Attractivité de la Tunisie : Simplifier efficacement pour attirer les investissements
La Tunisie tergiverse, hésite, ne sait pas par où commencer, estiment les économistes. Pendant ce temps, nos concurrents directs s’activent et tirent profit des nombreuses dynamiques de relocalisation initiées ou accélérées par l’effet des crises du Covid et de la guerre en Ukraine.
En visitant dernièrement la Banque centrale de Tunisie, le Chef de l’Etat, Kaïs Saïed, est revenu notamment sur la situation des investissements. Il a regretté que la corruption généralisée empêche les investisseurs de choisir la Tunisie pour y lancer leurs projets. Les obstacles d’ordre bureaucratique ont été également cités puisqu’ils aggravent la situation.
En effet, investir dans notre pays est un véritable parcours du combattant pour les investisseurs étrangers, mais aussi locaux. Entre procédures complexes, autorisations nécessaires difficiles à obtenir et opérations financières interminables, lancer un projet peut requérir plusieurs mois, au point que les investisseurs décident souvent d’abandonner leurs projets et de changer de destination.
L’Agence de promotion de l’Investissement extérieur (Fipa) a publié, il y a quelques jours, les chiffres des investissements étrangers du premier semestre 2023. Ces données font état d’une hausse des investissements étrangers en Tunisie de 17,6% comparé à 2022, de 24,5% par rapport à 2021 et de 24,5% par rapport à 2020. Concrètement, ils sont en baisse de 6,16% par comparaison avec l’année de référence d’avant la pandémie 2019, des chiffres donc très en deçà des attentes et des effets d’annonce.
Les investissements étrangers ont, en effet, baissé de 1,297 milliard de dinars fin juin 2019 à 1,217 milliard fin juin 2023. Quant aux investissements directs étrangers (IDE), ils ont augmenté de 15,4% fin juin 2023, par rapport à la même période un an auparavant et diminué de 13,48% par rapport à la même période de 2019.
En termes de nombre de projets (opérations d’investissement), la France reste le premier pays créateur de projets en Tunisie, avec 183 projets dont 154 en extension.
Une vision brouillée
Ce volume des investissements jugé par les économistes très maigre, témoigne, en effet, d’une situation inquiétante. Pourquoi la Tunisie peine à attirer les investisseurs étrangers ? Pourquoi ne parvient-elle pas à mettre en place un écosystème économique et financier propice aux investisseurs locaux ?
Si la visite du Président de la République, Kaïs Saïed, à la banque des banques sonne comme un signal fort pour rassurer les cercles financiers quant à la volonté des autorités de supprimer les obstacles, des pas de géant restent à franchir, et des mesures s’imposent aujourd’hui plus que jamais, s’accordent à dire les observateurs. Pour l’heure, il s’agit d’un dysfonctionnement structurel des mécanismes d’investissement.
La Tunisie tergiverse, hésite, ne sait pas par où commencer, estiment les économistes, pendant ce temps, nos concurrents directs, à commencer par notre voisin marocain, s’activent et tirent profit des nombreuses dynamiques de relocalisation initiées ou accélérées par l’effet des crises du Covid et de la guerre en Ukraine.
L’ex-président de l’Instance tunisienne de l’investissement et expert en investissement, Khalil Laâbidi, estime que si la Tunisie possède tous les atouts pour devenir une destination privilégiée des investisseurs, les freins dissuasifs doivent être supprimés. Ainsi, dit-il : «Pour répondre à votre question, je mentionne certains éléments essentiels à mon avis. Ce qui pose un frein à l’investissement, c’est l’instabilité bidimensionnelle qui s’est installée en Tunisie. Il s’agit d’une instabilité politique qui brouille les visions et les programmes. L’investisseur n’arrive pas à déterminer la vision du gouvernement en matière de choix économiques. Ces investisseurs doivent voir dans quelle direction se dirige le pays. Or, en Tunisie, d’un gouvernement à l’autre tout change. Il s’agit également d’une instabilité législative avec une prolifération de textes. On cherche toujours à résoudre les problèmes par des législations, mais sans vraiment mettre l’accent sur l’effectivité des réformes opérées », estime-t-il.
Le pays n’est pas attractif
Notre interlocuteur évoque également des entraves d’ordre administratif, par le biais de procédures complexes. Pour les surmonter, il prône une administration «sans contact» où l’investisseur est traité de façon égalitaire via des plateformes numériques. «Nous avons par exemple fait des textes de loi portant sur les investissements dans les énergies renouvelables, mais les investisseurs n’ont pas pu se retrouver dans le modèle établi par les autorités », a-t-il regretté.
Et d’ajouter : «Malgré le fait que tout le monde semble conscient que la Tunisie doit devenir un pays d’investissement et d’opportunités, la vision reste brouillée. Résultat, le pays n’est pas attractif aux yeux des investisseurs ».
Même son de cloche chez l’expert en économie Sami Saya, qui pense que le pays n’évalue pas, comme il se doit, le facteur temps dans la promotion des investissements. «Le plus gros problème que rencontre l’investissement reste l’absence de vision claire soutenue par l’écosystème et le leadership politique sur les questions économiques qui sont malheureusement laissées pour compte. Et là, avec l’introduction de la loi de l’investissement, on comprend mieux que le problème d’implémentation constitue un véritable obstacle et que sa résolution n’est possible qu’avec une réelle volonté politique… c’est la réalité d’aujourd’hui… on a une économie «étatiste» en faillite et l’Etat n’a aucune raison de lancer des projets d’investissements publics structurants qui aggraveraient davantage son endettement », explique-t-il à La Presse.
S’ajoutent à ces problèmes la complexité des procédures administratives et les conditions multiples pour investir, le manque de communication et de transparence de l’administration, la résistance au changement ainsi que le corporatisme, outre la corruption qui gangrène certains secteurs.
L’économiste Ezzeddine Saidane, contacté par La Presse, estime que les raisons du blocage de l’investissement étranger en Tunisie sont les «lois obsolètes, telles que la loi sur l’investissement et le code des changes, qui ont dépassé leur durée de validité». Il a ajoute que les procédures administratives contraignantes et le manque d’investissements publics de l’État sont des facteurs qui ont aggravé la situation qui nuit considérablement à la croissance économique. «L’économie tunisienne a abandonné ses rôles essentiels, notamment la création de richesse et d’emplois. L’une des principales raisons est le blocage de l’investissement, car l’investissement public encourage les investisseurs privés. Il est impossible de réaliser une croissance économique réelle, de créer de la richesse et des emplois sans investissements», ajoute-t-il à La Presse.
Une lueur d’espoir malgré tout
Même si la situation reste marquée par des difficultés au niveau de la promotion des investissements, la Tunisie peut garder l’espoir de séduire des investisseurs étrangers. Il faut rappeler que les efforts se concentrent actuellement sur la création d’un guichet unique numérique dédié aux investisseurs.
En effet, la plateforme d’investissement numérique nationale lancée par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) et l’Instance tunisienne de l’investissement (TIA) sera transformée en un guichet unique numérique d’investissement.
Le guichet en question offrira, selon les autorités, des services numériques entièrement automatisés visant à améliorer les services rendus aux investisseurs, à attirer les investissements directs étrangers et à créer des emplois. Les services permettront également de retracer l’intégralité du parcours des investisseurs, de la déclaration d’investissement au suivi, en passant par l’octroi de l’autorisation. En attendant, l’incertitude économique se présente ainsi comme un obstacle majeur aux investissements intérieurs et extérieurs. Face à des choix économiques instables et en l’absence d’une politique économique claire, les investisseurs hésitent donc à investir en Tunisie. Il est grand temps d’y remédier
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