Culture

Mes Humeurs: Lecture d’automne 2

Jean Echenoz est toujours à prendre; tout, chez lui, palpite et captive, après l’Humeur sur 14, j’enchaîne avec « La vie de Gérard Fulmard » en attendant l’exquis Ravel.

« La vie de Gérard Fulmard », Les Editions de Minuit, 225 pages, est à mon avis moins touchant, moins fluide, des chapitres courts, le style est proche du polar, un thriller grinçant sur le monde politique ouvrier et ses représentants véreux. A bien des égards, l’intrigue et l’atmosphère rappellent « L’imprécateur » (Prix Fémina, 1974), roman à énigmes, politico-policier sur les finances de René-Victor Pilhes. Mais ici on est loin des énigmes, le sujet sert comme un prétexte pour exprimer la bonne phrase, je vous épargne deux chapitres de faits divers, à mon avis inutiles (heureusement courts) ; l’un sur le suicide du chanteur Mike Brant, qui, après les éclatants succès (Laisse-moi t’aimer et qui saura, qui saura…), s’est jeté d’une fenêtre du 6e étage en 1975,  l’autre chapitre évoque le Japonais qui a tué, égorgé, coupé en morceaux son amante et l’a mangée, après l’avoir cuisinée…

Revenons à  Echenoz ; on est dans la littérature riche en matière langagière, le style est concis, les adjectifs précis ( qui tombent parfois comme une pluie drue), les images frappantes qui vous  laissent groggy, enfin la bonne littérature sans boursouflures, sans graisse, lisez par exemple le portrait d’un homme « Luigi Pannone est un sujet maigre et sec, taille moyenne et profil en couteau, sanglé dans un blazer cintré, peigné au gel et doté d’un fil de moustache tracé au fusain », ou les caractéristiques d’une moustache «Rassurante autant que majestueuse, non moins autoritaire que bienveillante, la moustache de Franck Terrail ne relève pas de l’assertorique mais de l’apodictique… ». Plus loin, un changement de ciel sur une piscine qui nous ferait aimer la pluie « …soudain la lumière change et vire à toute allure vers un gris de plus en plus sombre, du perle vers l’anthracite via le fer pendant que les gouttes se multiplient , s’alourdissent de plus en plus denses et compactes , la surface du bassin commence à se moucheter accelerando… » ou les doigts d’un personnage « …l’état de ses ongles,  rongés outre mesure, au-delà du comestible », une scène d’amour ? « La porte de sa chambre est ouverte à l’étage et, sitôt qu’ils sont entrés, Louise la referme sur eux : regards, sourires, étreintes, etc., le processus s’enclenche à toute allure.» C’est beau, suggestif, comme un baiser de fin de film.

Il y a autre chose chez Echenoz : la générosité. Il engage son lecteur, évidemment censé être complice ( donc lettré, cultivé ou plus prosaïquement «client ») dans sa manière d’écrire, et lui fait partager ses préoccupations. Exemple : la ponctuation. Sur une parenthèse, il écrit «… et ici j’ouvre une parenthèse. » Suit un long passage, des noms de rues, de personnages, etc., puis «  et je ferme ici ma parenthèse, mais c’est toujours le même problème avec les parenthèses : quand on les ferme, qu’on le veuille ou non, on se  retrouve dans la phrase, et la phrase c’est donc … » et il continue sa phrase ( juste jusqu’au point final. Sublime.

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