JCC 2024 – Décryptage du Palmarès : Un quatuor tunisien gagnant
Entre vieux cinéastes fatigués dont les films sont de vrais camouflets et jeunes pousses ambitieuses et persévérantes, il y a les confirmés dont la qualité artistique de leurs œuvres a séduit aussi bien le jury que les spectateurs.
Après une semaine de projections de films, de panels, master class et hommages, une rétrospective semble nécessaire pour évaluer la 35e édition des Journées cinématographiques de Carthage. Le cru n’est pas tout à fait exceptionnel. Il reflète le peu de productions dans des pays en guerre : la Palestine, le Liban, la Syrie, le Soudan, etc. Ce qui ne permet pas d’avoir beaucoup de choix au niveau de la sélection. Une grande majorité de films ont fait le tour des festivals internationaux dont certains ont obtenu des prix. Qu’importe, le public tunisien a quand même pu les découvrir. On s’est bousculé pour les premières mondiales comme « Nafoura » de Selma Baccar (hors compétition), « Borj Eroumi » de Moncef Dhouib (compétition), mais aussi pour le très primé « Les enfants rouges » de Lotfi Achour (Tanit d’Or de ces JCC). Entre vieux cinéastes fatigués dont les films sont de vrais camouflets et jeunes pousses ambitieuses et persévérantes, il y a les confirmés dont la qualité artistique de leurs œuvres a séduit aussi bien le jury que les spectateurs. Ils ont transmis leur colère politique et sociale à travers des personnages attachants et empathiques. La présence masculine dans les films est forte. Les femmes sont plus ou moins peu représentées jouant souvent des rôles secondaires. On le voit dans les films : « Les enfants rouges », « Vers un pays inconnu » de Mehdi Fleifel, « Borj Erroumi », « Le lac bleu » de Daoud Oulad Sayed, « A la recherche d’un abri pour M. Rambo » ou encore « l’histoire de Souleymane » de Boris Lojkine pour ne citer que ceux-là. Par ailleurs, plusieurs films se sont inspirés de faits réels dont « Les enfants rouges ». Mabrouk Soltani, jeune berger décapité dans une attaque terroriste ; « Aicha » de Mehdi Barsaoui sur la mort suspecte d’Adam Boulifa dans une cage d’ascenseur. La réalité donne une charge virulente et inspirante à la fiction. Le Tanit d’or et Prix du public « Les enfants rouges » ne s’est pas contenté de reproduire le réel mais en a pris un élément et gommé le reste pour en faire une œuvre cinématographique inoubliable sujette à plusieurs interprétations aussi bien religieuse que politique et sociale mais dans une forme artistique qui donne au propos sa justesse et sa crédibilité. Le Tanit d’or vient couronner l’ascension d’un réalisateur persévérant dont le scénario a été revu et corrigé 17 fois selon ses dires.
« Vers un pays inconnu » du Palestinien Mehdi Fleifel est une œuvre masculine dense sur les expatriés qui vivent dans la précarité et la clandestinité et tentent par tous les moyens et subterfuges de rejoindre un pays européen stable où ils peuvent travailler et mener une vie normale. La réalisation énergique exprime l’agitation et l’angoisse de ces clandestins prêts à tous les sacrifices pour s’en sortir.
Le Tanit d’argent décerné à « Demba », du réalisateur sénégalais Mamadou Dia, est une réflexion sur la question du deuil et ses répercussions sur le mental fragile d’un homme qui n’accepte pas la séparation de sa femme et risque de perdre sa vie dans une société où la prise en charge psychologique est quasi-absente. La guérison se fait souvent par la thérapie traditionnelle dans des confréries où l’on soumet le malade à des rites vaudous ancestraux pour éloigner le mal et apaiser l’âme. Avec beaucoup de subtilité, le réalisateur partage les émotions de ses personnages en adoptant une démarche réaliste avec un soupçon d’onirisme tout à fait justifié.
Une mention spéciale du jury a été décernée au film très affectueux« A la recherche d’un abri pour M. Rambo ». Sans être tout à fait dans une approche dramatique ou vaudevillesque, le réalisateur conduit le spectateur vers l’empathie et l’attachement pour un chien, Rambo, personnage central du film, dont le maître tente de lui trouver un refuge pour le sauver des griffes d’un homme que Rambo a attaqué dans les parties génitales. Un road-trip clair-obscur qui nous fait découvrir les quartiers populaires égyptiens et l’amour que porte le héros du film pour sa bête.Dans la compétition nationale, c’est encore une fois un film tunisien qui a remporté le Tanit d’or « Le Pont » de Walid Mattar. Dans une capitale, Tunis, que sépare le Pont de Radès, la banlieue Sud moins nantie et la banlieue Nord plus cossue, « le Pont » raconte les tribulations de trois amis : deux garçons et une fille qui peinent à trouver leur équilibre. Un paquet de stupéfiants trouvé au hasard va changer leur vie. Réalisé avec peu de moyens, le film est une petite bombe de rythme, d’humour et de tension dans un Tunis de fêtards, filmé la nuit.
Avec quatre films au palmarès, le cinéma tunisien est l’un des plus florissants du monde arabe et africain. Outre le Tanit d’or pour le long métrage de fiction aux « Enfants rouges » de Lotfi Achour, le cinéma tunisien a également eu quatre autres prix dont trois Tanits dans la compétition documentaire. Tanit d’or pour le court métrage “Les derniers jours avec Eliane” de Mehdi Hajri. Le long métrage “Matula” d’Abdallah Yahia et le court métrage “Bord à bord” de Sahar El Euchi sont respectivement lauréats d’un Tanit de Bronze. « Aicha », long métrage de fiction de Mehdi Barsaoui, a remporté le prix du meilleur montage, attribué à Camille Toubkisla, monteuse française.
Toutefois, un seul regret concernant le film marocain en compétition internationale « Le lac bleu » de Daoud Aouladsyad que le jury a occulté. Pourtant, l’œuvre, une quête initiatique d’un enfant non voyant, beauté et humilité. Le scénario bien ficelé, le cadrage, les silences et la douceur de la lumière font de ce film contemplatif une œuvre majeure.
Dans la section cinéma du monde, le plaisir était de voir « Les graines du figuier sauvage » de l’Iranien Mohammad Rassoulof et « L’histoire de Souleymane » du Français Boris Lojkine. Les deux films étaient primés au Festival de Cannes 2024 et le mérite des JCC est de les avoir programmés dans la section Cinéma du Monde, et ce, pour le plus grand bonheur des cinéphiles.
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