« Honna » de anis absi : Les vaillantes

La maison de la culture Ibn-Rachiq à Tunis inaugure une activité appelée Ciné Ibn-Rachiq dont s’occupe Kamal Aouij. Mercredi 11 juin 2025 dernier a eu lieu la première séance avec la projection d’un court métrage documentaire de 26 minutes du réalisateur Anis Absi, intitulé « Honna » « Elles », 2018.
Le documentaire débute par une scène où deux femmes cassent du bois avec une hache. Un documentaire qui dévoile principalement le rythme de la vie d’une grand-mère, de sa fille et de sa petite-fille dans leur occupation journalière près de Beni M’tir. Cette région du nord-ouest de la Tunisie est connue par ses forêts de chêne liège, ses montagnes, vallées, chutes d’eau et barrages. Le film brasse à vol d’oiseau un champ visuel mettant en valeur la beauté d’une nature abondante et fertile.
Demeurant étonnée devant l’image d’une femme de soixante-quinze ans en train de couper du bois avec une hache et fournissant tant d’énergie pour fracasser le tronc d’arbre en morceaux ! Il est surprenant de voir une femme, de surcroît avancée dans l’âge, accomplir une pareille tâche et la voir sortir de chez elle à l’aube pour ne rentrer qu’au coucher du soleil portant le lourd fagot sur le dos jusqu’au foyer.
Non seulement la femme est destinée à porter durant neuf mois son enfant dans son ventre avant de le mettre au monde, mais par la suite elle s’occupe, sa vie durant, à le nourrir et à l’élever. Elle gère également les besoins du mari. Toutes ces multiples tâches endossées, tout à la fois à l’intérieur comme à l’extérieur, par une seule personne poussent le spectateur à la réflexion ! Tel que la jeune Samah âgée de quinze ans le dit dans le documentaire.
Au nord-ouest de la Tunisie, vivre avec le sanglier et dans le froid est le sort quotidien réservé à ses habitants. Les femmes marchent pour atteindre la forêt afin de chercher du bois pour se réchauffer et préparer le pain et le repas. Elles coupent le bois, ramassent les fagots et les branches, puis les attachent avec une corde. Ensuite elles portent sur le dos ces fagots lourds de quarante à cinquante kilos et font trajet à pied jusqu’à la maison.
Les garçons eux vont à l’école alors que leurs sœurs restent à la maison pour s’occuper du ménage et faire la cuisine. A la forêt, lorsque les femmes sont fatiguées par leur besogne et qu’il ne reste plus qu’à ramasser les branches, la femme d’une trentaine d’années prépare le thé, tandis que la mère se met à chanter à la demande de sa fille en sirotant le thé. Ainsi passent les jours, routiniers et sans événements majeurs en dehors de quelques conversations échangées en cours de route avec la voisine, croisée sur le chemin du retour.
Jusqu’à quand ces braves femmes continueront-elles à incarner la vaillance, la patience, l’endurance, le don de soi et la soumission à l’ordre établi ? Et quand est-ce que leurs enfants et petits-enfants seront-ils appelés à rompre avec des comportements et des valeurs afin de s’épanouir et d’être heureux.
Même si le film d’Anis Absi est en lui-même une ode à la femme rurale si brave et si vaillante, ce qu’il documente n’est pas un modèle à suivre et à transmettre de génération en génération. Ce beau film gagnerait à être diffusé et débattu pour un large public, car il incarne la mission d’agir comme un moyen de prise de conscience.
Il stimule à chercher le moyen de sortir de ce cercle vicieux, de cette chaîne d’ignorances et de soumissions patriarcales héritées de mère en fille. La scène finale du documentaire insinue que la solution est entre les mains de la femme qui n’a pas à accepter d’arrêter l’école comme l’a fait Samah et qui ne se marie que lorsqu’elle atteint la majorité.
Dans cette séquence, l’ingénieux réalisateur Anis Absi, employant la métaphore, a réussi à démontrer avec éloquence deux états paradoxaux où tout bouge dans la nature et se meut : la chute d’eau, les chiens qui jouent, les poules qui picorent, alors que Samah, la jeune fille, se maintient debout fixement face à la chute d’eau telle une statue.
Elle pense sûrement à la vie d’épouse et de mère et aux responsabilités qui l’attendent. En l’occurrence, elle reste figée dans sa position, comme autant obligée à exécuter sans broncher ce que lui impose le schéma préétabli !
lien sur site officiel