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Assises de la justice transitionnelle : Où va l’expérience tunisienne ?

 

Du 23 au 24 février, se sont déroulées à Tunis les assises de la Justice transitionnelle sur le thème : «L’expérience tunisienne et les expériences comparées». Deux jours de débats et d’échanges autour de notions, telles que l’Etat de droit, la redevabilité, la mémoire, les réformes institutionnelles et la réconciliation. Un événement organisé par l’initiative «La Roujou3».

La campagne «La Roujou3» (Plus jamais ça), réunit trois ONG, à savoir, Avocats sans frontières, Al Bawsala et le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux. C’est à ce front d’associations que nous devons parmi d’autres projets liés à la justice transitionnelle, la publication du «Livre blanc de la société civile», une lecture analytique pour l’application des recommandations de l’IVD et la production du documentaire «L’Angle mort», de Lotfi Achour.

Avec la rencontre internationale organisée les 23 et 24 février, les organisateurs ont voulu revenir sur un processus tunisien semé d’embûches en le comparant à d’autres expériences. Deux jours de débats, d’expositions et de projections afin de revenir sur les principes fondamentaux de la JT, d’établir le bilan de ce qui a été fait en Tunisie, de raviver sa dynamique et de souligner sa pertinence dans le contexte actuel.

Pour les initiateurs de «La Roujou3» : «Le tournant autoritaire opéré par le Président Kaïs Saïed le 25 juillet via le gel puis la dissolution du parlement, du Conseil supérieur des magistrats, la suspension de la Constitution de 2014 et son remplacement par un texte unilatéralement rédigé où la justice transitionnelle ne figure plus (…) ont porté un nouveau coup dur à la JT, qui se retrouve plus que jamais menacée».

Des réformes avortées

Intervenant dans le premier panel du colloque sur «le Rôle de la JT dans l’établissement d’un Etat de droit et responsabilité des institutions inter-gouvernementales», Sihem Ben Sedrine, ancienne présidente de l’Instance vérité et dignité, explique les dérives actuelles de la justice ainsi que du système sécuritaire par l’absence de mise en place des réformes préconisées par l’Instance à la fin de son mandat : «Notre rapport final a pourtant listé une série de recommandations et de réformes, qui auraient pu nous faire éviter le chaos que nous vivons ces jours-ci. Ce rapport que certains appellent à ce qu’il soit effacé du Journal officiel».

Eugène Bakama-Bope, spécialiste en justice transitionnelle à l’Union africaine a rappelé que le Continent africain est passé par une quinzaine d’expériences de JT. Parmi les plus marquantes viennent celles concernant l’Afrique du Sud, le Rwanda et le Darfour. Après le génocide du Rwanda, un groupe d’experts a été créé et un rapport rédigé sur la base d’une enquête. «La politique de justice transitionnelle de l’UA établit les principes et les approches qui devraient guider un holistique. Ses objectifs sont les suivants :  améliorer la rapidité, l’efficacité et la coordination des activités de JT dans les pays sortant d’un conflit et dans les pays en paix, tout en jetant les fondements de la justice sociale et de la paix durable et en empêchant la reprise de la violence. Nous cherchons aussi à renforcer la cohésion sociale, la construction nationale et, le cas échéant, les réformes de portée générale de l’État afin de s’attaquer aux causes profondes des conflits», fait remarquer l’expert. Il note toutefois que la plupart des commissions vérité africaines présentent des mandats très larges mais ont peu de ressources pour atteindre toutes leurs ambitions.

Système sécuritaire : opacité persistante

La société civile prend de plus en plus de place dans les processus de JT qui ont été présentés lors des assises. D’ailleurs, la loi sur la justice transitionnelle tunisienne cite dans son article 70 qu’après la clôture des travaux de l’IVD, une commission parlementaire doit être créée pour appliquer les recommandations du rapport final. Parmi les membres de cette commission, selon la loi, figurent les associations concernées par le processus. Si cette instance n’a jamais vu le jour, des ONG tunisiennes ont continué à travailler et à réfléchir sur la JT.

Le Labo démocratique, présidé par la juriste Farah Hached s’est intéressé depuis les premières années post révolution au secteur de la police. Farah Hached a évoqué dans son intervention : «L’impossible réforme du secteur de la sécurité et du renseignement», la confusion des chaînes de responsabilité dans cet univers marqué par l’opacité et le manque de transparence. De la période de Bourguiba, à celle de Ben Ali, elle constate aussi autant de connivences entre le judiciaire et le sécuritaire que d’interactions entre le parti dominant et les hauts cadres du ministère de l’Intérieur. Les attaques terroristes post révolution semblent aussi avoir contribué à reporter sine die la réforme. Des commissions parlementaires ont été constituées après 2011, mais, politisées, elles n’ont jamais vraiment fonctionné, a constaté Farah Hached.

«Jusqu’à aujourd’hui, les décrets qui gèrent la sécurité ne sont pas publiés. Certes, ce secteur est sensible et soulève le problème de la souveraineté, mais les expériences comparées nous disent que plus on implique la société civile dans sa réforme, plus le contrat de confiance est grand entre les sécuritaires et les citoyens», conclut la juriste.

Des lieux de mémoire contre l’oubli et le déni

Ancienne victime, appartenant au mouvement Perspectives, Ahmed Karaoud, milite aujourd’hui pour le droit aux processus de mémorialisation. La mémoire, ce cinquième pilier de la justice transitionnelle, peut garantir, grâce à des mécanismes érigés contre l’oubli et le déni, musées, sites dédiés, œuvres artistiques et autres formes de récit, le non-retour à de violations graves des droits de l’homme. Ahmed Karaoud fait partie du Forum méditerranéen de la mémoire, une ONG membre d’un front encore plus grand : la Coalition internationale des sites de conscience. La Coalition, qui comprend plus de 200 ONG réparties dans 55 pays, active le pouvoir de certains lieux emblématiques de mémoire en vue d’impliquer le public dans une compréhension plus profonde d’un passé violent.

«Parmi les prérogatives du Forum méditerranéen de la mémoire, la collecte de tous les récits écrits par d’anciens opposants aux régimes de Bourguiba et de Ben Ali. Ce que nous appelons la littérature de prison. Nous avons également fait un mapping des lieux de détention et de torture, clandestins ou autres, qu’a connus la Tunisie, tels Sabbat Edhlam, Villa Naasane, la prison du 9 Avril».

L’intervenant a cité deux exemples de deux endroits aménagés par des ONG faisant partie de la Coalition des Sites de conscience et qui servent à raconter une histoire de violations graves aux générations nouvelles. «A New York, un bâtiment où étaient parqués les migrants dans un dénuement total a été transformé en un musée didactique visant à ressusciter les durs itinéraires des bâtisseurs de ce nouveau monde venus d’Italie, du Liban, de Chine. En Afrique du Sud, le lieu où a été rédigée la constitution post apartheid est devenu également un site de conscience», a ajouté Ahmed Karaoud.

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