Amnistie fiscale : Pourvu que ça dure
Par Mohamed Elmoncef BEN KHALIFA
L’article 58 de la loi n° 13-2023 du 11 décembre 2023 relative à la loi de finances 2024 est venu pour organiser une amnistie fiscale visant la régularisation de la situation des personnes au titre des créances fiscales constatées, des amendes et condamnations pécuniaires, et des déclarations fiscales non déposées ou minorées.
Mais si les délais de cette amnistie, gommant essentiellement les pénalités de retard, s’étendent jusqu’au 30 juin 2024, pour les créances, les amendes et les condamnations, ils s’arrêtent net le 30 avril concernant les déclarations fiscales non déposées ou minorées.
Autrement dit, si vous avez réalisé un chiffre d’affaires sans le déclarer, vous aurez encore uniquement jusqu’au 30 avril 2024 pour le faire afin d’éviter les pénalités de retard. Mais vous n’aurez plus ce privilège si vous ne payez pas le principal de l’impôt exigible.
Exemple : en 2023, vous avez fait un chiffre d’affaires de 50.000 DT mais vous n’avez effectué aucune déclaration mensuelle et vous avez payé zéro millime aux impôts. Supposons que vous deviez payer dans les 12.000 DT d’impôts divers sur ces 50.000, mises à part les pénalités de retard. Eh bien, ces 12.000 DT, vous devrez les verser d’un seul coup au trésor public si vous voulez profiter de cette amnistie qui vous épargne le paiement des pénalités de retard.
Vous avez dit quoi ?
SOS PME : rallonger, c’est protéger
«Souvent, les recettes réalisées ces derniers temps par les petites et moyennes entreprises suffisent à peine à faire vivre leurs dirigeants, à payer leurs différentes charges et leurs employés. Souvent-il ne reste rien pour les impôts et la Cnss. Il arrive même que certains fournisseurs voient les chèques de leurs clients retourner impayés.
L’Etat va-t-il porter le coup de grâce à ces entreprises à genoux en exigeant le paiement de la totalité de leurs dettes fiscales sous peine de poursuivre en justice leurs gérants et peut-être même les emprisonner pour évasion fiscale ?»
Commentaire et question du porte-parole de l’Association des petites et moyennes entreprises (Atpme), Abderrazzek Houass. Il renchérit : «Il faut protéger les PME. Les dégâts économiques causés par la décennie noire post-révolution, puis le Covid et enfin la guerre en Ukraine ont fait de plusieurs chefs d’entreprise des gens recherchés par la justice, emprisonnés pour chèques sans provision ou attendant leur condamnation.
Les rescapés, ceux qui continuent malgré tout à ramer, ont du mal à joindre les deux bouts, surtout pendant cette dernière période où les échéances de certains paiements et la conjoncture générale ont vidé bien des portefeuilles. Je parle des vignettes, des bilans fiscaux, du paiement trimestriel de la Cnss.
Tout cela s’achève par un mois de Ramadan adoptant les horaires réduits de la séance unique, un Aïd friand de dépenses familiales et très avare en opportunités de travail. Presque tous les secteurs ont vécu un grand marasme pendant ce mois de Ramadan. Je crois que toute personne sincère et cartésienne reconnaîtrait volontiers que ces conditions sont loin de permettre aux chefs d’entreprise de payer des mois, voire des années de dettes fiscales engendrés par des conditions économiques invivables.
Ne serait-il pas plus sage et réaliste, si l’on veut recouvrer ces dettes, sans détruire les entreprises, d’abord de rallonger les délais de l’amnistie visant les omissions des déclarations jusqu’au 30 Juin, comme pour les créances et les amendes, puis de permettre la liquidation des arriérés impayés sur plusieurs échéances ?
RNE et Cnss: compatir si possible
Etant donné les conditions économiques dramatiques exceptionnelles, nous avons également demandé, dans un communiqué, à Madame la ministre des Finances à ce qu’une amnistie similaire ciblant le RNE soit décidée. On s’est également adressé, dans ce communiqué, à Monsieur le ministre des Affaires sociales afin de lui rappeler l’annonce qu’il a faite le 31.01.24, d’une amnistie touchant aux pénalités de retard. D’après cette déclaration, rapportée par Ilboursa.com du 31.01.24, l’amnistie devait entrer en vigueur en mars dernier.
Entretemps, il nous est parvenu, aujourd’hui, le cas d’une usine de confection qui a vu ses machines saisies pour être mises en vente à cause d’une dette envers la Cnss de 26.000 DT. Si cette amnistie était entrée en vigueur en mars, comme le ministre l’avait promis et si elle avait porté sur l’échelonnement de l’ensemble de la dette et pas seulement sur l’annulation des pénalités de retard, il est certain que cette entreprise aurait été épargnée et ses employés sauvés du chômage.
Voilà de quoi on parle lorsqu’on présente des demandes de ce genre : sauver des Tunisiens de la misère. Est-ce difficile à comprendre qu’il ne faut pas agir comme si l’on avait affaire à des entreprises assez bien portantes, évoluant dans un milieu sain, qui ont juste besoin d’un petit coup de main, mais reconnaître que ce gouvernement a hérité d’une situation dramatique, chaotique qui nécessite une amnistie plus profonde en attendant des politiques économiques pertinentes et salvatrices ?»
La question est claire, comme l’est aussi le besoin urgent de l’Etat de recouvrer son dû. Attendre encore et toujours d’être payé alors que les dépenses étatiques n’attendent guère. Point à la ligne. Dilemme ! Et si les entreprises exagéraient la gravité de la situation pour profiter des largesses de l’Etat ? La lamentation devient, elle, une rengaine ? Déjà, lors de l’amnistie fiscale de 2022, le même son de cloche s’était frayé un chemin vers le ministère des Finances où il a été écouté et a vu sa demande exaucée. N’est-ce pas que c’est exagéré de demander la même chose deux ans après ?
La compagnie des comptables joue les prolongations et le Parlement marque
«Votre question affirmative suppose que les choses se soient améliorées, deux ans après, ce qui aurait dû amener les entreprises à s’acquitter de leurs devoirs fiscaux ou alors, au moins, à ne pas demander la prolongation des délais de l’amnistie et des échéances assez espacées pour le paiement. Or tout le monde s’accorde à dire que la situation a empiré depuis 2022 : la guerre en Ukraine et la poursuite de la sécheresse ont contribué à aggraver l’inflation. Le pouvoir d’achat plonge, des dizaines de milliers d’entreprises ont définitivement coulé d’après l’INS et des milliers d’autres ont besoin d’aide pour survivre».
Ce n’est pas Abderrazzk Houass qui parle mais Imen. Elle est comptable depuis douze ans. Le temps qu’il faut pour constater la descente aux enfers de plusieurs de ses clients «suite à la gestion calamiteuse par certains gouvernements post-14 janvier 2011 et à la situation internationale catastrophique».
Imen soutient la demande de prolongation des délais de l’amnistie fiscale déposée par la Compagnie des comptables de Tunisie auprès du ministère des Finances le 5 avril 2024. Elle la souhaite de tout cœur.
Elle s’explique : «L’écrasante majorité de mes clients, fiscalement défaillants, ne pourront pas profiter de cette amnistie puisque ses délais sont trop courts. Ils voudraient vraiment payer à l’Etat cet argent dont il a fort besoin mais ils en sont incapables après ce trimestre rempli d’échéances de paiement et contenant, en plus, le mois de Ramadan et l’Aïd. Cela serait très dommage et dommageable pour tous si l’Etat ne répondait pas positivement à cette demande de prolongation des délais de l’amnistie fiscale.
Les recettes des finances sont loin de voir la grande affluence de l’année 2022 quand on avait décidé la prolongation des délais de l’amnistie fiscale. La prolongation des délais de cette amnistie avait alors drainé des sommes très importantes à l’Etat. Je suis sûre que les responsables politiques sauront tirer la leçon de cette expérience».
Le parlement soutient-il cette prolongation des délais de l’amnistie fiscale ?
«La demande de cette prolongation est presque prête et nous allons l’envoyer à Madame la ministre des Finances, au plus tard ce vendredi 26 avril »
Paroles de Nizar Seddik du bloc parlementaire « La Voix de la République. »
Des dizaines de milliers de chefs d’entreprises et de comptables seront certainement collés à leurs écrans d’ordinateur et de smartphone à l’affût de ce communiqué du ministère des Finances qui viendrait prolonger les délais de cette amnistie fiscale. Viendra ou viendra pas ? Wait and see.
M.E.B.K.
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