La société civile tunisienne dans le viseur de Kaïs Saïed

C’était prévisible et Business News fut un des premiers (et rares) médias à prévenir ses lecteurs. Après le parlement, le gouvernement et les magistrats, le président Kaïs Saïed va cibler les médias et la société civile. Il a cependant interverti les priorités en attaquant la société civile avant les médias. Notre tour viendra, il n’y a pas de doute. Il ne nous a pas ratés, d’ailleurs, dans son discours du jeudi 24 février, il nous a reproché de ne pas avoir parlé de la fabrication des vaccins anti-covid en Tunisie. Intox, car tous les médias tunisiens ont évoqué le sujet. Et s’ils n’ont pas dit davantage sur le sujet, c’est parce que ni les ministères concernés (Santé, Industrie), ni la présidence ne leur ont donné des éléments de travail pour confectionner des articles et des émissions.
Si les médias ont seulement été évoqués dans le discours du 24 février, la société civile, elle, a fait l’objet d’un long passage durant lequel elle a été accusée d’être à la solde de puissances étrangères. « Il faut mettre un terme au financement étranger des associations qui sert de couverture au financement des partis politiques. Personne n’a le droit de s’ingérer dans notre politique et nos choix. Nous allons organiser ce cadre pour les ONG, mais il n’est plus question de laisser les associations servir d’intermédiaires ».
Le sujet des représentants de la société civile (couramment appelés ONG) n’est pas exclusif à la Tunisie. Il est régulièrement évoqué par les hommes politiques de droite, voire d’extrême droite, et par les dictateurs qui voient en ces ONG des espions des temps modernes.
En parlant d’une loi pour interdire ces ONG financées de l’étranger d’exercer dans le pays, Kaïs Saïed prend le même chemin du président russe Vladimir Poutine il y a deux ans. Pour barrer la route à ses opposants, essentiellement financés par des puissances étrangères, le président russe leur a interdit purement et simplement d’exercer. Aussitôt, des centaines d’ONG et de médias ont dû fermer boutique et leurs représentants (russes ou étrangers) ont dû quitter le pays.
Même tendance en Hongrie où le Premier ministre nationaliste Viktor Orbán a lancé une vraie guerre contre les ONG et leurs financeurs notamment le plus notoire d’entre eux, le sulfureux George Soros.
Le même George Soros qui s’est trouvé, un temps, dans le viseur de l’ancien président américain Donald Trump et fortement critiqué par le candidat français à la présidentielle 2022, Eric Zemmour.
En évoquant les ONG et les financements étrangers, Kaïs Saïed prend clairement le chemin des nationalistes de droite Orbán, Poutine, Zemmour et Trump, sauf que la Tunisie n’est pas les États-Unis et Saïed n’est pas Poutine.
Pour pouvoir attaquer décemment le financement étranger des ONG, il faut que l’on soit soi-même indépendant des financements étrangers. Or l’État tunisien, que Kaïs Saïed préside, n’a de cesse de jouer aux mendiants depuis 2011. Ce qui était inconcevable sous Ben Ali est devenu une règle au lendemain de la révolution. Quasiment tous les ministères se font aider par des programmes d’aide spécifiques financés par des institutions étrangères, qu’elles soient gouvernementales ou pas.
Cela touche même les ministères de souveraineté comme l’Intérieur, la Défense ou la Justice. Les programmes de formation et de mise à niveau se comptent par centaines et ce sont des milliards de dollars qui ont été injectés par les étrangers depuis 2011.
Il n’y a pas que le gouvernement qui accepte les donations étrangères, il en est de même pour les instances dites indépendantes, comme la Haica, l’Isie ou l’IVD.
Sans assistance étrangère, est-ce qu’on aurait eu une Instance supérieure « indépendante » des élections (ISIE), celle-là même qui a pu organiser les élections (avec brio et conformément aux standards mondiaux) de 2011, 2014, 2018 et 2019 ?
En acceptant que les institutions de l’État reçoivent du financement étranger pour des programmes spécifiques, Kaïs Saïed se doit obligatoirement, et inévitablement, d’accepter que la société civile en reçoive également.
Car il se trouve que les institutions étrangères qui financent les institutions publiques sont les mêmes qui financent les institutions de la société civile. Et celles-ci vont tout simplement refuser de financer les institutions de l’Etat au cas où Kaïs Saïed leur refuse le financement de la société civile.
En clair, une nouvelle fois, Kaïs Saïed ne mesure pas la portée de ses idées avant de les prononcer.
Cela dit, le dossier des ONG et leur rôle dans la vie démocratique tunisienne devrait être ouvert. Si certaines ONG ont démontré leur utilité et leur indépendance à l’instar de RSF, Bawsala, LTDH et ATFD, d’autres ont prouvé leur partialité éhontée, à l’instar d’Amnesty, I Watch ou Tunisia Charity.
Et, curieusement, quand on regarde de près, les ONG financées par George Soros sont presque toujours celles dont le travail prête à équivoque et où l’argent coule à flot de toutes parts.
Le cas le plus emblématique est incontestablement celui d’I Watch dont les enquêtes sont souvent partiales et où l’on accuse les gens sans preuves. Les « militants » d’I Watch ne s’agacent pas de salir la réputation de X ou Y sur la place publique pendant des mois, juste pour suspicion de corruption. Ils se positionnent comme des juges et jettent en pâture des personnalités publiques.
Les budgets dont dispose cette ONG se chiffrent en millions de dinars, bien supérieurs à ceux dont disposent de grands médias. Ainsi, pour 2021, I Watch a obtenu un financement d’au moins sept millions de dinars. Une bonne partie de cet argent a été versé par l’Union européenne, l’ambassade de Suisse en Tunisie, l’ambassade américaine à Tunis ou encore le programme américain gouvernemental Mepi. Ce chiffre de sept millions de dinars est supérieur, par exemple, à l’ensemble des recettes publicitaires de la chaîne Wataniya 1 ou encore à l’ensemble des recettes publicitaires de l’ensemble des médias imprimés en Tunisie. Que fait I Watch avec cet argent ? Sous différentes appellations pompeuses (dénommées programmes), elle salit l’honneur de Tunisiens avec l’argent des contribuables américains et européens.
Combien reçoivent les autres ONG de l’étranger ? Des dizaines de millions de dinars chaque année. L’hebdomadaire Al Mijhar a même consacré une rubrique spéciale pour répertorier, chaque semaine, les virements étrangers reçus par ces ONG.
Ce n’est cependant pas ce problème que Kaïs Saïed a dans la tête. Les ONG ciblées par Kaïs Saïed sont celles qui mouillent avec les partis politiques et leur sert de machine à laver. Il l’a dit avec des mots à peine voilés, dans son derniers discours. Comme les partis politiques ont l’obligation de publier leurs comptes et de les rendre publics et comme ils doivent les transmettre à la présidence du gouvernement, ils utilisent ces associations pour cacher certaines dépenses et camoufler les dépassements des plafonds de campagnes électorales.
Ces associations servent également à camoufler l’argent reçu de l’étranger puisque les partis n’y ont pas droit. Les cas les plus notoires sont les partis Ennahdha et Qalb Tounes. Ennahdha a été piégé grâce à la transparence imposée aux Etats-Unis en matière de financement. Ainsi, on a appris que l’association de droit américain « Ennahdha party » a financé un cabinet de lobbying. Le parti de droit tunisien Ennahdha a nié tout simplement être en relation avec son homonyme américain. On se moque du peuple ? C’est bien cela et c’est exactement là où veut frapper Kaïs Saïed.
Frappera-t-il, dans la foulée, les autres associations débarrassant ainsi la Tunisie des ONG sulfureuses quitte à lui faire perdre les « bonnes » ONG réellement caritatives ou bienfaisantes ? Il n’en a pas les moyens, car les puissances étrangères qui le financent ne le laisseront pas faire.
Pour être vraiment indépendant, il faut avoir les moyens de sa politique…
Raouf Ben Hédi
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