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Fête du travail  « Le mai, le joli mai… »

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Par Hatem KOTRANE | Professeur émérite à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis |

«Le mai le joli mai … ». Le poème est de Guillaume Apollinaire, sans doute un des plus beaux de toute l’histoire de la poésie. Il nous rappelle le temps qui passe et confirme que le mois de mai, plus que tous les autres mois de l’année, est un sujet poétique.  Mais ce mois est plus souvent associé à la célébration, chaque 1er mai, en Tunisie comme dans le reste du monde, de la fête du Travail. Une fête qui est née dans le pays de la libre entreprise, les USA, lorsque, ce jour de l’an 1886, une grève généralisée, suivie par 400.000 salariés, paralyse un nombre important d’usines, réclamant la journée de 8 heures de travail. Le mouvement s’internationalise et l’Internationale socialiste, réunie dans la capitale française en 1889, adopte le 1er mai comme la journée internationale des travailleurs.

Il faut attendre en réalité l’avènement, en 1919, de l’Organisation internationale du travail (OIT) rassemblant gouvernements, employeurs et travailleurs dans le cadre d’une institution tripartite, en vue d’une action commune pour promouvoir les droits au travail, encourager la création d’emplois décents, développer la protection sociale et renforcer le dialogue social dans le domaine du travail.

En Tunisie, les premières lois sociales apparaissent dès 1910. Mais il faut attendre, en réalité, l’indépendance pour assister à une plus grande implantation des lois sociales. C’est ainsi que l’Etat indépendant va intégrer, petit à petit, les normes internationales du travail en procédant, notamment, à la promulgation, le 30 avril 1966, du Code du travail et en accentuant, depuis lors, le processus d’adhésion de la Tunisie à nombre de conventions internationales du travail de l’OIT, dans un souci constant d’harmonisation de la législation interne avec les tendances majeures du droit international en ce domaine. Soixante-quatre (64) conventions internationales du travail sont, à ce jour, ratifiées par la Tunisie, comprenant notamment les huit (8) conventions se rapportant aux principes et droits fondamentaux de l’homme au travail,  y compris la Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et la Convention (n°98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, étant précisé que trois des dernières ratifications ont concerné, successivement, la Convention (n° 144) sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail, la Convention (n° 151) sur les relations de travail dans la fonction publique et la Convention (n° 154) sur la négociation collective, marquant tout autant le souci de l’Etat de promouvoir la négociation collective et d’asseoir durablement les droits et garanties en faveur des acteurs du dialogue social.

Tout cela est aujourd’hui bien connu. Quel impact les changements et les difficultés survenus ces dernières années peuvent-ils néanmoins entraîner au plan de la politique sociale ? Comment occulter que le travail rémunéré soit devenu, en Tunisie comme dans le reste du monde — à des degrés certes différents — une denrée rare. L’Institut national de la statistique (INS) a indiqué que le taux de chômage a atteint 12,9% (masculin) au quatrième trimestre 2022 et 20.1 % (féminin), étant précisé que le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur est de 30.1 % en moyenne dont 17.6 % (masculin) et 40.7 % (féminin).

Ces quelques données montrent à quel point l’Etat, les partenaires sociaux et la société dans son ensemble sont invités, plus que jamais, à redonner un sens réel au travail, à remettre en place une politique volontariste en ce domaine, tant il est vrai qu’on ne peut rester indifférent à l’égard des inconvénients qu’engendrent, inéluctablement, les situations de chômage et de sous-emploi. Et quels que soient les mérites de l’économie de marché, le marché du travail ne peut être totalement confié à l’autorégulation, ni être traité comme le marché libre d’une marchandise quelconque.

Le dialogue social, mené par des partenaires ayant — au-delà la défense des intérêts catégoriels — un haut sens de l’intérêt national, est la seule voie permettant de trouver les solutions durables, celles-là mêmes permettant de mettre en œuvre un des 17 Objectifs de développement durable (ODD), qui doivent être atteints par tous les États membres de l’ONU d’ici à 2030, à savoir l’Objectif n°8, appelant à « Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous ». L’objectif est louable, et sera plus ou moins atteint selon les Etats et les stratégies qui les animent dont au premier chef, leur capacité à asseoir durablement les conditions du dialogue social.

Un constat alors s’impose : celui de l’aggravation, toutes ces dernières années, des tensions sociales et de l’incapacité des acteurs sociaux et des mécanismes juridiques à endiguer les conflits sociaux et à infléchir le comportement des acteurs et l’usage qu’ils font des moyens de lutte et de pression utilisés sur le terrain. La nouvelle Constitution adoptée le 25 juillet 2022 par référendum, dans le même sillage que la Constitution du 27 janvier 2014, viendra aggraver cet état des choses, en élevant le droit de grève au rang d’un droit constitutionnel absolu en proclamant, aux termes de son article 41, que « Le droit syndical est garanti, y compris le droit de grève …». La seule restriction apportée à ce droit est qu’il ne s’applique pas à l’Armée nationale ni aux forces de sécurité intérieure et aux douanes, étant précisé que l’article 41 de la nouvelle Constitution de 2022 a ajouté les magistrats à cette liste. Aucune autre restriction n’est apportée expressément à ce droit, même pas la mention que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » qui aurait permis de maintenir et de justifier l’application des restrictions légales, essentiellement procédurales, apportées à la grève.

Il n’est pas d’usage, convient-il de le rappeler, qu’une constitution consacre une conception aussi absolutiste du droit de grève, ainsi élevé par la Constitution tunisienne au rang d’un droit quasiment inviolable et sacré, bénéficiant d’une vénération quasi-religieuse ! Aucun autre droit n’a, également, bénéficié d’une acception aussi large dans la Constitution, même pas le droit à la vie pourtant proclamé comme étant sacré par l’article 24 de la Constitution de 2022 (article 22 de la Constitution de 2014) et auquel il ne peut être porté atteinte « sauf dans des cas extrêmes fixés par la loi ».

Mais au-delà des difficultés suscitées par la Constitution, c’est à une prise de conscience collective qu’il convient d’aboutir en vue d’introduire une réforme en matière d’endiguement des relations collectives du travail et du dialogue social. Le nouveau contrat social, signé entre le gouvernement, l’Utica et l’Ugtt, y fait directement référence en comportant, parmi ses cinq principaux axes, un axe intitulé «l’institutionnalisation du dialogue social tripartite». L’institution d’un Conseil national du dialogue social est, à coup sûr, une étape importante dans ce processus.

Notre opinion est, toutefois, que le Conseil national du dialogue social devrait en toute hypothèse rester un haut lieu de concertation, d’analyse et de propositions regroupant le gouvernement et les principales organisations représentatives des travailleurs et des employeurs, en l’occurrence l’Ugtt et l’Utica, mais également les autres organisations dotées d’une représentation suffisante dans des conditions à définir, de façon à conforter le pluralisme syndical.

Une des priorités d’un tel dialogue est de parvenir à une refonte totale du Code du travail en vue d’assurer son adaptation aux réalités mouvantes du monde du travail contemporain largement affecté par la révolution informatique qui alimente les débats actuels sur la robotisation, la digitalisation et l’«ubérisation» et qui a été mise en évidence lors de la propagation de l’épidémie de Covid-19 en même temps qu’elle a mis à nu l’inadaptation du Code du travail et son incapacité à encadrer les nouvelles formes de télétravail.

Plus généralement, une relance du dialogue social tripartite au plan national est plus que jamais nécessaire, et ce, alors même que les relations entre le Président de la République et le gouvernement, d’une part, et l’Ugtt, d’autre part, semble au plus mauvais tournant de leur histoire en Tunisie, tandis que l’Utica traverse, pour sa part, une léthargie jamais vécue depuis sa création.

Pourtant le dialogue national, y compris le dialogue social, reste une priorité tant il constitue une donnée inhérente à la Tunisie depuis son indépendance et tant les relations du travail sont empreintes de la marque constante du mouvement syndical tunisien qui est, à bien des égards, assez particulier bénéficiant d’une intégrité suffisante qui répugne à le classer parmi les autres mouvements syndicaux dans les pays voisins et bien ailleurs et ce, en raison de sa vocation, dès l’origine, à allier le nationalisme et la quête d’indépendance nationale et de libertés aux revendications purement sociales.

Convient-il de rappeler, au cas où on aurait parfois tendance à l’oublier, que la motivation première de l’Ugtt, à sa constitution le 20 janvier 1946 durant la période du Protectorat français, répondait à une volonté d’affirmer la spécificité des revendications de la classe ouvrière tunisienne et ses aspirations non seulement à l’amélioration de ses conditions de vie et de travail, mais aussi à la dignité et à la liberté, intégrant ainsi son action syndicale dans le cadre plus large du Mouvement de libération nationale. Comme rapporté par le président Mohamed Ennaceur, « l’engagement de l’Ugtt dans la lutte pour la libération nationale s’est concrétisé non seulement par la formulation de revendications politiques, mais aussi par une participation active à l’action politique et à la direction du mouvement de libération nationale, ce qui a entraîné, entre autres conséquences, l’assassinat en décembre 1952 du fondateur et chef du mouvement syndical tunisien (Farhat Hached) par une organisation terroriste colonialiste et l’emprisonnement de plusieurs dirigeants syndicaux » (Cf. « Les syndicats et la mondialisation : le cas de la Tunisie », Institut international d’études sociales, Genève, DP/120/2000).

Au lendemain de l’Indépendance, l’Ugtt s’est trouvée tout naturellement associée à la mise en place des institutions et des structures du nouvel Etat tunisien, y compris en jouant un rôle crucial au sein de l’Assemblée constituante, où elle a pesé dans les débats ayant abouti à l’élaboration de la première Constitution tunisienne, qui consacre les droits politiques, économiques et sociaux fondamentaux et dont l’article 8 garantit le droit syndical à côté d’autres libertés publiques.

Mais l’Ugtt a été, surtout, un des acteurs principaux d’une politique sociale tunisienne que se veut une politique concertée depuis l’adoption de la Convention collective cadre (CCC) signée à Tunis le 20 mars 1973 entre l’Ugtt et l’Utica et modifiée depuis, sur certains points, par les avenants successifs qui lui ont été apportés. La CCC a été relayée par cinquante-quatre (54) conventions collectives nationales sectorielles couvrant la plupart des activités du secteur productif, avec un rôle souvent important de l’Etat amenant les partenaires sociaux à la conclusion d’accords collectifs tendant à réaliser une sorte d’équilibre entre des intérêts parfois nécessairement divergents.

Parallèlement, l’Ugtt a été associée activement aux consultations avec les représentants de l’Etat ayant abouti à l’adoption du statut de la fonction publique, mais également des statuts particuliers applicables aux entreprises nationales.

Le rappel de ces quelques données montre à l’évidence l’urgence de parvenir à redynamiser le dialogue social, composante essentielle de la Tunisie moderne depuis son indépendance, même si cela passe par une prise de conscience de la nécessité de redéfinir les modalités du dialogue social, y compris le droit de grève, en engageant un débat responsable, au terme duquel les partenaires s’engagent à instaurer, dans le contexte des difficultés actuelles que traverse la Tunisie, un devoir de paix sociale englobant l’obligation express d’épuiser toutes les possibilités de négociation avant de recourir à la grève. Il y va de la pérennité de tout le pays.

Comme il incombe à la communauté nationale dans son ensemble de restaurer la valeur du travail qui constitue la seule vraie richesse de la Tunisie et de l’inculquer, par tous les moyens actifs et appropriés, aux plus jeunes.

C’est à ce prix en tout cas que les Tunisiens, notamment les plus jeunes d’entre eux, pourront réinscrire éternellement la Tunisie dans leur confiance et accueillir chaque 1er mai, la fêté du Travail, en scandant « le mai, le joli mai… » !

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