Culture

Feuilletons ramadanesques | «Baraâ», le pire feuilleton de tous les temps


Ecrit, réalisé et produit par Sami Fehri, «Baraâ» (Innocence), feuilleton ramadanesque, a suscité, dès sa diffusion sur «Al Hiwar Ettounsi», la polémique, notamment sur les réseaux sociaux. C’est que cette fiction traite du mariage coutumier (orfi) considéré par une bonne frange de l’opinion comme un sujet archaïque et dépassé, voire tabou, sous nos cieux, car déjà, définitivement plié et résolu par la loi et le Code du statut personnel.

Face à cette réaction stigmatisante, d’autres voix, en revanche, ont soutenu que le phénomène existe bel et bien, surtout depuis la montée des courants islamistes et extrémistes en 2011, en rappelant que 1.778 affaires de mariage coutumier ont été examinées par les tribunaux entre 2015 et 2020 et qu’il est normal que les feux des caméras soient braqués sur le problème. Mais qu’il existe ou pas, Sami Fehri est libre de l’évoquer, il n’y a pas de sujet tabou dans la fiction. L’important étant la manière, le traitement : comment dire, filmer et quel propos véhiculer ?

Or, au fil des épisodes, il s’avère que le traitement, dans «Baraâ», n’a rien d’innocent. Il est tout aussi «pervers» que le personnage central: Si Ouannès (Fethi Haddaoui), un vieux pédophile, libidineux en diable qui instrumentalise la religion pour assouvir ses fantasmes. Il décide, donc, de convoler en secondes noces, façon «orfi», en mettant son grappin sur la jeune bonne, Beya (Ahlem Fekih) qui, à regarder de près, n’a rien du tout d’une bonne. Car trop lisse physiquement et loin d’être marquée (corps, visages, mains) par les longues journées de dur labeur durant des années. Une erreur flagrante de casting, cette actrice étant peu crédible dans ce rôle.

Zohra (Rim Riahi), la femme de Si Ouanès, inculte et dépendante financièrement, ne résistera pas longtemps et finira par accepter sa condition de première épouse…

Le réalisateur situera longuement l’action dans les deux premiers épisodes en se référant à l’attentat terroriste survenu à Sousse en 2015, au point de laisser entendre que la fiction traitera de terrorisme, mais ce n’était que remplissage, le récit virant à 360° pour sombrer dans une histoire abracadabrante, façon vieux feuilletons égyptiens.

Bricolage et tripotage

Dans ce «Baraâ», chaque épisode est bricolé et tripoté selon un «calcul marketing» consistant à créer du «bad buzz» afin de gagner en audience, donc en annonces publicitaires, chaîne et plateforme confondues. Dans ce but, le «réalisateur» multiplie les situations extrêmes, délirantes et écœurantes, mettant en avant la polygamie à travers des scènes braquées sur les 2e et 3e épouses, Beya et Hanine (Fatma Bartakis) la fille des voisins de «Si» Ouanès, convoitée à la fois par ce dernier et par ses deux fils. Abject !

La perversion dans le traitement se manifeste dans la construction des personnages féminins tous hypernégatifs. Toutes les femmes de «Baraâ» sont soumises et/ou passives : vengeresse, cupide, naïve, battue, violée, aliénée et assassine. Certaines, telle Mounira (Kaouther Bardi) qui banalise, à travers ses répliques, la violence contre les femmes, sans qu’aucune nuance à ses propos ne soit apportée. Toutes les femmes de «Baraâ» sont incultes, à l’exception de Chiraz qui, quoique jouissant d’un bon niveau éducatif, réagit mollement à l’évocation du mariage coutumier.

Pis, sa seule ambition obsédante c’est le mariage, même avec un chômeur inculte et irresponsable, Talel (Aziz Jebali) qui vit aux crochets de son père «Si» Ouanès.

Aucun modèle de femme positif n’apporte une nuance à cette galerie de personnages mortifères, telles ces femmes qui triment quotidiennement pour le progrès familial, social et économique, ces femmes engagées et militantes pour des causes politiques, sociales, culturelles, humanitaires et autres.

Banalisation du phénomène «orfi»

Autre perversion dans le traitement: la banalisation et la normalisation du mariage «orfi» et de la polygamie, vu la passivité de tous les personnages, leur consentement et acceptation de cette situation illégale et menaçante pour la cohésion de leur famille.

La banalisation découle, également, du discours rétrograde du personnage central qui justifie le mariage coutumier en se référant, selon son propre intérêt, au choix religieux (Charaâ), sans qu’aucun personnage contradicteur ne s’oppose aux idées saugrenues et à l’argumentaire intéressé et doctrinal de «Si» Ouanès que beaucoup de jeunes téléspectateurs considéreront, hélas, comme une vérité absolue, à défaut de contradiction et de dénonciation. Un lavage de cerveau des plus dangereux pour les futures générations.

Ainsi, le feuilleton véhicule, non seulement une image dépréciée indigne et dévalorisée de la femme, mais banalise et normalise, aussi, le mariage coutumier et la polygamie, surtout en raison d’un traitement chronologique et superficiel où les personnages, dans ce scénario primitif, n’obéissent pas à la logique, mais à l’arbitraire, selon le bon vouloir insensé du «scénariste, réalisateur et producteur, et propriétaire d’une plateforme»…

Et plusieurs scènes du dernier épisode en constituent un exemple parfait : Meryem (Azza Slimani) accouche seule, puis sort dans la foulée, sous une pluie torrentielle, pour jeter son bébé dans une benne à ordures ménagères. Admettons cela, car un même fait divers a bien eu lieu au début de l’année, aux Etats-Unis.

Mais comment son fils, Islem, haut comme trois pommes, a-t-il pu récupérer le nourrisson de la benne à ordures ?

Voilà qui frise le ridicule et constitue une insulte à l’intelligence du public.

Pis, bourré d’erreurs et d’approximations, «Baraâ» trompe le public en déroulant des contre-vérités : l’information sur l’héritage de l’enfant né d’un mariage «orfi» est fausse, la maladie psychologique dont souffre Meryem n’existe pas selon un médecin-spécialiste, la scène de la confession ou de «la confession consultation» n’est pas crédible car il s’agit d’une pratique propre à la religion chrétienne et inexistante dans l’Islam. Or, quand on se réfère tout le temps au réel, aux lois religieuses du pays et au droit, le b.a.-ba d’une fiction, a fortiori, du genre drame social, c’est d’apporter des informations réelles et précises en évitant de tricher et de tromper le public. Sinon le récit perd beaucoup en crédibilité. Mais, visiblement, le réalisateur n’en a cure.

Filmé dans pas plus de sept décors intérieurs et quelques extérieurs sans créativité aucune, «Baraâ», qualifié par le réalisateur, en personne, comme «le meilleur feuilleton de tous les temps», s’avère, en fait, le pire feuilleton de tous les temps. Et dire que la fin ouverte, après une naissance et un suicide, laisse présager une saison «Baraâ» 2 ! On peut se demander si le travail de sape va continuer de plus belle.

«L’Acting», c’est aussi de l’engagement

Côté jeu, on nous a rebattu les oreilles avec la performance de Rim Riahi dans le rôle de Zohra, en fait, à bien y regarder, sa prestation s’avère parfois inégale et empreinte de rictus.

Les autres acteurs ont sorti un jeu des plus ordinaires. L’enfant, incarnant l’innocence, joue avec la spontanéité, l’innocence et le naturel propres à ses pairs.

Mais une question s’impose concernant l’acceptation des rôles et la participation à un projet : les acteurs peuvent-ils accepter n’importe quel rôle juste pour figurer au générique d’une fiction et pour gagner leur croûte ? Peuvent-ils accepter un rôle contraire à leurs idées, leurs valeurs, leurs principes, leurs idéaux et s’engager dans un projet commercial bafouant la dignité d’un être humain, ici la femme, et menaçant la cohésion sociale, puis s’en enorgueillir en paradant sur les plateaux de télé. Car «l’acting» c’est aussi l’engagement pour les bonnes causes humaines pas pour les mauvaises.

Et dire que des présentateurs et des chroniqueurs de service dans plusieurs médias se sont mobilisés pour faire la promotion de ce feuilleton, en multipliant les rencontres avec ses protagonistes et en répétant à l’envi qu’avec cinq millions de téléspectateurs «Baraâ» est une «réussite», un «succès», tout en nous sortant la formule magique façon «c’est ce que veut le peuple». Or, un fort audimat ne signifie pas réussite qualitative, à preuve la forte réaction de l’opinion publique sur les réseaux sociaux ayant totalement stigmatisé et rejeté ce discours doctrinal d’un autre âge et ces chimères avilissantes et humiliantes à l’encontre de la femme qui ne font qu’ajouter de l’eau au moulin des obscurantistes et des extrémistes de tous bords.

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