Economie tunisie

Réformes des entreprises publiques – Moez Soussi — Expert en évaluation des politiques économiques et des projets à La Presse : «La réforme de la loi 1989-9, une étape cruciale»   

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Dans un monde où la réactivité, la flexibilité et la saisie des opportunités sont les clefs du succès, les entreprises publiques se trouvent accablées par des procédures lourdes et par une gouvernance archaïque telle que fixée par la loi 1989-9. Moez Soussi, expert en évaluation des politiques économiques et des projets, s’est penché sur la question et nous donne d’amples éclairages.
Entretien.

Certaines entreprises publiques sont en difficultés financières depuis des années. Les plans de redressement établis pour venir en aide à ces entreprises n’ont pas abouti jusqu’à présent aux résultats escomptés. Quelles sont, selon vous, les raisons ayant conduit à cette situation financière pénible ?

Il faut souligner d’abord, que la plupart des entreprises publiques opèrent dans des activités clefs qui permettent à l’Etat d’atteindre des objectifs économiques et sociaux notamment en ce qui concerne l’offre de services essentiels tels que le transport et la santé, l’habitat… et l’approvisionnement en produits stratégiques comme l’électricité, l’eau, les matériaux de construction, les engrais…

Depuis les années 1960, l’Etat a créé un tissu d’entreprises publiques afin de former des noyaux d’industries industrialisantes qui devraient générer des effets d’entraînement sur les autres activités et qui devraient participer à la création d’un entrepreneuriat national capable de prendre la relève dans l’avenir. Dans ce cadre, ont été construits : le Fouledh à Menzel Bourguiba, la cellulose à Kasserine, l’industrie sucrière à Béja et, un peu plus tard, le pôle d’industrie chimique à Gabès. En revanche, ces fleurons d’industries publiques après un demi-siècle représentent maintenant un lourd fardeau pour la collectivité et cessent de remplir leurs missions.

Au fil du temps, le nombre des entreprises publiques s’est accru pour atteindre actuellement 110 dont 64 ont la forme de sociétés anonymes et 46 ont la forme d’établissements publics à caractère non administratif (Epna). Dans 71 entreprises, l’Etat a des participations directes et sur les 39 qui restent, l’Etat y participe à travers les collectivités publiques locales, les établissements publics à caractère non administratif et les sociétés dont le capital est entièrement détenu par l’Etat. Deux indicateurs suffisent pour savoir à quel point ces entreprises sont dans des situations économiques et financières accablantes, à savoir : une participation dérisoire aux revenus non fiscaux de l’Etat ne dépassant pas 23% selon la loi de finances 2023 alors que les recettes de transit du gazoduc algérien atteignent à elles seules 34%, et un encours de la dette envers l’Etat de 6149.7 MDT en 2020 atteignant un peu plus de 10% du budget de l’Etat à la même année.

En revenant aux causes, nous pouvons identifier plusieurs types de problèmes. Toutefois, il faut signaler que les explications méritent un traitement par discernement et un diagnostic détaillé au cas par cas. Mais les plus dominants ont trait à l’incapacité de l’Etat à concilier les objectifs économiques de performance et d’efficacité et les objectifs sociaux de bien-être et de paix sociale. L’imbrication des rôles et l’incohérence des objectifs additionnés à une bureaucratie accablante et, dans certains cas, à l’ingérence et à l’intervention externe ont tous conduit à un affaiblissement des entreprises publiques et à leurs incapacités à se moderniser et à se positionner au diapason de l’innovation et du progrès techniques. Dans un monde où la réactivité, la flexibilité et la saisie des opportunités sont les clefs du succès, les entreprises publiques se trouvent accablées par des procédures lourdes et par une gouvernance archaïque telle que fixée par la loi 1989-9. Bien que chaque entreprise en difficulté souffre d’un ensemble particulier de facteurs qui causent son échec, nous pouvons insister sur les causes transversales suivantes : les causes économiques (marché et tarification), les causes organisationnelles (bureaucratie), les managériales (mode de gouvernance), les problèmes des finances publiques (absence d’espace budgétaire pour la subvention et retard ou absence de recouvrement par l’Etat) et la mauvaise cohabitation entre public et privé (concurrence déloyale).

Quel regard portez-vous sur les principales mesures initiées en vue de soutenir et accompagner les entreprises impactées par la crise?

L’entreprise publique, à l’instar de l’entreprise privée, subit l’impact des facteurs externes et notamment dans un contexte de crise. L’Etat n’a pas apporté une aide matérielle spécifique aux entreprises publiques pour faire face à la crise. En revanche, il intervient pour accorder une garantie de dette pour certaines entreprises afin qu’elles puissent accéder aux marchés financiers externes, comme c’est le cas en 2021 pour le cas de la Société tunisienne de l’industrie pharmaceutique pour un montant de 92.3 MDT et accéder aux marchés internes comme c’est le cas de Tunisie autoroutes pour un montant de 28.9 MDT. Globalement, les garanties de crédit accordées aux entreprises publiques par l’Etat s’élèvent à 266.4 MDT en 2021. Par ailleurs, l’Etat aggrave les problèmes des entreprises publiques bien qu’il accorde parfois des subventions telles que pour les entreprises de transport avec 640 MDT prévus en 2023. Cette aggravation est à cause d’un blocage ou d’une insuffisante révision des tarifs pour obéir à des logiques extra-économiques incompatibles avec la pérennisation de l’activité. L’Etat, au même temps qu’il est incapable de subventionner correctement l’activité des entreprises publiques, ne les laisse pas gérer la situation conformément aux standards managériaux et entrepreneuriaux.

Tous les acteurs économiques s’accordent sur l’impérative nécessité de préserver le tissu industriel national et toutes les entreprises publiques ou privées qui doivent être accompagnées par l’Etat d’une manière ou d’une autre, mais ils demeurent très regardants sur le mode de gouvernance et sur le management de ces entreprises. Qu’en pensez-vous ?

A mon sens, une entreprise, qu’elle soit publique ou privée, doit être gérée d’abord conformément aux principes d’efficacité et de performance. Nous voyons actuellement des entreprises privées qui appliquent des actions de Responsabilité sociale et environnementale (RSE) parce qu’elles sont d’abord performantes économiquement et donc disposent des ressources pour le faire. Nos entreprises publiques opérant dans des secteurs concurrentiels, dans des secteurs stratégiques, dans les services publics et même celles qui détiennent un monopole n’arrivent ni à atteindre la performance économique ni à remplir une mission RSE. C’est justement le mode de gouvernance et la lourdeur des procédures et parfois les conflits existants entre les règles de loi qui laissent le manager public incapable de gouverner une entreprise publique et de mettre en œuvre les réformes nécessaires.

Le Projet de loi relatif à la gouvernance des contributions, établissements et entreprises publics est-il suffisant pour venir en aide à ces entreprises ?

Nous avons entendu parler du projet de réforme portant spécifiquement sur la loi 1989-9 relative aux participations et entreprises publiques et qu’un conseil ministériel a eu lieu dans ce sens. Nous n’avons pas eu une idée précise sur ce projet de réformes et le document n’a pas été rendu public. En revanche, certains experts introduits au sujet avaient parlé d’une réforme vers le sens de plus de flexibilité notamment au niveau du mode managérial et au niveau de la composition du conseil d’administration qui abritera, à l’instar des conseils d’administration des banque publiques, des experts de haut niveau sans nécessairement obéir à une hiérarchie administrative verticale.

Cette réforme est un point positif qui ne peut que débrider les managers publics et leur accorder une plus grande marge de manœuvre et une plus forte réactivité. Mais cela reste insuffisant si la réforme ne s’accompagne pas d’un assainissement de la situation financière basée sur le partage de ce lourd fardeau entre l’Etat, les fonctionnaires, les banques commerciales et la Banque centrale.

Quels sont les grands axes et les objectifs de ce projet de loi ? Est-ce que cette loi pourra changer les modèles économiques des entreprises en difficulté ?

La réforme de la loi 1989-9 est une étape cruciale pour mettre les entreprises publiques sur une nouvelle trajectoire, notamment en ce qui concerne la réduction du nombre des structures de tutelle pour une seule entreprise. Toutefois, pour changer le mode économique des entreprises publiques en difficulté ou pas, il faut remplir certaines conditions dont l’essentiel est le suivant :

– Libéraliser les politiques tarifaires pour les entreprises opérant dans le secteur concurrentiel.

– Fluidifier les circuits administratifs quant à l’achat et l’approvisionnement.

– Généraliser le principe de la comptabilité financière et de gestion.

– Revoir la politique de recrutement et procéder à l’ajustement quantitatif et qualitatif en ressources humaines.

– Consacrer les ressources nécessaires et suffisantes à temps et sans retard quand il est question d’appliquer des prix administrés.

– Mener un dialogue social entre les différents acteurs et notamment les représentants des travailleurs pour garantir une acceptabilité des réformes à entreprendre.

– Renforcer la crédibilité de l’Etat pour le respect des accords et la protection des intérêts des différents acteurs socioéconomiques à la suite des réformes à engager.

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