémique est une conséquence dont les autres risques peuvent chacun devenir la cause. L’effet domino (chacun entraîne l’autre dans sa chute…) peut gravement peser sur l’ensemble du système bancaire. Souvenez-vous de l’éclatement de la bulle des subprimes en 2007 qui a provoqué une rupture dans le fonctionnement des services financiers en paralysant le marché interbancaire américain (où les banques se prêtent entre elles) . Cette dégradation dans le fonctionnement des banques a alors entraîné des réactions en chaîne préjudiciables à l’économie réelle et a conforté donc les rigueurs réglementaires et les mesures prises par l’ensemble de la profession.
Comment assurer la gestion des risques bancaires ?
Je pense d’abord qu’il faut des collaborateurs compétents, bien formés à l’appréciation du risque et ouverts sur leur environnement, depuis le guichetier jusqu’au sommet de la gouvernance. Dans le processus d’attribution des crédits, il faut également s’appuyer sur des outils évolutifs, des règles comme la division des risques et des procédures claires, comprises et appliquées sans oublier la prise de garanties sérieuses.
La digitalisation des services bancaires est-elle une opportunité pour les collaborateurs ?
Avec l’apparition de la relation multicanal que les moyens technologiques « imposent » de plus en plus, la relation-client ne doit pas en pâtir. Car le digital ne se cantonne pas aux collaborateurs, et il faut savoir opportunément combiner le canal technologique et le présentiel pour conserver la relation humaine attendue. Je rajouterais concernant spécifiquement les collaborateurs, que l’apparition du travail à distance qui a émergé avec la crise du Covid-19 va entraîner des changements dans l’organisation du travail qui ne doivent pas faire oublier les obligations de confiance, de conseil et d’accompagnement. Nous le devons à nos clients… puisque, in fine, ce sont eux qui nous payent.
Quel rôle peuvent jouer les banques dans l’économie collaborative ?
L’économie collaborative est un mode novateur de consommation déjà bien développé en matière d’échanges de biens et de services sur des plateformes réservées aux particuliers. On parle aussi d’économie de partage. Le développement de ce nouveau modèle économique, parce qu’il présente des risques pour la protection des consommateurs et pour la concurrence, commence à être réglementé pour des raisons de transparence fiscale, de réglementation sociale, de loyauté et de visibilité dans les échanges… et les banques y sont attentives.
Comment protéger les moyens de paiement des clients contre la fraude ?
Les systèmes d’information mis en place par les banques et les innombrables pare-feux implémentés tout au long de la chaîne (accès au compte, codes sécurisés, reconnaissance du terminal de transaction utilisé…) sont sans cesse renforcés. Ils évoluent avec les progrès de la technique, et sont la plupart du temps très efficaces… et c’est aux clients de respecter les règles de prudence qui sont connues et souvent rappelées.
Les banques peuvent-elles utiliser aujourd’hui la technologie blockchain ?
Cette technologie de stockage et de transmission des données est en voie de développement, mais elle n’est pas encore totalement stabilisée. Cependant les banques et les institutions financières s’intéressent à son utilisation potentielle. Certaines ont déjà commencé à explorer et à déployer des applications blockchain pour des utilisations comme les transferts d’argent transfrontaliers, la gestion des actifs numériques, la vérification de l’identité des clients… La généralisation de l’utilisation par les banques de la technologie blockchain dépendra de la maturité, de la stabilité et de la fiabilité de l’outil avec l’accroissement du nombre d’utilisateurs. Nul doute qu’en ce domaine également la réglementation en matière de conformité viendra impacter le modus operandi des banques.
Comment lutter contre le blanchiment d’argent ?
Les banques sont astreintes à des réglementations strictes en la matière. J’en rappelle quelques-unes : la vérification de l’identité des clients en s’assurant qu’ils ne sont pas impliqués dans des activités criminelles ou illégales, la surveillance des transactions pour détecter des activités suspectes, en temps réel ou sur une période plus longue, la mise en application de règles de conformité matérialisées par des normes et procédures, la formation régulière du personnel sur les moyens de détecter les activités suspectes et de gérer un client sur lequel portent des doutes sérieux. A celles-ci s’ajoute la coopération avec les autorités judiciaires et les agences de renseignement nationales (la Commission Tunisienne des Analyses Financières ou CTAF pour votre pays) pour fournir des informations sur les activités suspectes conformément à la loi.
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