Droit de réponse de Walid Bel Hadj Amor à Sofiene Ben Hamida
Réponse à Si Sofiene Ben Hamida
En réponse à l’article paru dans Business News sous la plume de Sofiene Ben Hamida intitulé « L’Isie est une machine à remonter le temps », j’ai souhaité apporter un éclairage différent en rapport avec les élections présidentielles de 1999 et la candidature de feu mon père, Mohamed Bel Hadj Amor.
Dans cet article, l’auteur déclare que le Président Ben Ali aurait « encouragé deux de ses ‘’opposants’’ à se présenter contre lui et jouer les comparses », et ajoute que « Mohamed Bel Hadj Amor président du parti de l’unité populaire était dans une position de soutien critique du régime de Ben Ali… ».
La lecture des faits lui est personnelle et je n’ai rien à redire à propos de son droit d’avoir cette lecture, toutefois, au-delà des inexactitudes relevées, le parallèle fait avec la situation du pays aujourd’hui est trop rapide et simpliste pour ne pas mériter quelques corrections.
D’abord et pour la forme, Mohamed Bel Hadj Amor était secrétaire général du parti et non président et l’auteur au vu de sa culture politique aurait dû être attentif à ce détail.
En 1999, nous parlons des premières élections présidentielles pluralistes organisées en Tunisie, ce qui en faisait un évènement politique historique, fait qui ne pouvait être ignoré, quand bien même les résultats seraient joués d’avance.
D’autre part, la candidature d’un homme de la stature de Mohamed Bel Hadj Amor, dont la carrière politique et le militantisme payés par près de 24 mois de prison, dont 3 mois sous le régime colonial en 1952 et 21 mois sous le régime de Bourguiba (1977-1978), me semble mériter mieux que le qualificatif de comparse, (comprenez insignifiant voire complice selon le dictionnaire), surtout si l’on compare cela à la carrière et au militantisme de Ben Ali avant d’accéder au gouvernement, qui sont proches du néant.
Pourquoi participer à ses élections ? La réponse de Mohamed Bel Hadj Amor, lui-même : « Il faut dire qu’à l’époque le pays traversait une crise politique, économique et sociale très grave, crise due essentiellement au système du parti unique, à la marginalisation des institutions, à la personnalisation du pouvoir et la monopolisation de l’autorité », « Nous avons souscrit à l’idée de contribuer à cristalliser l’idée de l’alternance dans les esprits en soulignant l’importance des élections. C’est par les urnes que le citoyen prouve qu’il est digne du pluralisme et prêt pour la démocratie ».
« Lorsque nous avons constitué ce parti progressiste (1983), nous n’avons jamais pensé à prendre le pouvoir rapidement, bien qu’il soit légitime d’espérer y parvenir d’ici deux ou trois générations. Et même aujourd’hui je suis sûr qu’aucun de nos militants n’a jamais eu le moindre espoir de voir le candidat de son parti réussir aux présidentielles, car nous sommes tous objectifs et réalistes, et je le répète encore une fois notre candidature est un engagement envers la patrie, envers l’histoire et envers l’avenir… », « ma candidature a pour objectif de contribuer au succès de ce premier rendez-vous avec l’histoire, un évènement que notre pays n’a jamais connu auparavant ».
Ainsi sa démarche relevait d’une volonté de contribuer à l’initiation à la culture du pluralisme électoral tant vis-à-vis du citoyen tunisien, que des médias acquis au pouvoir. Mohamed Bel Hadj Amor a mené une vraie campagne, sillonna le pays lors de meetings populaires importants pour défendre un programme clair, dont le volet politique était principalement axé sur la création d’institutions constitutionnelles propres à garantir la transition vers une démocratie pluraliste, à savoir :
– Un régime parlementaire à deux chambres
– Deux mandats de 5 ans pour le président, (ce que Ben Ali fera sauter par le référendum constitutionnel de 2002)
– La création d’un conseil constitutionnel
– La création d’une instance constitutionnelle de supervision des élections
Ce qui agaça prodigieusement le pouvoir et ses vassaux. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il était en avance de 15 ans sur la constitution de 2014, n’en déplaise à Si Sofiene qui considère qu’il s’agissait d’un candidat comparse du régime. Gageons que si la presse de l’époque avait joué son rôle et relayé avec force ce programme, pendant et après les élections, nous n’en serions peut-être pas là aujourd’hui.
Pour la petite histoire Mohamed Bel Hadj Amor fut le premier candidat en Tunisie à être présent sur internet avec un site web dédié à sa candidature et à son programme, ce qui déclencha la foudre de Ben Ali, qui malgré tous les moyens de l’état dont il disposait, Ministère des Télécommunications, Centre National Informatique et Agence Tunisienne d’Internet, n’avait su faire pareil.
Enfin, imaginer que ce sont les résultats de ces élections présidentielles de 1999, « qui l’on poussé à prendre sa retraite politique », comme l’indique l’auteur, c’est mal connaitre Mohamed Bel Hadj Amor. Il considérait, à 66 ans, que le sacrifice de près de 50 ans de militantisme, d’abord contre l’occupant, ensuite successivement au sein de l’UGET, de l’UGTT et du PSD, avant le Parti de l’Unité Populaire était suffisant et qu’il devait passer la main. Certes c’était inhabituel face à tous ces hommes politiques qui cherchent à conserver leur poste jusqu’à la fin.
Si je peux comprendre la tentation facile qu’on peut avoir de faire ce parallèle entre les deux élections, ignorer la différence de contexte et la différence entre les personnalités en présence, c’est trahir l’histoire et trahir la mémoire d’un militant dont l’engagement ne fait aucun doute pour personne.
Après la mort de mon père, Si Hedi Baccouche me fera cette confidence, « Mohamed a eu un courage que je n’ai pas eu et que nous sommes nombreux à ne pas avoir eu, celui de militer en dehors du PSD. Nous n’avons jamais osé quitter le parti, avons pensé militer pour la démocratie de l’intérieur, peine perdue ».
Merci à Si Sofiene de m’avoir donné l’occasion de raconter ce bout d’histoire de la Tunisie, sans lui je ne l’aurais probablement pas fait.
lien sur site officiel