Economie tunisie

Analyse | «La réforme du système de financement n’est plus une option, mais une nécessité absolue»

 

Par Dr Habiba Nasraoui Ben Mrad
Chercheure et enseignante universitaire

L’individualisme économique, qui, depuis des décennies, avait régné comme valeur sûre d’une organisation sociale, de l’économie de marché, est aujourd’hui remis en cause,  sous l’impulsion de diverses crises, guerres et catastrophes naturelles.

L’économie traditionnelle s’ancrait fermement dans les relations de confiance. Le capital social de confiance, représentant une composante essentielle de l’ordre social. Le Covid-19 a, en effet, révélé le rôle central de l’humain dans l’intermédiation.

Dans ce contexte en pleine mutation, les banques tunisiennes et autres intermédiaires financiers doivent accélérer la mutation de leur modèle économique, repenser leur business model, se réinventer, réinventer leur offre de services afin de rester compétitives et contribuer plus efficacement à une allocation optimale des ressources et à une plus grande résilience de l’économie tunisienne. Pour ce faire, les banques doivent rendre leurs interventions plus efficaces en orientant les financements bancaires vers des activités d’intérêt général, touchant à la souveraineté du pays, dont la souveraineté alimentaire et les activités à forte valeur ajoutée et orientées vers la R&D et les secteurs de haute technologie.

Il s’agit aussi de réinventer la relation client et renforcer l’accompagnement humain, développer et financer des programmes de restructuration et de modernisation de leurs économies par le financement de grands projets d’infrastructures, dans l’éducation, le transport et la protection sociale.

Il faudrait également développer des filiales spécialisées dans le secteur agricole, en collaboration avec d’autres structures devant permettre à la Tunisie de réaliser sa réforme agraire, financer la mise à niveau par l’innovation par un mécanisme de crédits agricoles assortis de conditions de garanties techniques, tel un taux d’encadrement qui reste faible de l’ordre de 10% en Tunisie. L’agriculture est un secteur porteur et a un effet d’entraînement sur plusieurs autres secteurs, et, de surcroît, permet à notre pays de réaliser sa souveraineté alimentaire.

Dans le même contexte, il est impératif de rendre le crédit accessible à plusieurs régions rurales, PME agricoles, petits métiers, qui sont exclus, et ce, par le développement des banques coopératives spécialisées dans le financement du développement territorial et de l‘économie circulaire.

Réforme obligatoire du système bancaire et financier

Depuis quelques années, il y a une prise de conscience que la croissance économique n’est plus la seule métrique du progrès social, qu’elle ne peut plus être le seul projet de société, et qu’il faut intégrer dans cette mesure les dimensions sociales et environnementales. Le système de financement doit impérativement répondre aux besoins du développement durable, et de l’économie circulaire.

La banque universelle, instituée en Tunisie depuis la réforme de 1986 suite au PAS et ses exigences de libéralisation, a, en effet, montré ses limites. Le système bancaire et financier tunisien doit s’adapter aux nouvelles exigences du développement durable, et de l’économie circulaire prônant une croissance inclusive, et ce, en diversifiant davantage leurs activités. Le crédit doit être accordé non plus sur la base de la solvabilité de l’emprunteur, mais sur la valeur du bien financé, sa valeur sociale, environnementale, patrimoniale, culturelle. Il faut absolument réinstaurer la spécialisation. La restructuration du système bancaire financier, plus que pressante, doit se faire en faveur :

– Des financements à impact social et environnemental. Notons que la finance environnementale permet de développer une diplomatie écologique et environnementale, dans le but de drainer des ressources financières internationales.

– En faveur de l’économie circulaire qui représente un cadre idéal pour la croissance inclusive et la réalisation des 17 ODD.

– En faveur des financements participatifs.

– Au profit d’un financement territorial, vecteur de l’économie circulaire. Une bonne partie de la croissance et du rayonnement d’un pays repose sur le développement du potentiel de ses territoires et régions, représentant un levier de la prospérité nationale. Les ressources des différents territoires tunisiens sont de natures très différentes. Cette diversité appelle des traitements différenciés, car facteur d’inégalités en termes de revenus, d’infrastructures ou de facilités d’accès aux services. Pour cette raison, il faut penser sérieusement à la création d’un Observatoire des Territoires destiné à identifier d’éventuelles disparités et inégalités.

Une Banque centrale plus impliquée

La structure de l’économie tunisienne est fragile et vulnérable de par même ses caractéristiques, et par effet des crises qui se sont succédé, ainsi que de la non-assistance par la Banque centrale aux PME. En effet, les entreprises tunisiennes au nombre de 800.000 sont pour la plupart des petites PME, plus de 96 % de l’ensemble du tissu industriel. Ces entreprises ont difficilement accès au financement direct, par émission de titres sur les marchés financiers. Les conditions d’accès au marché financier sont, en effet, impossibles à satisfaire. La seule alternative possible qui leur reste est celle du financement bancaire. Or, si ce financement s’avère coûteux, la conséquence ne sera autre qu’une récession de l’économie tunisienne.Pour répondre à la crise, la Banque centrale doit être réhabilitée dans sa  fonction d’orientation du crédit, voire pour accorder directement des crédits aux secteurs jugés prioritaires, tel le secteur agricole, en refinançant de manière sélective des prêts  à des taux préférentiels. La création d’un réseau composé de divers établissements spécialisés facilitera pour la BCT l’orientation des crédits vers des activités productives et prioritaires.

La politique de ciblage, conforme à l’orthodoxie financière, s’est avérée jusque-là inefficace et a porté préjudice aux entreprises tunisiennes, sans pour autant stabiliser l’inflation, car l’inflation galopante et incompressible, observée depuis quelques années, n’est pas une inflation d’origine monétaire. Il s’agit donc d’une inflation  importée, et impliquée également par une économie parallèle non contrôlée. La Banque centrale doit s’impliquer davantage dans le projet de transition vers l’économie circulaire. En effet, si réellement nous voulons assurer la transition vers l’économie circulaire, nous devons adapter d’une part la politique monétaire, orienter l’économie vers le modèle circulaire soit en soumettant le refinancement des banques à un certain pourcentage de crédits circulaires ou en accordant ces crédits à des taux préférentiels, ou alors en réformant le système de financement de l’économie tunisienne, pour instaurer le financement solidaire et participatif car le système financier actuel ne pourra jamais gagner le pari de la circularité.

Mécanismes de financements participatifs et solidaires

Les acteurs du financement innovant sont très divers, mais ils reflètent souvent une collaboration entre le secteur privé et le secteur public. Le secteur privé peut apporter des financements au secteur public, en investissant dans des obligations, telles que celles émises pour financer des projets verts, de l’ESS ou de l’économie circulaire.

Les mécanismes de financement innovants  et spécifiques peuvent être classés ainsi en 4 catégories : mécanismes  destinés à lever des fonds sur les marchés des capitaux, prêt participatif social et solidaire, microfinance et financement pour les PME, fonds d’investissement à impact et fonds de capital-risque et de capital investissement.

Les banques populaires doivent souscrire à ces fonds aux côtés des acteurs privés du financement de l’ESS, tels que les banques mutualistes. Par ailleurs, les mécanismes destinés aux projets à très hauts risques se présentent sous forme de garanties des prêts bancaires devant financer le développement durable, les projets à impact social de grande envergure, et projets de l’économie circulaire. C’est dans ce genre de projets qu’on devrait avoir recours aux PPP, qui sont mieux adaptés, car ils permettent de drainer des fonds assez importants. Un partenariat public-privé est un contrat conclu par une autorité publique, au terme duquel elle confie à une entreprise privée la mission de financer, de construire ou de gérer des ouvrages, des équipements nécessaires au service public. En contrepartie, le partenaire privé reçoit une rémunération. Le dispositif particulier des partenariats publics-privés (PPP) est un levier de financement des infrastructures des territoires, de la transition écologique ou des territoires intelligents, des activités de R&D, et des secteurs de haute technologie. Ce dispositif est aussi adapté à l’économie circulaire, dont un cadre réglementaire devient plus que nécessaire.

Un Contrat à Impact Social, environnemental et circulaire  (Cise) est aussi un projet de développement durable, et une collaboration entre des investisseurs, des structures de l’Economie Sociale et Solidaire, ou de l’économie circulaire et la puissance publique dont la finalité est de résoudre un problème social, environnemental et circulaire. Les investisseurs financent des programmes sociaux et des projets de l’économie circulaire  dans une logique d’investissement social ou environnemental et circulaire. L’Etat peut ainsi, dans un second temps, dégager des moyens pour de nouveaux financements et s’engager par ailleurs à rembourser aux investisseurs ce financement, avec intérêt ou non, en fonction de l’impact social ou environnemental créé par le programme et donc des économies effectivement réalisées. L’introduction de capitaux privés dans le secteur social doit ainsi permettre le financement de programmes innovants et risqués.

L’émergence  et la multiplication des plateformes de financement participatif a été permise grâce à internet et aux réseaux sociaux : le Crowdfunding, le Creditcrowdfunding, Crowdlending ou prêt participatif.

Il s’agit, par ailleurs, de mettre en place dans le cadre d’un plan de réforme des modes de financement alternatifs représentant des leviers de financement du développement durable et de l’économie circulaire. Les nouvelles structures doivent, en l’occurrence, accorder une attention particulière au développement territorial.

Et, pour conclure, disons que dans le contexte actuel de crise économique et sociale, le système bancaire et financier ne joue plus seulement un rôle de financement, mais aussi un rôle social en assistant directement l’Etat dans la relance de l’économie. Une réforme du système de financement de l’économie tunisienne n’est plus une option, mais une nécessité absolue, au risque de mettre notre pays à la marge du progrès économique, social et technologique.

H.N.B.M.

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