Economie tunisie

Accompagnement des PME | Abderrazak Houas, Porte-parole de l’association nationale des petites et moyennes entreprises (ANPME), à La Presse : “les PME étouffent et risquent la faillite”

 

Sous perfusion, les PME tunisiennes accusent les chocs exogènes et portent toujours les séquelles de la crise Covid. Elles sont aujourd’hui au bout du rouleau. Avec le risque de stagflation qui hante l’économie tunisienne, les entreprises ont du mal à se projeter dans l’avenir. Selon le porte-parole de l’association nationale des petites et moyennes entreprises (Anpme), Abderrazak Houas, c’est leur pérennité qui est en jeu. Il apporte son éclairage. Interview.

Trois ans après la crise Covid et un an après le déclenchement de la guerre en Ukraine (deux chocs exogènes), quel état des lieux faites-vous du tissu tunisien des PME?

Le tissu tunisien des PME est pratiquement détruit. Toutes les filières de production tunisiennes ont été lourdement impactées. Le secteur du textile est, en ce sens, un exemple éloquent. Cette industrie a été complètement détruite. Seules les sociétés non résidentes totalement exportatrices ont pu maintenir leurs activités, mais ces sociétés ne sont pas intégrées dans l’économie tunisienne. Pareil pour le secteur agricole qui est composé à 80% de petits et moyens agriculteurs. On a recensé plus de 50 mille agriculteurs qui sont interdits bancaires et qui sont, de ce fait,  hors circuit bancaire et dépourvus de tout potentiel de production. De surcroît, la politique de fixation des prix à la production, qui ne tient pas compte de la hausse du coût des intrants et de la production d’une manière générale, a fortement impacté les agriculteurs. La mise en place d’une ligne de crédit dédiée à l’activité agricole et la restructuration des banques publiques n’ont, cependant, pas permis le redressement financier des agriculteurs qui n’ont pas toujours accès aux services bancaires.

L’association a réalisé une enquête sur la santé financière des PME. Quels sont ses principaux résultats?

L’enquête a été effectuée, en 2022, auprès d’un échantillon de 3000 PME et TPE opérant dans divers secteurs d’activité, dans l’objectif de s’enquérir de la situation financière des entreprises tunisiennes. Les résultats ont révélé que la majorité des entreprises interrogées connaissent des difficultés financières. Plus de 92% d’entre elles affirment être en état de faillite sachant que l’association considère la faillite comme la situation où l’entreprise a épuisé son fonds de roulement et ne peut plus payer ses charges et ses dettes, y compris les cotisations patronales. Selon l’enquête, 76,4% des chefs d’entreprise sont condamnés pour chèque sans provision avec effet immédiat. Notons, dans ce contexte, que les affaires liées au chèque sans provision mettent en péril la pérennité de l’entreprise. Ce qui va à l’encontre de la volonté affichée de l’Etat d’encourager la création des PME. Or, tout l’enjeu réside dans la pérennisation de la PME. Les résultats de l’enquête n’ont pas été pris au sérieux et ont été jugés par les autorités exagérés. Le recoupement avec les données du RNE a, toutefois, démontré que les chiffres sont proches de la réalité et ne la travestissent pas. D’ailleurs, le nombre des déclarations néant auprès des autorités fiscales a sensiblement augmenté, et ce, parce que la plupart des entreprises connaissent des difficultés financières. Aujourd’hui, on dénombre 200 mille entreprises en difficulté financière qui, de plus, sont en train de licencier les employés. Et selon les résultats de l’enquête, ce sont les entreprises employant entre 5 et 10 personnes qui ont été les plus touchées.

Les mesures qui ont été prises au profit des PME touchées par la crise Covid n’ont-elles donc pas permis d’atténuer l’impact de la crise sur les entreprises?

C’était un coup d’épée dans l’eau. Le soutien a bénéficié aux entreprises qui n’en ont pas besoin. Les crédits ont été octroyés aux entreprises qui sont classées 1 et 0, conformément à la définition des classes de risque de la Banque centrale de Tunisie. Or, ces entreprises ne souffrent d’aucune difficulté : elles n’ont pas de problèmes de chèques sans provision, ne traînent pas des dettes impayées … En somme, ce sont des entreprises dont la santé financière est solide et stable, alors que les PME qui ont le plus besoin de ces crédits de soutien sont des entreprises en difficulté, c’est-à-dire qu’elles appartiennent aux classes 2,3 et 4. Il faut noter, ici, qu’après la crise Covid, la santé financière des entreprises a été fortement impactée et leurs classements ne sont pas restés figés et sont renouvelés tous les 3 mois. Et comme les délais de traitement des dossiers déposés par les entreprises auprès des banques s’étirent en longueur et dépassent souvent les 3 mois, beaucoup d’entre elles basculent, entretemps, d’une classe à une autre, se trouvant, ainsi inéligibles aux crédits de soutien. Donc, réellement les entreprises passent à travers deux filtres : le premier c’est la classification de la BCT alors que le deuxième concerne les délais de traitement des dossiers par les banques. Finalement, les entreprises qui ont le plus besoin  d’appui n’avaient pas accès à ces crédits. Tout d’abord, parce que les banques évitent le risque puisque les entreprises en difficulté représentent un niveau de risque élevé. Et puis, n’oublions pas que ces crédits sont garantis par l’Etat à travers la Sotugar. Or, les banques boudent ce fonds d’assurance parce qu’en cas de cessation de paiement de l’entreprise, la Sotugar intervient pour ne couvrir qu’une partie des pertes, c’est pourquoi les banques exigent des entreprises une garantie réelle. Cette situation a fait que les PME — même celles qui ont pu obtenir des tickets d’éligibilité au crédit Covid — se sont vu refuser leurs demandes de prêt. Résultat: les crédits Covid ont uniquement bénéficié aux entreprises classées 1 et 0 car elles ne représentent aucun risque. Je cite, ici, l’exemple d’une société spécialisée dans la fabrication des gâteaux traditionnels qui a obtenu un crédit Covid pour ouvrir des salons de thé. La majeure partie des entreprises classées 1 et 0 ont bénéficié des crédits de soutien pour faire des investissements, notamment dans le foncier. Finalement, ce sont les grandes entreprises qui continuent de croître et les petites entreprises, abandonnées à leur triste sort, étouffent et risquent la faillite.

Le prêt de 120 millions de dollars qui a été approuvé par la Banque mondiale pour soutenir l’accès des PME au financement, pourrait-il, dans ce cas, donner une bouffée d’oxygène aux PME?

Oui, ce prêt peut résoudre plusieurs difficultés financières rencontrées par les PME et il peut constituer une bouée de sauvetage aux entreprises à condition que les lignes de crédit qu’il finance soient destinées  aux entreprises en difficulté et non à celles dont la santé financière est solide et stable. Et si l’Etat veut contrôler la distribution du montant de ce prêt, il peut envisager la mise en place de lignes de crédit rétrocédées à deux banques qui sont la BTS (qui a par ailleurs dévié de ses objectifs, à savoir l’inclusion financière et le financement de l’entrepreneuriat social et solidaire) et la Bfpme qui est, cependant, en difficulté. 

Par rapport à la Bfpme, que pensez-vous des mesures qui ont été prises par la présidence du gouvernement visant à améliorer la situation de la banque et notamment l’élaboration d’un nouveau modèle économique pour cette institution financière ?

C’est une bonne décision même si elle est arrivée tardivement. Changer de modèle économique est la clé du succès. La Bfpme est aujourd’hui une banque en difficulté, et ce, pour plusieurs raisons. Savez-vous que la Bfpme gère ses clients et les crédits clients avec un tableau Excel et qu’elle ne dispose pas de logiciel bancaire et d’un système d’information informatique interne? La Bfpme exige un coût de financement, tout comme les autres banques, alors qu’elle est appelée à financer les PME naissantes. Il y a, également, la complexité administrative qui entraîne des délais de traitement des dossiers extrêmement longs. Cette banque a perdu sa crédibilité auprès des bailleurs de fonds qui évitent aujourd’hui de la financer en raison du taux de ses créances douteuses qui a atteint 80%. Et c’est l’environnement des affaires hostile aux PME qui en est la principale cause : les législations et les procédures administratives rébarbatives et complexes, la pénalisation de la vie économique et l’instabilité fiscale, qui rend difficile la planification financière de l’entreprise, sont autant de difficultés qui s’érigent en obstacle à la création, la croissance et la pérennité des PME. Il y a également la multitude des lois d’investissement qui, au lieu d’inciter à l’investissement, servent à légitimer les verrous économiques. Dans d’autres pays où les réglementations évoluent au gré des changements qui s’opèrent au niveau de l’économie mondiale, ces lois n’existent même pas. C’est pour ces raisons que j’ai dit que le changement du modèle économique est le mot-clé car notre modèle a montré ses limites.

Que faut-il faire pour sauver les PME ?

La majorité des PME sont en état de mort clinique et le tissu économique a été touché de plein fouet. Pour remédier à cette situation, il faut d’abord adapter les réglementations aux exigences de l’époque, simplifier les procédures administratives et faciliter l’investissement. Et il faut que la BTS et la Bfpme s’acquittent de leur rôle de financement et de soutien aux PME. Elles doivent aussi œuvrer à assurer la pérennité des entreprises car le plus important est la pérennisation des PME. Il faut également en finir avec ces lois d’investissement et instaurer des lois qui incitent réellement à l’investissement. Les crédits de soutien aux PME doivent concrètement bénéficier aux entreprises sinistrées. Il faut arrêter avec les saisies bancaires et les condamnations pour chèques sans provision et se focaliser sur comment sortir les PME de l’ornière. Les tribunaux sont débordés par les affaires commerciales et il faut mettre fin à cette situation intenable.

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