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Grands chantiers : Au-delà du drame, l’urgence d’une refondation administrative

L’effondrement du mur du lycée de Mezzouna devrait provoquer un sursaut. Pas un discours de plus, pas un plan de plus. Un véritable changement de l’administration, maintes fois évoqué et martelé par le Chef de l’État lui-même.

Vendredi 18 avril, à l’aube, le Président de la République, Kaïs Saïed, s’est rendu à Mezzouna, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, pour présenter ses condoléances aux familles des trois élèves victimes de l’effondrement d’un mur délabré dans un lycée de la région. Deux autres élèves, grièvement blessés, ont été transférés à l’hôpital universitaire de Sfax et sont dans un état stable. Sur place, le Chef de l’État a rencontré des habitants de Mezzouna et écouté leurs préoccupations.

Dans la nuit de jeudi, des citoyens ont spontanément lancé une campagne de propreté dans les rues de la ville, récemment secouée par des manifestations nocturnes. Cette initiative, appuyée par des composantes de la société civile et des structures publiques, témoigne d’un esprit de solidarité face à la tragédie.

Mais au-delà de l’émotion, ce drame met en lumière une réalité plus vaste, celle d’une infrastructure scolaire dangereusement vétuste, et d’un appareil administratif incapable de répondre à l’urgence.

Lourdeur bureaucratique et paralysie administrative

La restauration des établissements scolaires est aujourd’hui entravée par une bureaucratie devenue paralysante, il faudra le dire. Pour réparer un simple mur, refaire une toiture ou rénover une salle de classe, les démarches sont si alambiquées que même les bonnes volontés s’épuisent avant d’agir.

Questions : Pourquoi l’administration s’acharne-t-elle à tout contrôler, y compris les moindres travaux ? Pourquoi empêche-t-elle les parents d’élèves, les donateurs locaux ou les associations de contribuer directement à l’entretien des écoles, sou prétexte de légalité administrative ? Pourquoi chaque geste est-il corseté par des procédures interminables, par des échanges de courriers, circuits de validation, appels d’offres obligatoires, consultations juridiques ? Une machinerie lente, souvent absurde, qui transforme l’urgence en attente, et le bon sens en délit de forme.

Pour un cadre sécurisé des petites réparations

La question cruciale qui se pose aujourd’hui : comment permettre aux citoyens de contribuer financièrement à des travaux de petite envergure, sans craindre de voir leur geste détourné ou bloqué ? Comment bâtir un mécanisme à la fois souple, transparent et sécurisé, qui redonne confiance et efficacité aux communautés locales ? C’est aussi un aspect concret de la décentralisation.

Il est possible d’imaginer des solutions simples comme un plafond de frais fixé pour les petites réparations, en dessous duquel les procédures seraient allégées ; un comité de gestion local composé de parents, d’enseignants et de responsables administratifs ; un affichage public des dépenses, des factures et des réalisations. Une manière de conjuguer responsabilité citoyenne et contrôle raisonnable, sans sombrer dans les lenteurs bureaucratiques.

Quand l’administration fait perdre du temps…
et des vies

Pour rappel, ce n’est pas la première fois que l’absurdité administrative paralyse l’entretien des infrastructures scolaires. À Regueb, toujours dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, des parents d’élèves avaient tenté, en 2023, de financer eux-mêmes la rénovation des toilettes de l’école primaire du quartier El Mourouj. Malgré les fonds réunis et la mobilisation locale, les travaux ont été suspendus pendant des mois, faute d’autorisation de la délégation régionale de l’éducation, qui exigeait un appel d’offres pour des travaux de moins de 5 000 dinars.

À Kairouan, dans une école de la délégation d’El Alâa, une toiture en fibrociment menaçait de s’effondrer. Un entrepreneur du village avait proposé d’intervenir gratuitement, mais l’administration a refusé pour des raisons de « non-conformité avec les procédures ». Résultat : l’école a été partiellement fermée, et les élèves déplacés dans une autre école surchargée, à plusieurs kilomètres de là.

Ces histoires se répètent dans tout le pays. À chaque fois, ce sont les enfants, et de manière plus générale les citoyens, qui paient le prix d’une machine administrative incapable de distinguer entre vigilance budgétaire et paralysie mortifère. Le terrain regorge de bonnes volontés, mais elles se heurtent systématiquement à un mur, administratif celui-là, beaucoup plus solide que celui qui s’est effondré à Mezzouna.

Et si cette bureaucratie hypertrophiée…

Le drame de Mezzouna n’est pas un simple accident. C’est une alerte, brutale, qui expose les failles profondes d’un État englué dans ses propres mécanismes. Une tragédie, oui, mais surtout le symptôme d’un système qui ne fonctionne plus, ou plutôt, qui fonctionne contre lui-même.

À force de saucissonner les responsabilités, l’administration a fini par les dissoudre. Chaque fonctionnaire est affecté à une mission étroite, bien délimitée, sans vision d’ensemble ni possibilité de prendre une initiative. Chaque service dans le même ministère est fermé sur lui-même.

Et si, au fond, cette bureaucratie hypertrophiée n’existait que pour justifier sa propre ampleur ? Elle multiplie les procédures, empile les niveaux de validation, complique jusqu’à l’absurde les gestes les plus simples. Elle prétend garantir la transparence, mais elle cache surtout l’impuissance. Et si cette bureaucratie tentaculaire servait surtout à justifier son propre poids ? À défendre, par la complexité qu’elle entretient, une masse salariale qui pèse de manière insoutenable sur le budget de l’État ? Résultat, dans ce millefeuille administratif, ce ne sont pas seulement les projets qui se perdent, ce sont des vies qui s’effondrent. Et ce sont ces lenteurs, ces blocages, cette inertie organisée qui engloutissent chaque année les milliards dans une masse salariale tentaculaire, quel que soit le secteur concerné.

L’urgence d’un électrochoc administratif

Le drame de Mezzouna devrait provoquer un sursaut. Pas un discours de plus, pas un plan de plus. Un véritable changement de l’administration, maintes fois évoqué et martelé par le Chef de l’État lui-même. Il faut oser poser la question qui fâche : à quoi sert une administration si elle n’est pas capable de protéger ses enfants, de motiver ses usagers et de leur rendre service ?

Il est temps de redonner du pouvoir à ceux qui sont sur le terrain : chefs d’établissement, collectivités locales, comités de parents. Il est temps de créer des circuits courts, des règles claires, des marges d’action. Et surtout, de restaurer un minimum de confiance entre l’administration et les citoyens.

Plus jamais un enfant, un jeune à la fleur de l’âge, ne devrait mourir écrasé sous un mur qu’on savait fragile, mais que personne n’a osé réparer. Plus jamais une école ne devrait attendre une signature depuis les couloirs labyrinthiques du ministère pour changer une porte ou colmater une fissure. Si notre pays veut avancer, il doit alléger ce fardeau invisible qu’est devenu son propre système.

Et aujourd’hui, les choses doivent être dites : la Tunisie ne peut plus se permettre de laisser son administration freiner les initiatives, décourager les citoyens et paralyser les chantiers les plus urgents, les réformes essentielles et existentielles pour l’avenir du pays.


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