Culture

Adnène Chaouachi, auteur, chanteur et compositeur à La Presse : «Ce qui nous manque, c’est la spécificité de chaque artiste»

 

Voici un artiste tunisien qui a un pied dans chaque époque. Un dinosaure, l’un des derniers, et une véritable école et qui a été, lui même, à bonne école. Il se définit comme «le plus jeune parmi les anciens et le plus ancien parmi les jeunes». Adnène Chaouachi nous a accordé cet entretien.

On croit savoir que vous préparez de nouvelles chansons…

Je travaille actuellement sur trois chansons et cela fait presque un an et demi. Je suis de nature à travailler en donnant beaucoup de maturité à l’œuvre et sans me soumettre à la hâte ou à la pression.  Généralement je ne peux pas parler de mes œuvres encore en gestation.   

Aujourd’hui où se trouve selon vous le maillon faible de la chanson tunisienne : la production, le texte, la composition ?

Rien de tout cela ! À mon sens, le problème réside au-delà de la production. Précisément au niveau de la diffusion de la chanson une fois que cette dernière est prête. Il y a certes la Chaîne Youtube mais c’est insuffisant. Les radios privées ne participent à l’effort de diffusion. Elles sont les plus diffusées auprès du public, or ces radios ont une programmation et une vision particulière où la chanson représente un produit pour attirer les annonceurs. Cela dit, ces radios sont libres de leur choix, bien sûr. Ainsi ces radios ne collaborent pas souvent avec nous parce que la place chanson tunisienne est encore modeste sur le plan arabe. Ce manque de rayonnement n’est pas dû aux créateurs, mais nous n’avons pas ce système qui œuvre pour ce genre de rayonnement. L’Égypte et le Liban, par exemple, sont de grandes machines pour exporter leurs chansons. C’est une machine qui n’existe pas hélas en Tunisie.

Vous vous sentez beaucoup plus proche des anciens de la chanson ou des nouveaux ?

Je suis le plus jeune parmi les anciens et le plus ancien parmi les jeunes. J’ai fait mes débuts avec Ahmed Hamza, Hedi Jouini, Oulaya, Hedi Kallel, Ridha Kalai entre autres. J’ai beaucoup appris de ces gens-là !  Ce qui faisait le ciment de cette relation c’est qu’à l’époque il n’y avait pas une rupture entre les anciens et les jeunes. Il y avait tout le temps une main tendue les uns envers les autres. Aujourd’hui, les jeunes se considèrent comme les apôtres  d’une nouvelle manière de composer et d’écrire.

Quelle est l’origine de cette rupture entre les jeunes et les anciens ?

Parce que nous n’avons pas conquis le statut d’artiste de la même manière et par le même chemin. À l’époque où je faisais partie des jeunes nous devons vraiment «ramer», faire nos preuves et se donner le temps pour arriver à s’imposer et à se faire un nom. Il fallait une dizaine d’années pour, ne serait-ce, qu’émerger. De plus il y avait tout un travail de familiarisation avec le micro les instrumentistes et même le public. Les bons réflexes ont besoin de temps pour se développer. Aujourd’hui, il suffit d’un petit passage dans une émission choc et on peut devenir une vedette. Je précise que c’est leur plein droit de devenir une vedette. Mais le problème c’est que sur les grandes scènes où ils sont propulsés ils sont mis à nu et ils s’emmêlent parfois les pinceaux parce qu’ils n’ont pas grandi en voyant le public grandir avec eux. J’avoue que parmi eux il y a de très bons chanteurs avec tout ce que les nouvelles technologies peuvent offrir.

Et pourtant ils ont du public dans les grands théâtres…

Parce que le public les regarde à travers le spectre des clips vidéo qu’il a visionné plusieurs fois.

Pensez-vous que le Rap est responsable du déclin de la chanson tunisienne ?

Pendant des années le Rap était interdit tout comme le Mezoued. Les Etats-Unis d’Amérique sont le berceau du Rap et pourtant la musique et la chanson se portent toujours très bien. En Tunisie, le Rap est quelque chose de nouveau qui voyage sur les réseaux sociaux avec tout ce que la liberté de paroles a permis dans notre pays. Personnellement, je ne peux pas chanter un texte qui mettrait une famille mal à l’aise par exemple  .Ce n’est pas dans mon éducation. Cela dit, il y a des rappeurs qui font du bon travail surtout en Occident .Le Rap est aussi un art mais il y a le bon grain et il y a l’ivraie…

Dans l’un de vos statuts vous critiquez les Tunisiens qui plagient les compositions à succès en changeant le texte étranger par un texte tunisien…

Cela se passe dans tout le monde arabe et pas seulement en Tunisie. En tant que compositeur, par exemple, je ne peux pas prendre une phrase musicale et reconstruire dessus, dans ce cas je ne serai plus compositeur. Il faut partir de la feuille blanche et lever les voiles d’une création libre de toute stigmatisation musicale. Résultat des courses on se retrouve avec des gens qui chantent avec les mêmes structures harmoniques et rythmiques…  C’est pourquoi ce genre de chansons ne demeure pas gravé dans les mémoires .

Que pensez-vous de «Angham Fi Dhakira» qui rend hommage aux compositeurs tunisiens sur la scène du Théâtre romain chaque année ?

C’est une excellente idée mais il reste à faire des efforts au niveau de la mise en scène de ce spectacle qui lui donnerait un côté «documentaire» en quelque sorte.

Ne pensez-vous pas que le «watari» doit sortir de son terrain battu pour évoluer ?

Je suis tout à fait d’accord surtout en utilisant les multiples possibilités des nouvelles technologies. Toujours à condition de ne pas tomber dans la facilité et le plagiat. C’est au compositeur d’être intelligent et de faire dans la création….

Qu’est-ce qui manque à la chanson tunisienne aujourd’hui pour qu’elle retrouve son aura ?

Ce qui nous manque c’est la spécificité de chaque artiste, de chaque chanteur. Il nous faut une sorte de signature artistique. Le problème c’est qu’aujourd’hui certains jeunes imitent les chansons à succès et finissent tous par se ressembler. La patience et le souffle sont aussi de rigueur parce qu’il faut du temps pour créer un répertoire et pouvoir monter sur une grande scène pour l’interpréter. C’est ridicule de voir des chanteurs meubler leur spectacle avec les chansons des autres. Comment le directeur d’un grand festival peut-il accepter cela ?

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