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Arrestation de plusieurs personnalités : Un imbroglio politico-judiciaire à l’horizon ?

 

Indubitablement, la machine judiciaire mise en branle ces derniers jours tente de rattraper le temps perdu. Trempés, semble-t-il, dans diverses affaires afférentes notamment à la sécurité intérieure de l’Etat (corruption et financement occulte), les «marionnettistes» tombent les uns après les autres. La justice passe la vitesse supérieure, mais il importe de respecter la présomption d’innocence et de ne pas se lancer dans la logique de la loi du Talion.

La justice qui s’est trouvée elle-même sur le banc des accusés toute une décennie durant passe  aujourd’hui par un examen très difficile au terme duquel elle devrait impérativement confirmer sa totale indépendance, car au-delà des procès  en cours, des partis politiques appuyés par certains chroniqueurs qui s’échinent étrangement à défendre l’indéfendable, livrent leur dernière bataille et tentent tant bien que mal de  faire croire à l’opinion publique (et internationale aussi) que  ces affaires sont à connotation politique.  Mais si c’est le cas, pourquoi alors ces menaces proférées à l’encontre de trois juges chargés de ces affaires, au point qu’ils sont aujourd’hui sous escorte policière? La question mérite bien d’être posée.  

Pour mieux comprendre les dessous des récentes arrestations et auditions, il serait utile de se référer à la visite du Président de la République, quelques heures avant le lever du jour, au quartier général du ministère de l’Intérieur à Tunis durant le mois de juillet de l’année 2020, et la réunion qu’il avait tenue avec le ministre de l’Intérieur de l’époque, Hichem Mechichi, en présence des directeurs généraux des départements sécuritaires clés quelques jours après de nouvelles nominations au sein de ce ministère. N’y allant pas par quatre chemins, le locataire de Carthage, et sans en prononcer le mot, avait  fait allusion à l’État profond qui tente de déstabiliser le pays par le biais des contestations sociales et d’autres manœuvres. « Celui qui complote contre l’État n’a pas de place en Tunisie », avait-il martelé à cette occasion.  

Arrestations en série et accusations très graves

Tout le monde connaît la suite. Mechcichi a été nommé Chef du gouvernement quelques mois après cette visite mais a été limogé ainsi que la majorité des hauts cadres sécuritaires qu’il avait précédemment nommés  après le 25 juillet 2021. Les changements apportés notamment à la tête des deux ministères de l’Intérieur et de la Justice et qui ont été suivis d’une purge à grande échelle pour tenter de libérer ces deux départements régaliens du joug des partis politiques au pouvoir à cette époque  n’auguraient rien de bon pour  des marionnettistes très influents  et peu visibles.

Il serait aussi  utile de rappeler les déclarations  de l’avocat et ancien ministre Mohamed Abou en décembre 2022 dans lesquelles il a dévoilé lors de son passage sur une radio privée « les ressorts cachés de l’Etat profond». Abou avait pointé du doigt «l’exercice d’influence pratiqué sur les réseaux sociaux par les hommes des boîtes noires», tout en confirmant qu’il n’y avait pas que la société Instalingo dont le nom était lié au mouvement Ennahdha  et qu’il fallait ouvrir ce dossier et enquêter sur les ressources financières de telles sociétés et de telles pages sur les réseaux sociaux.

Entre-temps, le ministère de la Justice avait déjà décidé de prendre le taureau par les cornes. S’ensuivit alors le début de l’opération  qu’on pourrait qualifier de «mani pulite» marquée par l’ouverture d’enquêtes judiciaires ayant mené à des arrestations en série  d’homme d’affaires, de hauts cadres sécuritaires, de personnalités politiques  notoires dans le cadre de différentes affaires, dont celles se rapportant aux  assassinats politiques (Chokri Belaïd et Brahmi), au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme  (affaire Namaa), à l’exercice d’influence et manipulation de l’opinion publique (affaire Instalingo), aux réseaux d’envoi des Tunisiens dans les zones de conflit, et pour finir, l’affaire du complot contre la sûreté de l’État qui a  mis en cause l’homme d’affaires Kamel Letaïef, l’activiste politique Khayam Turki, l’ancien dirigeant du mouvement Ennahdha Abdelhamid Jelassi  et l’ancien diplomate Moncef Ben Attia qui a été libéré selon l’avocate Bochra Bel Haj Hmida.

A cet effet, Ghazi Chaouachi, avocat de Khayem Turki, avait déclaré à l’agence TAP que  le substitut du procureur de la République près le pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme l’avait informé que son client, placé en détention préventive depuis la nuit de samedi dernier, est accusé de soupçons de complot contre la sûreté de l’Etat et que son arrestation a été menée sur la base de rapports sécuritaires, ajoutant que l’action du parquet a été entreprise à la demande du ministère de l’Intérieur .

De plus, et selon l’avocat Abdelaziz Essid, Kamel Eltaïef, Abdelhamid Jlassi et Khayem Turki ont été arrêtés dans cette même affaire. Le dirigeant nahdhaoui et ancien ministre Noureddine Bhiri, ainsi que le directeur de Radio Mosaïque, Nouredine Boutar, et Lazhar Akremi ont été à leur tour interpellés ce lundi.  Pour ce qui est de Noureddine Bhiri, il est accusé aussi de «falsification de documents à caractère judiciaire». Les avocats de la majorité des accusés dans ces affaires ont présumé dans leurs déclarations aux médias que les dossiers d’accusation sont vides et qu’en fin de compte, ils seront tous relâchés.

La liste s’allonge inexorablement

La liste des personnes interpellées ne fait que s’allonger d’un jour à l’autre. L’opinion publique est sous le coup de la surprise et l’étonnement suite à cette série d’arrestations jamais vécue dans le pays. 

Sur ordre du parquet, et jusqu’à la date d’hier, mardi 14 février, plus d’une vingtaine de personnes soupçonnées d’être mêlées à ces affaires ont été auditionnées par l’Unité nationale de recherche dans les crimes terroristes et du crime organisé touchant l’intégrité territoriale, à la caserne de Bouchoucha, dont un ancien  militaire impliqué dans la tentative de coup d’Etat  connue sous l’appellation de l’affaire Barraket Sahel, un ancien directeur général de la sûreté nationale. Les deux juges Bechir Akremi (ancien procureur) et Taieb Rached (ancien premier président de la Cour de cassation) comptent aussi parmi les personnes qui ont été arrêtées, le premier  dans le cadre de l’assassinat de Belaïd et le second  pour soupçons de corruption.  Pour rappel, l’ancien ministre de l’Intérieur  et dirigeant du parti Ennahdha Ali Larayedh  est toujours en état d’arrestation dans le cadre d’une enquête sur l’envoi présumé de jihadistes dans les zones de tension.

Kaïs Saïed : «Le peuple réclame des comptes»

Sur les réseaux sociaux,  des pages sponsorisées ont profité de l’absence de déclarations officielles  pour faire circuler, à dessein malveillant, l’arrestation d’autres hommes d’affaires et des responsables de médias de grosse pointure au point qu’on n’est plus en mesure de démêler le vrai du faux.  

Encore faut-il rappeler que lors de sa rencontre avec le ministre de la Justice qui s’est tenue au palais de Carthage le 10 février dernier, le Président de la République  a réaffirmé le rôle crucial de la justice dans cette situation délicate que traverse le pays et a  insisté sur la nécessité d’intenter des poursuites contre tous les criminels et de les juger équitablement. «Le peuple réclame des comptes depuis longtemps», a-t-il martelé.  Cela nous donne une idée sur la ténacité et la détermination du locataire de Carthage à faire face  à l’Etat profond en livrant  une guerre sans merci contre ceux qui complotent contre l’Etat, ceux qui se croient intouchables et au-dessus des lois. Une guerre dont l’annonce a été faite depuis juillet 2020 en présence de l’ancien ministre Hichem Mechichi en personne au siège du ministère de l’Intérieur et qui n’épargne aujourd’hui aucune partie, comme en témoigne la condamnation depuis lors d’anciens ministres et l’arrestation de plusieurs syndicalistes de la police et de la société Tunisie Autoroutes, ainsi que la comparution récente des syndicalistes relevant de la Fédération des transports devant la deuxième brigade anti-criminalité de Ben Arous. Cependant, il importe de ne pas piétiner les droits des accusés ou de  les sacrifier sur l’autel de la vengeance. Il est primordial de respecter la présomption d’innocence.  C’est dans ce sens que le Bureau des droits de l’Homme des Nations unies a appelé depuis hier, mardi 14 février, les autorités tunisiennes à «respecter les normes d’une procédure régulière et d’un procès équitable dans toutes les procédures judiciaires et à libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement, y compris toute personne détenue en relation avec l’exercice de ses droits à la liberté d’opinion ou d’expression». Il a aussi appelé  les autorités à «s’employer à mettre la législation, les procédures et les pratiques du secteur de la justice en conformité avec les normes et standards internationaux applicables, et à travers la séparation des pouvoirs, à maintenir l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’Etat de droit».

Plusieurs partis politiques et associations ont fermement condamné ces arrestations qu’ils ont qualifiées d’arbitraires et ont demandé la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées.

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